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Berlinale : "L'avenir est plus brillant en Afrique qu'en Europe"

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Sergio Marx

Berlin

Satché est jeune et en bonne santé, mais la mort a toqué à sa porte. Il ne lui reste qu'un jour à vivre... Que faire ? Avec "Aujourd'hui", Alain Gomis porte un regard poétique sur notre rapport à la vie, et à la mort. Un entretien sur le temps qui passe, la vieille Europe et la nouvelle Afrique. Quel est le message derrière cette mort subite ? Le film n'est pas un film à message.

Mais il présente la route d'un personnage vers son présent. Il sent d'abord la peur mais, au fur et à mesure qu'il se débarrasse de demain, il se rapproche du présent, qu'il atteint et qui devient infini.

S'agit-il d'une critique de notre constante obsession pour le futur ? Est-ce quelque chose de typiquement européen ?

Non, je pense que c'est capitaliste. La peur de la mort existe partout, et faire des choses, des fois, ça nous empêche d'y penser [rires]. Dans une société capitaliste, les gens sont maintenus en permanente activité. Penser, entrer dans des relations plus profondes avec les gens, ça ne fait pas d'argent.

Dans le film, on apprend que Satché est parti aux Etats-Unis et en est revenu, sans qu'on apprenne pourquoi. A-t-il vécu un échec ?

Il n'est pas revenu suite à un échec, mais parce qu'à un moment il a eu besoin d'être dans un endroit où il pouvait s'identifier, où il pouvait ne pas se poser de questions.

A l'étranger, on est parfois plus libre, on n'a pas de compte à rendre. On doit respecter les codes de la société pour ne pas finir en prison [rires] mais on a moins forcé à suivre certaines règles sociales. Chez soi, ne pas les suivre serait une vrai transgression.

Pourtant, il rentre...

Oui, ca dépend des gens et des périodes de la vie dans lesquelles on se trouve. Arrivé un certain moment, on se dit « dans cette terre est enterré mon grand-père ». Cet enracinement permet une forme de liberté. Etant jeune, on veut voir ce qu'il se passe ailleurs. Après, les choses sont plus intérieures, tu te rends compte que tu t'assois et que tu voyages autant.

Vous êtes né de parents Sénégalais à Paris. Comment avez-vous découvert le Sénégal ?

Mon premier contact avec le Sénégal a été avec ma famille. On ne peut pas dire que j'ai découvert le Sénégal, le Sénégal était là.

Beaucoup d'immigrés idéalisent leur pays d'origine. Avez-vous été influencé par la vision du Sénégal qu'ont vos parents ?

On idéalise un pays absent comme on idéalise un père ou une mère. De toute manière, la relation qu'on a aux choses ou aux personnes évolue avec le temps et l'expérience.

Je préfère les rapports humains au Sénégal, mais je ne veux pas dire qu'ils sont meilleurs. Je peux changer d'avis avec le temps, mais je m'y reconnais plus. Il y a un rapport au temps, à la mort, à l'invisible et à l'inconnu dans lequel je me sens beaucoup mieux. C'est une question très personnelle, moins liée à l'identité qu'à la personnalité. Mon frère ou ma soeur peuvent avoir un autre avis.

Satché est critiqué pour être rentré des Etats-Unis. Est-ce une reproche habituel au Sénégal ?

Non, mais ça a pu l'être a une époque pas si lointaine, où il était difficile de comprendre pourquoi une personne qui avait eu la chance de partir, veuille rentrer. Mais les choses ont changé récemment. Chaque fois plus de gens rentrent.

Il est difficile de généraliser à la taille d'un continent où il y a d'immenses disparités. Mais, bien que le chemin reste dur, l'avenir est plus brillant en Afrique qu'en Europe. Il ne fait plus peur en Afrique, alors que, maintenant, il fait peur en Europe.

Un changement de paradigme ?

Beaucoup de gens qui sont rentrés vivent mieux que lorsqu'ils étaient à l'étranger. Et je ne parle pas de ceux qui ont la chance d'appartenir a une petite minorité de privilégiés. A Paris, deux tiers du salaire des gens passe dans le loyer, on s'endette sur 30 ans pour avoir l'espace minimum de vie. Ca n'a pas de sens !

Pour une personne qui a de quoi commencer une petite affaire, il va être bien plus facile de se lancer à Dakar qu'à Paris ou dans la plupart des villes occidentales que je connais. On y asphyxie. Et pour réussir, on essaye de trouver une idée à l'intérieur d'une autre idée.

Sentez-vous une certaine frustration, une tension entre les gens en France, qui n'existe pas ailleurs ?

Pas entre les gens. Mais il y a une tension, oui. Les pays européens sont des petits pays qui, de façon étrange, ont eu a jouir sur le monde d'une suprématie qui n'est pas représentative de leur taille réelle. Aujourd'hui, le monde prend plus des dimensions proportionnelles à ce qu'il est. La France ne représente pas grand chose à côté de l'Inde. Alors, quand l'Inde reprend sa taille réelle, évidemment, ca suscite des craintes.

Etes-vous satisfait du film ?

L'insatisfaction par rapport à un film est le moteur pour en faire un autre. Le personnage principal du film dit à un moment : « Je n'ai rien eu le temps de faire ». On lui répond : « Mais qu'est-ce que tu voulais faire ? Qui a déjà fini quelque chose ? » Personne. Il y a un moment où on arrête, c'est tout. Sans limite de temps ni d'argent, je peux passer ma vie à refaire un film.

Photos : (1) Berlinale, (2) et (3) Katarzyna Świerc

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