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Berlinale : Amis journalistes, sommes-nous meilleurs que Christian Wulff ?

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Sergio Marx

Berlin

Wulff, Wulff, Wulff. Aujourd'hui à la Berlinale, tout le monde n'avait que ce nom sur les lèvres : « Il a enfin démissionné ! » « Un tel président est une honte pour l'Allemagne ! » « Bon débarras ! » Les journalistes se gargarisaient : enfin, le président honni s'est retiré pour expier ses horribles pêchés. Je vous passe le reste des réactions de la presse, que vous pouvez lire ici.

Mais que lui reproche-t-on, au juste ?

En 2008, c'est à dire avant même d'être président, Wulff aurait obtenu un crédit à un taux très préférentiel de la part d'un entrepreneur ami. En tant que ministre-président de Basse-Saxe, il aurait en contrepartie invité cette personne à l'accompagner lors d'un voyage officiel. Il aurait également accepté des voyages tous frais payés de la part d'autres manager et entrepreneurs. Des faveurs et relations qu'il n'a pas mentionné lors de son investiture comme président. Fin 2011, lorsque le Bild a pour la première fois formulé ces reproches, Wulff aurait menacé le rédacteur en chef du journal et tenté d'influencer sa couverture de l'affaire. Après sa démission, une procédure a été initiée contre Wulff pour trafic d'influence.

Si ces reproches se révèlent fondés, Wulff se sera bien sûr révélé indigne de son poste et aura mérité l'opprobre populaire. Mais j'appelle chacun d'entre nous à examiner nos habitudes avant de crier « à l'échafaud », particulièrement les journalistes. N'ait-ce pas une pratique répandue que d'accepter des cadeaux de grandes marques afin, soi-disant, d'écrire un papier dessus ? DVD, livres, CD et entrées gratuites aux frais de la princesse. Et puis www.pressekonditionen.de vous connaissez ? Ce site répertorie tous les avantages et réductions que peuvent obtenir les journalistes titulaires d'une carte de presse allemande. Belle distance critique envers les entreprises. Bien sûr, personne n'est obligé d'accepter ces cadeaux. Mais qui le fait vraiment ? « Ah non, je ne vais pas entrer gratuitement dans cette expo, je préfère payer mon entrée comme les va-nu-pieds. » Surréaliste.

Prenons un autre exemple, peut être plus parlant : la Berlinale. Si vous avez de la chance, votre rédaction vous paye vos papiers, ou au moins votre badge, un sésame pour toute une variété d'avantages auxquels le commun des mortels ne peut que rêver.

Vous pouvez quasiment voir tous les films sans restriction et dans les plus beaux cinémas. Pas besoin d'attendre pendant une heure (ou plus) pour acheter vos places 6, 8, 12 ou 20 euro. Pour vous c'est gratuit !

Et vous êtes parfois même le premier à voir le film. Vive les projections presse du mois de janvier !

Une séjour tout confort ! Espace Wifi spacieux, dizaines d'ordinateurs à disposition, la presse quotidienne gratuite, eau minérale à volonté et, cerise sur le gâteau : le sac de la Berlinale, gratuit lui aussi, que tout accrédité s'empresse de porter ostensiblement pour bien se distinguer du menu fretin. Spécial dédicace à ceux qui portent leur badge constamment, même lorsqu'il est complètement inutile, genre au MacDo ou au Starbucks, mais ca fait important, « je suis de la presse, moi ».

Le rapport aux réalisateurs, acteurs et autres célébrités. En tant que journaliste, vous avez un accès privilégié à ces personnes. N'est ce pas un sentiment enivrant de pouvoir tutoyer les stars ? Ou de voir leur film en avant-première et en leur présence ? Vous n'avez pas besoin d'attendre des heures dans le froid pour les voir un bref instant. Et je vous passe l'utilisation ridicule des prénoms : « Brad est vraiment trop sympa » ou « Angelina arrive a trois heures ». Et puis, vous serez bien sûr invité à la soirée open-bar organisée par l'équipe PR du film, en présence exclusive des stars, naturellement.

Je propose donc l'invalidation de toutes les critiques écrites durant la Berlinale par des journalistes accrédités et exige leur démission (la mienne y compris) !

Plus sérieusement. Cette série de cadeaux et d'avantages n'ont-ils pas un incidence sur nos articles ? Ne risque-ton pas d'être plus conciliant si nous voyons les films dans des conditions qui ne correspondent pas à celles dans lesquelles l'immense majorité du public les verra ? Comment est-ce que nos lecteurs peuvent être assurés de notre bonne foi ? Sommes-nous vraiment blanc comme neige, libre de l'influence des organisateurs d'événements et de l'économie en général, comme nous le prétendons ? Non, je ne le crois pas, mais il faut vivre avec et tenter de garder son indépendance professionnelle tant que possible. Oui, facile à dire...

Déverser sa ire sur Wulff est réconfortant, car nous nous distançons ainsi de telles pratiques. Mais ces écarts avec l'éthique nous concernent malheureusement tous.

Photo : Katarzyna Świerc

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