Berlinale : à la recherche du temps perdu
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La journée est déjà bien entamée, pourtant Boris () et Ana () traînent encore au lit. Les amoureux partagent un café, Boris entame la lecture du journal. Un jour comme un autre à première vue. Mais Ana à quelque chose sur le coeur. « Boris, on a besoin d'une pause ». Et Boris s'installe peu après dans un hôtel bon marché. Son couple bat de l'aile.
Esteban BigliardiCecilia Rainero
S'ensuit un voyage erratique dans le coeur de Buenos Aires. Boris n'a plus d'attaches, il flâne d'un coin à l'autre de la ville, sans but. Il s'achète une vielle voiture roumaine, qui se révèle être un misérable tacot qui ne lui cause que des ennuis, mais Boris reste relax. Après la rencontre fortuite d'un ancien camarade du lycée, il traîne de soirée en soirée et vit quelques aventures sans lendemain. Il a perdu le cap, mais n'en a-t-il jamais eu ? Boris semble toujours avoir été comme ça, calme, flegmatique, stoïque même, mais peut-être aussi à la dérive et sans ambition. Il laisse la vie suivre son cours, sans chercher à la contrôler.
Le film de Rodrigo Moreno, Un mundo misterioso, dépasse les cadres narratifs habituels. L'histoire, s'il y en a une, n'est pas une suite de péripéties suivant une certaine logique ou ayant une finalité bien précise. L'enchaînement n'a pas de but en soi. Et Boris reste impassible de bout en bout.
De quoi frustrer le spectateur impatient, notre cinéphile Sandra Wickert notamment, qui se plaint de la molesse du film, dans sa critique (en allemand). « Un peu d'action s'il vous plait ! »
Oui, l'action est aux abonnés absents. D'ailleurs lors de la projection presse, les premiers journalistes ont quitté la salle après cinq minutes d'une virée sans but à bord de la Tokha roumaine. Moi même, au bout de vingt minutes, j'ai commencé à pester : « Comment ZDF et Arte ont pu lâcher de la thune pour un navet pareil, alors tant que réalisateurs crèvent de faim ! » Mais ce début n'est qu'une mise en bouche, car le passage de Boris dans une librairie nous donne la clé de l'énigme. « Je te conseille 'Grand Prix', » lui dit le libraire, « un roman sur fond de course de formule un. Le début de l'histoire est très bien ficelé, mais il se perd ensuite dans des descriptions interminables, on perd très vite le fil. Un peu comme dans la vie en fait. » Le film prend alors une autre dimension.
Moreno nous appelle à nous défaire de nos habitudes de spectateurs friands de scénarios ficelés à la perfection, où chaque personnage a un rôle bien défini et une reparti hors du commun. Il nous montre la réalité, parfois barbante, parfois intense, mais où chaque événement ne fait pas forcement partie du grand Masterplan du Tout-Puissant (bon, là je m'avance peut-être un peu, je laisse chacun à ses croyances). Dans Un mundo misterioso, ce monde mystérieux qui est le nôtre, Moreno veut illustrer l'« esprit d'escalier », cet éclair de génie qui nous vient trop tard. Il nous montre la vie comme elle est, faite d'instants ratés, de conversations sans issues, d'hésitations fatales, mais ayant aussi sa part de poésie. Boris l'accepte ainsi. Quand il demande à Eva si elle veut revenir avec lui, elle répond qu'elle doit se tenir au délai de la pause avant de se décider. « Je ne peux pas changer d'avis comme ca. » « Alors tu joues la comédie là ? » lui dit Boris. Pas besoin, soit toi même.
Un film profondément humain qui appelle à prendre du recul face à l'instantanéité et à la surconnexion du monde actuel, face à cette pression sociale qui veut que chaque instant soit utilisé à bon escient, ce qui, au fond, n'est qu'oppression de l'individu. Un mundo misterioso saura récompenser par sa candide poésie le spectateur prêt à prendre son temps.