Berlin : Leila, le magasin où tout est gratuit
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Imaginez un magasin où tout est gratuit … Cette caverne d’Ali Baba se trouve à Berlin sous le nom de Leila. Le magasin associatif adhére au principe d’économie solidaire et partage tout : objets, idées, mais aussi, responsabilités entre bénévoles. Une question : mais comment ça marche ?
Leila a ouvert ses portes il y a deux ans dans le quartier de Prenzlauer Berg au nord-est de Berlin. Créé par Nikolai Wolfert, le magasin associatif propose à ses 550 adhérents d’emprunter à volonté et gratuitement des objets de la vie quotidienne. Cette initiative solidaire et écolo s’inscrit dans le mode de vie de partage des ressources apprécié des Berlinois.
CONCEPT INEDIT
L’animation devant la façade jaune pastel de Leila détonne dans ce quartier tranquille de la capitale allemande. La porte est déjà grande ouverte, il suffit de passer la tête pour apercevoir une panoplie de jeux de société, canapés, articles de sports, chaînes hi-fi, appareils électroménager… Dans ce trois-pièces de bric et de broc, chacun trouve son bonheur. En seulement une heure, une vingtaine de personnes sillonne le magasin associatif à l’affût de la perle rare. Parmi eux, une jeune berlinoise branchée cherche un tee shirt blanc pour se rendre au Holi Festival. Un petit écolier de 5 ans tend un jeu de construction à sa maman. Un habitant sort fièrement avec un triporteur pour son déménagement. Au milieu de ce va-et-vient, Nikolai Wolfert, le fondateur de Leila, conseille et échange avec les visiteurs. Le Berlinois de 27 ans a imaginé puis conceptualisé l’association en réaction à notre société de surconsommation, caractérisée par le gaspillage. « Sa librairie pour objets », comme il l’appelle, donne ainsi une seconde vie à nos accessoires devenus inutiles. Ce, selon la logique « utilise, répare et recycle ». « Prenez l’exemple de la perceuse, explique t-il. Une étude montre qu’on s’en sert une quinzaine de minutes tous les 20 ans. Après, on l’abandonne dans notre placard. C’est dommage. Leila permet de rendre visible ce que vous avez en trop. »
Dans la première pièce de la boutique, chacun peut venir librement et tout y est gratuit. Les deux suivantes sont réservées aux membres et à l’emprunt. L’adhésion y est simple : faire don d’un objet et de 2 heures de son temps tous les 6 mois – si l’adhérent souhaite aider dans la boutique. Les donations sont les bienvenues mais pas obligatoires. « Leila a vocation d’aller en dehors de l’argent », affirme son fondateur, défenseur d’une croissance zéro, et qui voit avant tout son association comme un hobby ainsi qu'un lieu d’échanges. D’ailleurs, l’association fonctionne également sur le partage des responsabilités entre la dizaine de bénévoles. Brice Arnaudeau, français de 22 ans, a rejoint l’association en début d’année, il apprécie ce système à l’horizontal. « Il n’y a pas de hiérarchie, précise t-il avec engouement. Chaque bénévole décide d’aider selon ses compétences et ses envies. » Ranger, trier, étiqueter, conseiller, promouvoir l'association, chacun cherche sa place dans la bonne humeur.
AMBITION LOCALE, VISION GLOBALE
Leila n’est qu’une facette d’un mouvement berlinois plus global de partage des ressources. Nikolai nomme ainsi d’autres organisations allemandes qui proposent des alternatives à l’hyper consommation. Le site web Food Sharing propose aux habitants de donner leurs surplus alimentaires. Dans la capitale allemande, il n’est pas non plus rare de voir des « Givebox » géantes dans lesquelles les habitants déposent et récupèrent vêtements et objets usagés. Des sites de troc entre voisins et des jardins partagés ont aussi conquis les Allemands. Pour Brice, qui a étudié le développement durable à Toulouse, l’Allemagne est bel et bien un pays précurseur en matière d’économie solidaire. « À Toulouse, quand tu proposes des idées alternatives, tu as encore un peu l’étiquette de hippie ou de branleur qui veut changer le monde. À Berlin, ça prend une toute autre dimension. » L'engagement semble effectivement plus naturel. « C’est évident, on a de moins en moins de ressources et on consomme de plus en plus », affirme Jonas, bénévole de 31 ans. « Mais chacun à notre échelle, nous pouvons agir.»
Créer un système transitoire, l’utopie devient réalité en passant d'abord par le local. « Le but est de resserrer les liens dans la communauté autour d’un même projet », analyse Brice. Dans le quartier résidentiel de Prenzlauer Berg, le pari semble réussi. L’association fonctionne grâce au bouche à oreille et rassemble aussi bien des familles aisées, que des jeunes écolos et des sans abris. Le fondateur, partisan du partage des connaissances, incite d’autres entrepreneurs à exporter son concept. Ce système alternatif local se développe petit à petit et un autre « Leila » vient d’ailleurs de voir le jour à Vienne. Nikolai est persuadé que ce modèle peut fonctionner partout en Europe. Brice ajoute tout de même que certaines normes bénéficieraient à d'autres pays. « Pour que Leila fonctionne bien en France, on pourrait peut être imaginer un maximum d’objets à emprunter ou une petite amende s’il y a un retard », suggère t-il en comparant, avec humour, la discipline de nos deux nationalités.
Mais l’alternative semble prometteuse. Et Nikolai s’en amuse : cette semaine là, pas moins de quatre journalistes de nationalités différentes sont venus l’interviewer…