Berlin : j’y suis, j’y reste
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Anne RivetTyll Schönemann, ancien rédacteur en chef adjoint du quotidien allemand Stern, est l’auteur d’un article dans lequel il tire un bilan plutôt amer de ses années berlinoises et explique sa fuite de la capitale. Vivant moi-même à Berlin, je reste plutôt dubitative après lecture de sa diatribe – habitons-nous vraiment la même ville ?
Cher Monsieur Schönemann, vous écrivez à propos de Berlin en avoir ras-le-bol des tapeurs du métro, des cinglés en tous genres, de la grande gueule des Berlinois et de leur prétendue indifférence. Or, je me permets de souligner que vous avez omis deux ou trois petites choses au passage. Allez, un petit effort, rappelez-vous…
Berlin = tolérance
Où, sinon à Berlin, est-il possible de passer une journée entière avec les mêmes fringues sur le dos sans jamais paraître ni apprêté, ni négligé – soit toute une journée de travail dans une start-up internet branchée, un début de soirée au Staatsoper pour Casse-Noisette, et une bonne partie de la nuit au club Kater Holzig ?
Berlin = tendance
Dans quelle autre capitale n’est-il pas exclu de tomber sur un Quentin Tarantino en train de rouler une grande pelle à une nana tandis qu’on sirote tranquillement une bière d’après-boulot au bar Ankerklause de Neukölln ? Où peut-on voyager en métro en compagnie d’un poney et se retrouver au cœur d’une rave improvisée pendant son footing matinal ? En Allemagne, Berlin figure toujours en tête dans la course à l’insolite. Tandis qu’Hanovre ou Karlsruhe commencent à peine à découvrir le bubble-tea à base de perles de tapioca, à Berlin la boutique dédié à ce thé tendance a déjà cédé la place à un nouveau concept : le kebab 100% fruits. Et la mode des burgers, burritos et autres macarons, qui l’a lancée – pardon, remise au goût du jour ? Les Berlinois évidemment !
Berlin = qualité de vie
Dans le poumon vert de l’Europe, rien de plus agréable que de passer une chaude soirée d’été dans un parc ou au bord de la Spree. En hiver, le sauna du Badeschiff ou le cinéma en plein air comptent parmi les activités quotidiennes. Oui, Berlin est plein d’attention, tout comme ses habitants. Ainsi je me demande, cher Monsieur Schönemann quelles mauvaises expériences vous avez dû faire pour déplorer « la quasi-inexistence d’un sentiment de solidarité » dans la capitale. Il m’est déjà arrivé d’avoir un malaise dans le métro munichois et personne ne m’a porté secours. En revanche, à Berlin, chaque fois un passant s’arrête lorsque, spécialiste des gamelles à vélo, j’atterris dans le caniveau. De la mère de famille qui trimballe son môme à l’arrière de sa bicyclette, en passant par le punk, jusqu’au conducteur de taxi turc, aucun ne m’a laissée repartir seule sans s’être assuré que j’étais apte à continuer mon chemin.
Berlin = potentiel
Vous déplorez que « Berlin encourage la réalisation de projets titanesques en dépit de son manque de moyens financiers, ce qui la pousse ensuite à frapper à toutes les portes de la République ». Ces dernières années, Berlin s’est mué en véritable Silicon Valley et attire désormais la crème des start-up internationales. Preuve du succès, même Ashton Kutcher investit ses dollars dans les entreprises internet berlinoises florissantes.
Berlin = anticonformisme
C’est encore dans la capitale teutonne que David Bowie s’est entiché d’Iggy Pop avant de jeter son dévolu sur Bianca Jagger (actrice, icône de la mode nicaraguayenne, ndlr), voire s’est peut-être même envoyé les deux d’un coup. Berlin compte aussi des serveurs au doux nom de Banane qui ignorent l’existence de Pete Doherty, ainsi que des journalistes à l’origine d’un parti satirique, die Partei.
Berlin, c’est un peu tout ça à la fois
Barcelone peut s’enorgueillir de Messi et de la mer, Berlin n’est pas en reste avec la Alte Försterei et le Mauerpark. Londres se pâme devant la duchesse Kate et le Tower Bridge, ce n’est rien à côté d’Angela Merkel et du Modersohnbrücke. Aux Parisiensles croissants et la Tour Eiffel, aux Berlinois les Currywurst et la Fernsehturm. Bref, Berlin c’est quasiment Byzance, puisque le fameux Kotti au cœur du quartier de Kreuzberg regorge de restos qui proposent les meilleurs Gaziantep-Baklava de tout le pays.
« Mais c’est justement la vie débordante de la capitale qui coupe l’envie d’y rester », écrivez-vous. Mes excuses Monsieur Schönemann, mais vous êtes définitivement à côté de la plaque. Il y a mille bonnes raisons de vivre à Berlin : profiter de la libre réglementation des horaires des bars pour aller boire un coup tous les soirs de la semaine, louer un canoë à Kreuzberg et pagayer jusqu’au lac de Müggelsee, avoir le choix entre un restaurant argentin, asiatique, turc, souabe, éthiopien, italien ou grec dans un rayon de 10 minutes à pied, ou encore pouvoir habiter en colocation après 30 ans sans que personne n’en fasse tout un plat. C’est ici que certains rêves deviennent réalité, comme assister à un cours de roller-danse ou à une projection de film dans le cadre de la Berlinale. Et pour finir, il n’y a qu’à Berlin qu’on trouve des dinner-clubs, des fêtes de démolition, des bars fumeurs, la Fashionweek, le Chaos Computer Club, le popkomm, un karaoké en plein air, le Schwarzlicht-Minigolf (mini-golf fluorescent), et un parc d’attraction à l’abandon peuplé de dinosaures.
Toutefois, je vous accorde que vous n’avez pas tort sur un point, cher confrère, lorsque vous déclarez que « Berlin est la ville de tous les fantasmes ». J’ajouterais que seule cette ville démente et en perpétuelle mutation leur offre un espace d’expression. Cher Monsieur Schönemann, je vous souhaite bon vent à Hambourg, Munich ou Bayreuth, et si jamais vous regrettez votre départ, n’hésitez pas à nous rendre visite, Berlin vous accueillera les bras grand ouverts. Car c’est ainsi que nous sommes, nous les Berlinois.
Lire l'article original sur le babelblog officiel de Berlin
Photos : Une (cc)bluecat/flickr; Texte (cc)mazpho.to/flickr; Vidéos: Pony (cc)Jake Barnhill/YouTube, Bowie (cc)David Bowie VEVO/YouTube
Translated from Warum ich in Berlin bleibe