Berlin et les jeunes expats : juste une illusion ?
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Rencontrer un étranger en galère à Berlin « ce n’est pas ça qui manque » lâche Marion, une étudiante qui a passé un an dans la capitale allemande. L’Allemagne a besoin de migrants, certes, mais à Berlin les loyers augmentent et les boulots alimentaires s’enchainent. Pourtant, de plus en plus de jeunes européens se sentent attirés par l’énergie de la ville, au risque, parfois, d’être déçus.
Explication d’un mirage.
Une petite cour du quartier de Kreuzberg. Des jeunes y discutent et fument sous le soleil, adossés au mur ou assis le long des grandes tables en bois clair. J’entends parler allemand, anglais, italien et espagnol. Kay, professeur d’allemand à « Babylonia e.V », m’avait prévenue : « Je ne peux pas émettre de chiffres exacts, mais de plus en plus de personnes assistent à nos cours d’allemand. Surtout des Italiens, des Espagnols et des Grecs. » Difficile donc d’échapper aux clichés quand il s’agit d’une réalité.
« Tous les jeunes qui arrivent ici travaillent dans un putain de restaurant ! »
Je traverse la cour et arrive devant l’entrée du bâtiment occupé dans les années 80 par l’association « Babylonia » qui propose des cours de langue et aide également les étrangers à gérer la paperasse de l’administration teutonne. Après avoir monté le premier étage, je me retrouve à l’accueil où deux personnes conversent en espagnol pendant que Kay donne son cours de l’autre côté de la baie vitrée. Autour de moi, des posters revendicatifs dont un du Kopi, le fameux squat de punks sur la Kopeniker Strasse. A Berlin, « Babylonia » n’est pas une école comme les autres. Fondée en 1981 par des migrants, les prix sont attractifs et les cours sont plus alternatifs, axés sur la politique et l’actualité. L’un des sujets les plus discutés en cours est par ailleurs la suppression de l’allocationHartz IV pour les nouveaux arrivants. Une politique gouvernementale qui vise en premier lieu les premières victimes de la crise, à savoir les Italiens, les Espagnols et les Grecs qui migrent en Allemagne.
« Bloqués »
« Deux de mes amis dont un Espagnol ont perdu la Hartz IV », me confie Elisa, une peintre italienne de 30 ans qui vit à Berlin depuis presque 3 ans. « Moi je l’ai encore car j’ai travaillé dans un restaurant. Tous les jeunes qui arrivent ici travaillent dans un putain de restaurant ! Mais même avec la Hartz IV, c’est difficile, car elle arrive de manière irrégulière et je dois parfois attendre deux mois avant de la recevoir. » La brunette suit des cours à « Babylonia » et rêve d’ouvrir une galerie à Berlin « parce qu’il y a plus de libertés qu’ailleurs et les gens sont très ouverts. »
Ce n’est pas le cas de Paco qui veut quitter la ville : « Je n’aime pas beaucoup de choses dans cette ville. J’ai eu des expériences personnelles peu réjouissantes. Avant de venir, je savais que Berlin était pauvre. Tu peux facilement t’amuser mais cela prend vraiment du temps de se sentir intégré. » Ce Barcelonais de 31 ans vit depuis 1 an dans la capitale. « Si je veux rester, je dois faire beaucoup de stages car mon expérience en Espagne ne compte pas ici. Je ne peux pas non plus retourner dans mon pays, il n’y a plus rien à faire. » « Coincée », c’est le sentiment que ressent Dafni, une designer de 29 ans originaire d’Athènes : « Je ne peux pas retourner en Grèce à cause de la crise. Je dois décider si je veux rester ou si je veux partir, mais je ne sais pas encore quoi faire. Parfois j’aime cette ville parce que je peux trouver une sorte d’équilibre entre une grosse métropole et une ville plus calme. Parfois je ne l’aime pas parce que si tu ne parles pas allemand, cela prend du temps avant de faire partie de la ville, surtout si tu n’appartiens à aucun groupe spécifique. »
Les prix augmentent, mais pas les salaires
Attirés par la bonne santé économique de l’Allemagne, les Européens affluent de plus en plus dans sa capitale, provoquant l’augmentation des loyers dans certains quartiers. « C’est un mode de vie très relax selon lequel on peut faire beaucoup de choses avec peu d’argent », me dit Alina, une Grecque de 25 ans et étudiante en design que je rencontre dans un café de Kreuzberg. « Mais cela va changer, les prix augmentent très vite. Rien que dans les bars, c’est plus difficile de rentrer. Il est aussi de plus en plus dur de trouver un appartement, surtout à Kreuzberg, il n’y a plus rien en-dessous de 400 euros pour une colocation. C’était inimaginable il y a deux ans. » Avec la fameuse « gentrification » et la hausse de la demande, Berlin connaît une véritable envolée des prix depuis environ deux ans. On peut mettre des mois avant de trouver un loyer. Marcel Krueger, un Allemand qui a vécu en Irlande, raconte comment chercher un appart à Berlin n’est pas si facile et si bon marché : « Le prix moyen d’un loyer a augmenté de 7,9% en deux ans, parfois plus dans les zones "hypes" de Kreuzberg, Prenzlauer Berg et Neukölln. »
Le marché de l’emploi n’est pas non plus favorable aux nouveaux arrivants. Manon, une jeune Française artiste et bloggeuse, a été obligée de quitter Berlin en 2011, où l’on « accumule les petits jobs », écrit-elle dans son blog « Le revenu minimum n’existe pas en Allemagne, aggravant une situation économique déplorable à Berlin – serveuse à quatre euros de l’heure, vous serez souvent obligée de laisser vos pourboires à votre patron qui décrètera que "si vous n’êtes pas contente, il y en a quinze qui font la queue pour ce boulot" ». En gros, si vous êtes artiste, freelance, paumé(e) et fauché(e), que vous aimer la colocation jusqu’à 30 ans, Berlin peut vous convenir. « Beaucoup de personnes arrivent à Berlin sans aucun projet, me dit Amelia, une Italienne de 28 ans en doctorat, je suis venue à un moment de ma vie où je ne savais pas quoi faire. Les gens profitent vraiment de la vie, mais je ne sais pas si je veux vraiment ça, je veux faire quelque chose de concret. Ici on ne peut pas achever quelque chose. »
Une ville pour la recherche de soi ?
Il est communément admis que Berlin est une ville où séjournent des artistes en mal d’inspiration qui viennent dans la capitale allemande moins pour réaliser quelque chose de tangible que pour s’abreuver de son énergie. La nuit tombée après le Karneval der Kulturen, je me retrouve aux côtés d’un van hippiesque ou deux personnes discutent de Berlin. L’un est né ici. L’autre, Axel, est un Français âgé de 29 ans qui vit depuis presque 7 ans dans la capitale. Pour le premier, Berlin n’est pas la ville rêvée, les gens qui viennent « suivent une vague superficielle » qui serait hors de la réalité. Pour l’autre, cette ville est le repère des jeunes qui cherchent un sens à leur vie. Axel, lui, a appris l'allemand sur le tas, est devenu professeur, et a réussi à s’y retrouver. Parce qu'au delà des réalités, Berlin s’apprécie dans ce qu’elle a de plus vaporeux – l’énergie, l’espace, le temps – et bien d’autres sont parvenus à trouver leur compte dans les limbes berlinois.
le nom a été changé
Cet article fait partie de Multikulti on the Ground 2011-2012, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans toute l’Europe. Pour en savoir plus sur Multikulti on the Ground. Merci à l'équipe de cafebabel Berlin.
Photos : Une (cc) johncarleton/flickr (son travail sur Getty Image) ; Texte © Marine Leduc