Berlin : comment l'extrême droite m'a ouvert les yeux
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Julie Tirard[OPINION] L’extrême-droite, par l’intermédiaire de l’AfD a presque égalé le score du parti chrétien-démocrate d’Angela Merkel lors des élections régionales qui se sont tenues à Berlin ce weekend, envoyant ainsi la chancelière dans le camp de l’opposition. Des nouvelles qui sont loin de me ravir, certes, mais qui me font me sentir bien plus Berlinoise que je ne l’ai jamais été.
Dimanche matin, alors que je me rendais au bureau de vote de mon quartier à Berlin, je suis tombée sur un homme et une femme qui promenaient leurs chiens.
« Oh, c’est dangereux », dit la femme en montrant du doigt la balle verte que le chien de l’homme tenait dans sa gueule. L’homme s’est mis à rire : « Il est daltonien ».
« C’est aussi ce que je dis du mien », lui a-t-elle répondu dans un dialecte tout berlinois.
À Berlin, même la couleur des jouets pour chiens est devenue politique en ce jour d’élection. Finalement le chien avait vu juste. C’est une coalition rouge-vert-rouge, réunissant les Sociaux-Démocrates (SPD), les Verts et Die Linke, qui devrait prendre la tête de Berlin pour les cinq années à venir. La CDU, le parti d’Angela Merkel, a obtenu le pire résultat de son histoire et fait désormais partie de l’opposition.
Le grand vainqueur de la soirée est sans aucun doute l’AfD (Alternative pour l’Allemagne, ndlr), le parti populiste d’extrême-droite. C’est la première fois que ce parti se présente à Berlin, mais il a déjà pu compter sur 14,2% des suffrages. Un chiffre déprimant, à l’image du parti. Contrairement à ce que son nom fait croire, l’AfD n’offre aucune alternative politique, sauf si l’on considère que des revendications populistes comme la fermeture des frontières au nez des réfugiés en est une. Les membres de l’AfD n’ont eu de cesse, ces derniers mois, d’enchaîner déclarations racistes et commentaires extrémistes.
Beatrix von Storch, l’une des leaders de l’AfD à Berlin, a par exemple proposé que l’on tire sur les réfugiés qui passeraient la frontière allemande - elle a bien entendu assuré depuis que tout ceci n’était qu’un malentendu. Le parti cherche avant tout à remettre à la mode le terme « völkisch » (populiste, nationaliste en allemand), que plus personne n’utilise aujourd’hui et ce, à juste titre, puisqu’il est à l’origine un concept racial (et donc raciste) utilisé par les nazis. Les médias qui couvraient hier soir les résultats des élections ont donné la parole à un sympathisant de l’AfD qui a expliqué qu’aucun autre parti ne saurait se distancier davantage de l’extrême droite que l’AfD. J’ai fini par éteindre la télé.
Mais ne nous focalisons pas seulement sur le négatif. Cette élection a quand même vu le taux de participation atteindre son plus haut niveau depuis 2001. Les 100 000 électeurs qui ne s’étaient pas rendus aux urnes en 2011 ont fait entendre leur voix cette fois-ci. Malheureusement, c’est l’AfD qui en a profité, bon. Mais l’essentiel pour une démocratie c’est quand même que les électeurs s’expriment. Sinon quelle serait l’alternative ? Dire aux gens de ne pas aller voter pour obtenir le résultat souhaité ? Ne rions pas trop vite, c’est ce qu’ont proposé certains experts en communication proches du SPD (le parti socio-démocrate ndlr) il y a quelques mois de cela.
C’est la première élection régionale à laquelle je participais à Berlin, ayant emménagé dans la capitale en février 2012, et bizarrement, elle m’a fait me sentir bien plus Berlinoise qu’auparavant. Je n’ai jamais vraiment voulu vivre à Berlin, je suis venue ici pour un stage et suis restée pour un emploi. Je suis plus une Berlinoise de tête que de cœur dirons-nous. Mais quand hier soir, à la télé, j’ai vu la colère, l’insatisfaction sur les visages de tous ces Berlinois grognons, je n’ai pu m’empêcher de me sentir outrée, au nom de la ville elle-même. À les écouter (sans parler des voix dramatiques que prenaient les journalistes) on avait l’impression que Berlin était le pire endroit où vivre en Europe.
Certes, on peut se plaindre de beaucoup de choses à Berlin : notre super nouvel aéroport disparaît chaque jour un peu plus sous des milliards d’euros investis et personne ne sait vraiment s’il existera un jour. Les chantiers s’ouvrent par centaines sans jamais se terminer, les services administratifs relèvent du chaos – ça n’a pas attendu l’AfD. Oui, Berlin peut être une emmerdeuse, une vraie. Mais c’est la nôtre.
Translated from Ich bin ein Berliner - and it took the AfD to make me see it