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Berlin : boxe thaïe au féminin

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Style de vie

A Berlin, l’association Lowkick propose aux femmes, cis-genres ou trans-genres, de pratiquer les arts martiaux et l’autodéfense dans un espace non mixte. Rien de plus normal dans cette ville que d’aucuns considèrent comme la capitale queer et féministe de l’Europe. Reportage en immersion lors d’une séance de boxe thaïe.

Elles sont en sueur. La séance a commencé depuis un quart d’heure à peine, mais déjà, les vitres se couvrent de buée. Vendredi soir à Berlin. Le cours de Ruth rassemble aujourd’hui huit participantes. Toutes accros à la boxe thaïe, qu’elles pratiquent depuis deux ans dans ce club féministe de Neukölln (quartier du sud de Berlin, ndlr). « Dans les clubs mixtes, j’avais l’impression d’avoir quelque chose à prouver pour pouvoir être prise au sérieux », explique Caro, cheveux courts, tatouage sur la nuque et minishort rose. Habituée des cours d’arts martiaux, Nicole aussi compare avec la pratique en club mixte : « Soit on ne te frappe pas parce que tu es une fille, donc tu es fragile, soit on te frappe trop fort parce que tu es une fille, donc il faut prouver qu’on est meilleur ! »

Une aventure féministe et pas seulement féminine

« C’est un milieu particulier : il y a une origine militaire, et un rapport de révérence au maître »

Donner aux femmes un espace non mixte où pratiquer la boxe thaïe, le kick-boxing  et l’autodéfense, c’est l’objectif de Lowkick, créé en 2009 par ClaudiaInken et deux de leurs anciennes élèves, Ruth et Gisa. Lowkick compte aujourd’hui 250 membres. Une aventure féministe, et pas seulement féminine, nourrie des pratiques élaborées depuis une vingtaine d’années dans les espaces militants. « Pour certaines, un club féministe, c’est le seul endroit où tu n’auras pas à penser à ton genre. Les jeux de pouvoir non plus ne sont pas les bienvenus », précise Ruth, le regard franc et un large sourire aux lèvres.

Ce soir, comme avant chaque cours, les participantes, assises en cercle, prennent le temps de se présenter et de dire comment elles se sentent. L’une s’est fait mal au pied. L’autre veut faire attention à son épaule. « Une façon de dire que ce sont des individus qui viennent ici, avec leur histoire », commente Ruth. C’est que la démarche féministe de Lowkick se veut aussi critique par rapport au monde des arts martiaux. « C’est un milieu particulier : il y a une origine militaire, et un rapport de révérence au maître », continue Ruth. Lowkick propose une autre approche. Et celles pour qui le prix est trop élevé - entre 25€ et 50€ selon la formule choisie - peuvent en parler à l’équipe pour trouver une solution.

Ich bin ein Berliner queer

Un peu de course, quelques pompes, et l’échauffement à deux commence. Sous les néons, le sol jaune, recouvert de tapis de sport, impose à la salle sa couleur. Dehors, la nuit tombe. Les mains protégées par des bandages, les boxeuses répètent un même mouvement. Atteindre la tête de l’adversaire à droite, répondre en touchant les côtes à gauche. Le geste doit devenir mécanique. Le « bip » de la boxensport, un petit boîtier noir que Ruth a posé à côté du lecteur de disque, fixe la durée de chaque exercice, et rythme la séance.

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La boxe thaïe , plus féministe qu’un autre art martial ? « Non ! » rigole Ruth, « C’est par goût ! On utilise tout le corps, y compris les jambes. Alors que dans la boxe, c’est seulement le haut du corps. Et dans le kick-boxing, on n’utilise pas les genoux ni les coudes. »

Caro enlève les piercings qu’elle a dans le nez, et enfile son protège-gencives. L’échauffement est terminé. Place à l’équipement intégral - protège-genoux, jambières et gants. Sur fond de musique de combat thaïe ressortent les « tss ! tss ! », qui accompagnent chaque coup porté. Car le coup se fait à l’expiration. Et pour être sûre d’y penser, on émet un son. « Tss ! tss ! ». Envoyer les coudes dans les poings de l’adversaire, placés à hauteur de sa tête.

La première fois, Neko est venue pour l’autodéfense. Pauline, elle, voulait faire du kick-boxing. Aujourd’hui, elles sont toutes les deux là pour le sport et l’ambiance. « Et puis, sans même t’en apercevoir, tu acquiers mentalement des réflexes, tu gagnes en confiance », analysent Caro et Maria. Voilà qui rappelle l’empowerment, à l’œuvre dans l’autodéfense. L’empowerment ? Jayrome C. Robinet, auteur du blog Ich bin ein Berliner queer, décrypte : « Ça implique la conscience de là où tu veux aller - par exemple, te sentir en sécurité. Les leviers pour y parvenir. Et la légitimité que tu ressens à utiliser ces leviers. C’est souvent le troisième élément qui manque, et que l’autodéfense permet de travailler, avec la dimension psychologique. » Lowkick propose aussi des cours d’autodéfense. Mais pas ce soir. Ruth tient à éviter toute confusion. « Si tu te retrouves menacée par un mec armé d’un poignard dans la rue, tu as plutôt intérêt à réagir avec des techniques d’autodéfense qui te feraient sortir du ring dans n’importe quel match ! La boxe thaïe, le kick-boxing ou la boxe impliquent le respect de règles précises. »

« Tss ! tss ! ». Le cours s’achemine vers sa fin. Combat libre et derniers exercices de corps à corps : saisir la tête de l’adversaire entre ses bras et frapper son ventre avec le genou. Ruth a remplacé le CD de combat thaï par celui du groupe allemand de ska-reggae, Irie Révoltés :

« Oh - les révoltés sont back again, denn der Wiederstand muss weiter gehen. » [« car la résistance doit continuer »]

En rythme, les genoux frappent les ventres.

« Oh - les révoltés sont back again, la musique et le mouvement coulent dans nos veines. »

La question de l'inclusion des trans

8h30, le cours se termine. On enfourche les vélos dans l’automne berlinois, direction Weserstrasse, la rue branchée de Neukölln.

Ce soir, toutes les participantes étaient des femmes cis-genre[1]. Lowkick s’adresse aux « personnes qui acceptent l’identification au féminin » - y compris les femmes trans[2] donc. Une fois par semaine, un cours est ouvert à toutes les personnes transgenres. Attablées autour d’une bière, les boxeuses tombent d’accord. Au-delà de cette politique, le club n’a pas la réputation d’être très accueillant pour les trans. « La question de leur inclusion revient tout le temps », souligne Caro. « Ça fait aussi débat à Seitewechsel », le club de sport lesbien old school de Berlin. « Ce qui manque à Lowkick, c’est surtout un espace pour ouvrir cette discussion, quel que soit le choix retenu », ajoute-t-elle. Car, si elles aimeraient que le club soit plus ouvert aux autres identités de genre, elles reconnaissent aussi la nécessité d’espaces réservés aux femmes.

La première fois que la boxe féminine a été autorisée aux Jeux Olympiques, c’était à Londres. En 2012. 

[1] Cis-genre : personne pour laquelle il y a concordance entre l’identité de genre et le sexe déclaré à l’état civil à la naissance. Par opposition à trans-genre

[2] Femmes trans : personnes qui s’identifient comme femmes mais dont le sexe déclaré à l’état civil est « mâle ». Ces personnes n’ont pas nécessairement eu recours à une opération et/ou une prise d’hormones.

En partenariat avec l'Office franco-allemande de la jeunesse (Ofaj), cet article fait partie d'Orient Express Tripled, une série d'article par cafebabel.com écrit par des journalistes résidents dans les Balkans, en Turquie, en France et en Allemagne. Plus d'informations sur le blog ici.

Photos : Une (cc) dabemurphy/flickr ; Texte : toutes photos © Céline Mouzon