Benjamin Sportes : grande bouche de la musique
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Le musicien Benjamin Sportes, ex-Sporto Kantes - formation française reconnue dans l’univers du rock-electro - revient avec un nouveau projet. Porté par un avatar braillard, Mr. Bouche, Futuro Pelo a déjà sorti quelques morceaux. Le bon moment pour évoquer un parcours sinueux, du Londres des Eighties à la Twingo, en passant par les Minikeums.
Mr Bouche, c'est un mec un peu excité, une sorte de diva déglinguée. Une grande gueule un peu braillarde, un peu roublarde. Un fan de rock, agité, aux airs de vieux punk sur le retour. C'est surtout le frontman d'un tout nouveau groupe de musique : Futuro Pelo. Déjà quelques morceaux sortis, passés depuis quelques mois sur France Inter et Radio Nova, d'autres en préparation, avec un album en vue après l'été 2018.
Entre Elvis et Johnny Rotten
Si Mr Bouche est un peu cavalier, sa musique, elle, est plutôt cabotine, douce et espiègle, dansante, pop façon sixties. Le type sait swinguer. Mais Mr. Bouche, c'est une invention, un avatar sorti de la tête de l'artiste Benjamin Sportes, crâne chauve comme sa création. Lâché comme ça, le nom trouve peu d'écho. Sportes, c'était l'une des deux moitiés du duo electro-popo-jazzo-reggae-rock Sporto Kantes, génies du puzzle musical, à mi-chemin entre l'épopée western et la balade amoureuse au pied du mur punk. Le légendaire jingle de la pub Twingo Whistle, c'est Sporto. « Lee », le générique de la série Canal Kaboul Kitchen, toujours eux. Deux sons dansants, entraînants, excitants, tirés parmi les quatre albums qu'ont produit Benjamin Sportes et son comparse ex-Wampas, Nicolas Kantorowicz, entre 1998 et 2013. Des Laurel et Hardy explosifs, tapés par le punk et le rockabilly, cinéphiles et mélomanes, ensemble pendant quinze ans, des débuts discrets à quelques grands tubes. Jusqu'à la lassitude, il y a quelques années. « Sporto, fallait que ça se termine, confesse Benjamin Sportes, habillé d'un élégant caban marin, loin des extravagances vestimentaires de son personnage. J'étais essoufflé, humainement, artistiquement. L'histoire était pliée. »
Là, le doute, le désert. À presque 50 ans à l'époque, le musicien ne sait plus trop où aller. « Je me suis lancé direct dans un projet avec un autre gars, mais ça n'a pas fonctionné, assume l'artiste. Je saturais, je n'arrivais plus à faire de musique. Ni même à en écouter. » C'est là, dans ce flottement, qu'est né Mr Bouche. Sur le papier d'abord, comme le héros d'une BD foutraque, au gré des voyages, des rencontres, des concerts auxquels assistait Sportes. Un alter ego dingo, sapé un jour comme Elvis, comme Johnny Rotten un autre. Une ébauche mais pas encore un projet.
Difficile de renaître après Sporto Kantes. C'était le projet-phare. Mais loin d'être le seul. Benjamin Sportes, l'air toujours enfantin et espiègle, naît à Boulogne-Billancourt, en 1966. Il découvre la guitare vers 13-14 ans. et monte un groupe de rockabilly avec des potes de lycée, The Wanderers, en tant que batteur. « On a joué avec toute la scène pré-alternative, la Mano Negra etc.», se souvient-il. Pas de doute : sa voie sera celle de la musique.
Les années folles
Arrive le temps des études. Le paternel insiste pour l'envoyer à Londres. Il s'inscrit en école d'art, intéressé par les décors de cinéma. « J'étais super content mais il fallait que je quitte mon groupe », déplore Sportes, qui ne regrette en rien ses années londoniennes. Londres, dans les années 80 ? La teuf. « Cinq ans de folie, lance sans hésitation le musicien. Une ville de dingue, tout était moins cher qu'à Paris. Une expérience de malade. C'était une explosion de... tout ! ». Benjamin finit ses études, et revient en France en 1991 avec un diplôme et des musiciens anglais dans les poches. Avec eux, il monte Torpedo. C'est à ce moment qu'il commence à collaborer avec Nicolas Kantorowicz. « On s'est rencontré en 1991, rappelle Sportes. On a accroché direct. Comme un frangin. Quand il s'est fait lourdé des Wampas, je lui ai proposé d’être le bassiste de Torpedo ». Le groupe enregistrera deux albums, avant de se séparer en 1996. Mais à côté, il faut bosser. « Le chanteur des Wanderers était devenu producteur télé. Il m'a proposé de bosser sur son émission comme décorateur : les Minikeums. On était une équipe de fou. Que des potes. » Pendant huit ans, Benjamin Sportes s'éclate avec les Minikeums sans jamais délaisser la musique. « L'émission s'est mise à marcher au bout d'un an. On m'a proposé d'être chef déco mais j'ai refusé pour préserver la musique ».
Au milieu des années 1990, Sportes est sur un projet éponyme, produit par Éric Serra, compositeur attitré des musiques de film de Luc Besson. Curieux et prolifique, Sportes s'intéresse aux machines. Plus pour le fun qu'autre chose. Il achète un atari et on lui file un sampler S2000. « Je bossais dessus tous les jours. Comme un malade, je samplais des milliards de trucs. Tout, rockabilly, dub, hip hop, classique. Tous mes disques ! Une liberté de création énorme. Un jour, Nico est passé à la maison, il a halluciné. » C'est la grande époque de Massive Attack, de déffrichage electro, de la French Touch. « Nicolas a toujours su sentir les modes, il a des antennes, il butine. Il prend des sons et les amène au label Gum. Les mecs ont tripé. Et veulent nous signer. »
Sans que personne ne s'en rendent trop compte : voilà, Sporto Kantes était né. Mais Benjamin Sportes est frileux : « Je venais du rock, je voulais chanter, pas être derrière mon ordi. Le mec voulait signer quatre boucles que j'avais faites. Du copier-coller. Je n'avais pas vraiment capté ce moment qui a switché. J'étais dans des vieux trucs. Mais Nico, oui ». Le duo se lance quand même. Après un premier maxi, Sportes veut laisser le bébé à Kanto. Mais le label insiste. Benjamin reste. Premier concert : « Première partie de Muse en 1998 à la Route du Rock. L'ampleur de Sporto Kantes m'hallucinait. C'était pourtant du bidouillage ». Qu'importe, Nicolas Kantorowicz est super chaud et motive les troupes. Sportes fait deux albums avec Sporto Kantes, à reculons : Act. 1 et 2nd Round. Les Inrocks, Le Monde, les médias suivent. « Mais moi, j'étais dans Sportes. En 2006, je pars avec au Sri Lanka, à un festival. Ma femme se tire avec l'organisateur, je chope un parasite, je vais à l'hosto. J'ai pas un rond. Crise existentielle. Je me dis, Sportes, c'est terminé. Man, qu'est-ce qui marche dans ta vie ? ». Réponse en deux mots : Sporto Kantes. Mais le label, après des ventes mitigées pour le deuxième album, hésite. « Et là, Nova appelle : ils ont placé Lee sur une pub Fructis de Garnier. La thune tombe ». Sporto Kantes rempile finalement pour un 3e album : 3 at last. « Et là ça décolle. À l'été 2008 ». Renault veut un titre de l'album, Whistle, pour la pub Twingo. « Jackpot. C'est grâce à ça que je peux encore faire de la musique aujourd'hui ». Depuis, le cinéma d'auteur aussi a utilisé des sons de Sporto Kantes : Audiard et Kechiche en tête.
« Benjamin, c’est une machine »
Quatre ans plus tard, sort un 4e album, 4. « Ça a été le plus dur à faire. J'en pouvais plus. C'est ce qui a mis un terme au groupe. Même la tournée qui a suivi était moins excitante... 15 ans quand même, c'est pas rien ». La fin de Sporto Kantes. Et le début d'une histoire d'amour. Mélanie, une femme avec qui il a une fille aujourd'hui, et qui chante et écrit avec Futuro Pelo. Le nouveau projet est né doucement. « Après Sporto Kantes, j'ai eu du mal à me remettre à la musique », confesse celui qui a toujours travaillé et enregistré chez lui. Le déclic ? « Des potes qui m'invitent dans leur studio en 2015. Entre temps, je m'étais remis à dessiner ». Mr Bouche apparaît là, timidement, sur les réseaux sociaux, dans des cercles intimes. Futuro Pelo naît dans cet interstice, naturellement. « De la fabrication, au fur et à mesure. » Puis, avec quelques morceaux en boîte, des mails sont envoyés à des labels. Le seul qui répond : Pain Surprises, qui travaille avec Jacques et Jabberwocky entre autres. Des types de 25 ans, plutôt habitués à bosser avec les copains. Étienne Piketty en est le manager : « Je connaissais Sporto parce que mon père en est fan ! Ça m'a fait marrer de recevoir le mail de Benjamin. On a bien kiffé la démo et on l'a rencontré. On a vu débarquer un mec de 50 ans, c'était drôle. Mais il est super ouvert, il a des idées. Et puis, il a énormément d'expérience ». Le label accroche aussi au concept d'avatar, et soutient Benjamin dans la démarche globale. « On aime les artistes qui dépassent la musique, qui gèrent eux-mêmes l'image de leur projet. On aime que tout viennent d'eux », assure le jeune manager. Benjamin Sportes confirme : « Ils communiquent de façon atypique. Ils laissent les artistes dans leurs univers ». Si Benjamin reste toujours modeste sur son travail, le label, qui a déjà organisé récemment quelques concerts de Futuro Pelo, salue son efficacité : « Benjamin, c'est une machine, un bosseur. On lui dit un truc, il ramène une nouvelle version en deux heures ».
Rien d’étonnant. La coolitude et le flegme musical ont toujours habité le travail de Benjamin. Lui, bosse tranquille son EP à venir, et l'album à sortir. Avec un petit espoir. « Un des meilleurs concerts de Sporto Kantes, un des meilleurs souvenirs, c'était La Cigale, en 2012. La foule était en liesse. On n'avait rien prémédité avec Sporto. Mais j'aimerais bien arriver à une belle Cigale comme ça avec Futuro Pelo ». Une simple histoire de bidouillage ?
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