Benjamin Schoos : poète et boxeur
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Arthur calme l’ardeur du chaland d’un mouvement simultané des deux mains. S’ensuit un interminable soliloque sur les vertus de l’état d’équilibre d’un système donné au niveau macroscopique. Benjamin bien dans ses schoos. A la moiteur de l’après-midi succède la douce odeur du crépuscule. Le soleil se couche et ses rayons s’affaissent peu à peu sur les lames des stores vénitiens.
Arthur a mal au ventre. C’est le chinois qu’il vient d’avaler ou le sentiment d’inquiétude quand au déroulé de ce soir qui le pèse ? Arthur fume. Il fume en se disant qu’il n’arrêtera sûrement jamais. Ses pensées s’évaporent souvent dans les volutes de fumées qui s’échappent par le vasistas de sa fenêtre.
Dans l’ambiance tamisée de l’appartement, un corps frêle en sommeil est étendu juste derrière lui. C’est une femme nue dont la poitrine s’anime au rythme de ses respirations cadencées. Elle est allongée - une de ses jambes fourrée dans les draps – lovée dans une sorte d’alcôve dessinée par le renfoncement d’un escalier. Sur l’omoplate laissée visible, un tatouage : « Marquise »
Hormis la pâle lueur du soleil orange, la seule lumière qui éclaire l’appartement émane du petit moniteur branché sur une chaine de catch. China Man contre China Girl. Un combat inégal. Arthur s’habille à la hâte jetant de brefs coups d’œil à l’écran. Et éteint la télé dans un léger raclement de gorge.
Quand il descend de chez lui, les lampadaires de la rue sont déjà allumés. La publicité digitale de l’artère principale fait scintiller son message commercial : « Je ne vois que vous ». Il pénètre dans l’obscurité d’une rue exiguë. La pénombre est épaisse et la fumée de sa cigarette se mêle à la vapeur qui se dégage des nombreuses bouches d’aérations de la ruelle. Si l’on prête l’oreille on peut entendre les notes d’un saxophone provenant d’un bar attenant. Quand Arthur réchappe de son raccourci, il est devant une place. Noir de monde.
Ici et « Maintenant »
Les gens s’agglutinent devant une affiche rouge - vive - dont les lettres sont frappées en chinois. Seules les plus curieux pourraient voir l’astérisque qui renvoie vers le libellé français : « A 19h, ici même, Maintenant se saborde ! » Voilà la raison pour laquelle la petite place se mue ce soir-là en une véritable fourmilière : le torchon le plus crade de Paris jette l’éponge. Quand Arthur vient se greffer à l’affaire, il est 18h55.
Lunette mercure sur les yeux, Arthur se fraye un chemin parmi la foule. En cinq minutes, il est en projeté au centre, adossé au mur. Sans aucune expression, Arthur calme l’ardeur du chaland d’un mouvement simultané des deux mains. S’ensuit un interminable soliloque sur les vertus de l’état d’équilibre d’un système donné au niveau macroscopique.
C’est à une véritable logorrhée qu’assiste la petite centaine de badauds présente. Celle-ci est paradoxalement captivée pendant une heure – non pas par le contenu de la théorie proposée mais plutôt par le charisme de celui qui la professe. Affublé d’un long imperméable gris dont l ‘échancrure laisse deviner l’élastique d’un short Everlast, Arthur survole la session d’une abracadabrante éloquence. Venue assistée à un suicide, la cohue s’éparpillera, penaude, sur une leçon de rhétorique.
Tout Shoos
Il n’en fallait pas plus pour redonner à Arthur l’aplomb nécessaire pour affronter son rendez-vous. Sa douleur à l’estomac s’est dissipée. Et il a une pensée émue envers Renée avant d’entrer par l’arrière-cuisine de la salle de boxe. Il consume une dernière cigarette avant d’enfiler ses gants et de monter sur le ring. Face au champion du monde des poids lourds. Un combat inégal.
Arthur tombe au sixième round sur une énième droite de Jack Johnson. Arthur est China Man. Jack, China Girl. Sur la civière qui le transporte vers l’ambulance, il songe – plongé dans un demi-coma – à combien sa vie fut impropre. L’entropie, le catch, le dandysme et la mélancolie... Arthur, au XXI siècle, se sera même inventé une filiation avec un aristocrate anglais. Poète et boxeur. Sa vie - son existence – est une escroquerie. La différence, dans ce nihilisme ambiant, c’est qu’il le sait. Qu’il en a joué. A fond. Tout Shoos.
Le LP de Benjamin Schoos, China Man VS China Girl, sortira le 9 avril 2012.