Belgrade Off : une jeunesse entre engagement et enthousiasme
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(Photo © Alpin Charbaut pour Orient Express Reporter II à Belgrade) « La ville blanche » jouit d’une effervescence artistique et culturelle. L’émergence d’une culture alternative est véhiculée par une minorité active qui montre sa volonté d’aménager les espaces publics en friche. Ces différentes ONG, centres culturels, squats, tentent de donner une image moderne de leur ville.
Rencontre avec cette nouvelle génération, partisans engagés de la off culture.
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On se souvient de l’épicentre de l’underground belgradois : l’Akadamia Club dans l’ouvrage de Matthew Collin : This is Serbian calling. De nos jours, ce rassemblement de jeunes étudiants en art s’est propagé à divers endroits de la ville proposant événements culturels, expositions, concerts, débats… C’est par une déambulation dans ces lieux atypiques, reflétant l’expansion de la culture serbe moderne que Dobrica me présentera ces jeunes activistes. En se promenant dans le centre ville, Dobrica serre des mains à chaque coin de rues. Je commence à comprendre l’implication et la popularité de ce trentenaire. Il lutte actuellement pour rendre accessible les espaces publics enSerbie aux initiatives citoyennes. En 2009, il a lancé la campagne « ouvrez les espaces publics » en partenariat avec les institutions de la ville et les différents groupes de jeunes pour chercher des solutions à l’aménagement des espaces inoccupés. En sensibilisant les citoyens, ces jeunes tentent d’élargir cet activisme civique en dépit d’un manque de volonté politique.
Dobrica en train de téléphoner à la Street Galery de Belgrade.
« L’activisme est l’optimisme du pessimisme »
Les locaux du centre de jeunesse, Vega.93 Bulevar Kralja Alexander. Dans ce local anciennement destiné à la production de films et maintenant réaménagé, deux jeunes femmes, Dubrawkaet Jovana, dirigent le centre de jeunesse Vega et y organisent discussions et débats. La réunion de la veille avait pour thématique l’avenir de leur local. « En Serbie, les taxes sont énormes même pour les petites organisations », souligne Jovana. Ils n’ont effectivement plus assez de contributions financières personnelles pour assurer la longévité du lieu. Dans cet endroit se mélangent également une trentaine de personnes ayant lancé la No radio, radio sur Internet ayant pour but de promouvoir la jeune scènealternative. On parle de société, de culture. On aide les jeunes serbes à élargir leur compréhension sur les cultures qui les entourent. Quant au futur de la culture belgradoise, Jovana préfère le terme d’enthousiasme à celui d’optimisme. Dans cette microsphère, les idées émanent de tout le monde même si elle admet que seulement une minorité peut être constamment active dans l’organisation des événements.
Car à Belgrade, un certain exode semble s’appliquer aux artistes. Un secteur traduit lui aussi la sévère tendance des jeunes à s’exiler. Entre 2001 et 2011, il est estimé à environ30 000 le nombre de jeunes serbes ayant décidé d’émigrer par manque de travail ou de possibilités professionnelles dans leur domaine. Entre la Sava et la vielle ville, le KCGrad réunit pendant 10 jours l’exposition d’une dizaine de sculpteurs contemporains. Même si certains admettent volontiers que « tout passe ne premier lieu par la culture underground », beaucoup déplorent le manque de moyen pour « avoir la possibilité de créer plus de projets ambitieux ». Et rêvent d’ailleurs : Asie, Europe de l’Ouest ouScandinavie sonnent souvent comme des terres promises.
L’engagement vert
Tatjana et Dragan devant leur maison de “hobbit”, le siège de l’ONG“KultUrban”. | Selon leur site Internet, c’est plutôt un lieu festif où sont organisées des soirées reggae, ska, grunge et des évènements tel que le Belgrade Beer Fest en 2008.Autre alternative, pas mal de jeunes artistes restent pour faire de l’engagement une sorte de mantra. En l’occurrence, l’activisme écolo. Le long du Danube, dans le quartier de l’Ada Huja, familles et promeneurs flânent sur les berges. On sent l’essence d’un endroit fraichement construit, bordé par de larges étendues en friche. Ce nouvel espace vert abrite une cabane peu habituelle. Une petite hutte en forme circulaire, un toit tapissé de bois et d’herbe et de murs de paille attire mon attention. Une originalité émanant des deux responsables de l’ONG «KultUrban », Tatjana et Dragan, un jeune couple satisfait d’avoir pu mener à bien la création de cette maison écologique, favorisant une moindre consommation en utilisant des sources d’énergie renouvelables. Ce projet reflète leurs volonté de, comme le déclare Dragan, réaliser avec peu d’investissements, un endroit novateur et respectueux de l’environnement. Mission quasiment accomplie pour ce projet car après avoir réalisé des défilés de mode écologiques, des ateliers artistiques et pédagogiques en partenariat avec les écoles de la ville pour récolter des fonds, cette maison hobbit apparait comme leur plus gros projet depuis la création de l’ONG.
De retour dans la ville, on croit revenu le temps des botellónes espagnols. Pas du tout. Dans le passage situé entre le square Nikola Pasic Square et la rue Nusiceva, la rue a pris depuis le mois d’avril une autre envergure. « Il faut que la jeunesse s’exprime », déclare une passante. Les avis des locaux sont mitigés mais ceux qui se plaignent de ne plus pouvoir garer leur voiture devront s’y faire. Le collectif Mikroart a pu enfin donner le jour - au bout d’un an et demie de longues démarches administratives - à cette galerie de rue. Danilo Vukovic exprime d’ailleurs son enthousiasme lors de l’inauguration de son exposition « Kunstleri Pariz-beograd ». « Paris et Belgrade sont des villes proches », me confie t-il. Par ses autocollants juxtaposés à des photos, il expose la nostalgie d’une époque d’insouciance où se mélangent amitiés, enfance, la peur et l’amour… une époque où l’inquiétude n’existait pas.
Squats else
Pourtant, l’expression artistique reste un leitmotiv absolu pour les jeunes belgradois. Et ce, en dépit des vicissitudes sociales ou économiques. Le centre culturel Bigz - énorme bâtisse fruit d’une ancienne usine d’édition abandonnée, s’est maintenant reconvertie en lieu incontournable de la nouvelle scène serbe. Le Bigz concentre des studios publics que les artistes peuvent louer. Je rencontre Srdjan, ce jeune serbe de 22 ans qui change les peaux de ces tommes de batterie avant son concert du soir. Il jongle entre petits boulots, ses études et sa passion pour la musique dont il rêve de vivre. Il loue mensuellement le local pour 300 euros environ avec son groupe mais pour lui il n’y a pas de prix pour la musique. Je descends au sixième étage. On jongle du punk à l’electro et les locaux aménagés deviennent des bars publics où le Rakija coule à flot. Dynamiser les lieux publics abandonnés, c’est ce qu’a appris à faire cette minorité de jeunes engagés. Pour ouvrir les mentalités, pour montrer à leur ville que leur implication rendra une image dynamique et moderne. Efforts durant, ils leur faudra néanmoins de l’énergie et de la motivation pour donner à Belgrade un statut de ville culturelle européenne.
“Drummer in the dark” | Srdjan, 22 ans, batteur engagé. Au centre culturel Bigz.
Cet article fait partie du projet d’Orient Express Tripled, avec le support de l'OFAJ