Belgique : scrutin en noir et blanc ?
Published on
Seuls 15,7 % des étrangers sont inscrits sur les listes électorales aux municipales du 8 octobre. De quoi alimenter la rhétorique xénophobe du Vlaams Belang.
« D’façon c’est que des voleurs ! » Manuel, 27 ans, lance un œil mauvais aux candidats aux municipales dont les visages soignés sont placardés sur les vitrines des commerçants. Au programme : sourires figés et slogans aguicheurs. Dans le quartier métissé de la gare du Midi, beaucoup de ces prétendants électoraux sont issus de l’immigration. Une façon pour les partis politiques de draguer les 25% de votants non Belges recensés à Bruxelles. La stratégie a toutefois ses limites : « J’aime pas voter pour des étrangers », reprend Saïd, un Marocain de 23 ans. « Quand c’est quelqu’un de ton pays qui se présente, il est pire que les autres. »
Deux ans après la loi accordant le droit de vote aux étrangers extra-européens lors des élections locales (approuvée en février 2004), les résultats sont loin d’être à la hauteur des débats houleux qui avaient mis en difficulté le Premier ministre Guy Verhofstadt et son parti VLD [droite libérale flamande]. Leur taux d’inscription n’a pas dépassé 15,7% -soit environ 17 000 personnes-sur l’ensemble du territoire. Pour participer au scrutin, une condition de fonds était requise par les autorités : la résidence légale sur le sol belge depuis au moins 5 ans.
«Les dizaine de milliers d’étrangers récemment naturalisés, les personnes âgées, celles arrivées récemment dans le cadre du regroupement familial ou provenant de nouveaux pays de migration comme l’Iran ou l’Asie n’ont pas voté. Il faut du temps pour faire rentrer la culture démocratique dans une population », tente de justifier Henri Goldman, spécialiste des migrations au Centre pour l’Egalité des chances et la lutte contre le racisme. Avant de relativiser : « combien de Belges se seraient déplacés aux urnes si le vote n’était pas obligatoire ici ? » Car dans le plat pays, zapper le scrutin peut coûter cher : l'abstention est une infraction, punie par la loi. De quoi tempérer les ardeurs de certains. Goldman résume : « si la proportion d’inscrits étrangers est décevante, elle varie aussi en fonction des initiatives communales.»
Paperasserie migrante
Les stands multicolores du marché dominical ont envahi le parvis de l’église romane de Saint-Gilles : promotions bruyantes et effluves de poulet grillé viennent narguer la foule rieuse, agglutinée sur le bitume. Dans ce quartier de l’agglomération bruxelloise où près de la moitié des 44 000 habitants est d’origine étrangère, le score affiché pour les municipales est plus prometteur que la moyenne nationale : 20% des résidents immigrés se sont inscrits. Dans son bureau aux panneaux boisés encombré de dossiers, Lionel Kesenne, l’assistant de l’échevin en charge de l’état civil, n’hésite pas à vanter la méthode utilisée par l’administration locale : « un formulaire a été adressé à chaque électeur désireux de s’inscrire, sans compter les affiches ou manuels détaillant les modalités de vote, relayées ensuite par le tissu associatif. »
Pour autant, certains médiateurs sociaux s’empressent de pointer une mauvaise préparation de cette campagne de sensibilisation : « être citoyen quand on est assisté cela ne veut rien dire», lâche Anissa Benabi, 36 ans, qui anime des cours d’alphabétisation pour l’association locale ‘Le Carria’. « Une partie des immigrés n’ont jamais voté dans leur propre pays et d’autres n’ont rien compris à la procédure d’inscription qui est assez lourde. » Leila, une Algérienne qui vit à Bruxelles depuis 6 ans, explique avoir « reçu les papiers de l’administration pendant les grandes vacances alors que personne n’était là. » Et les listes électorales étaient closes au 31 juillet.
Cette organisation défaillante, la pétulante Myriam Mottard, secrétaire générale du CNAPD (Coordination nationale d'action pour la paix et la démocratie) -une plate-forme qui regroupe diverses associations de la région de Bruxelles- la regrette. «Le travail d'information n’a réellement démarré qu’au mois de mars après l’adoption d’un amendement de dernière minute limitant le droit de vote des étrangers aux résidants légaux. Sans cette modification, la loi de 2004 aurait pu s’appliquer aux sans papiers. » Mottard fustige en outre un obstacle supplémentaire à l’inscription des étrangers : l’obligation de signer la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Constitution belge. « C’est une mesure discriminatoire et stupide, » s’insurge Mottard. « Chaque personne vivant sur le territoire belge est censée respecter la loi ».
Désintérêt et discrimination
La législation, Victoria Videgain Santiago, 50 ans, en constate tous les jours les violations à Saint-Gilles : femmes battues ou SDF ne cessent de défiler dans le service de justice de proximité qu’elle anime depuis 1999. Assise à une terrasse de café, cette juriste d’origine chilienne, détaille les raisons de sa candidature aux municipales, côté socialiste. « Avoir vécu puis fui la dictature de Pinochet me fait apprécier la démocratie et m’incite à m’impliquer davantage, » explique t-elle tout en saluant chaleureusement un passant. « De par mon expérience, je sais ce que cela signifie d’être une femme immigré ». Videgain Santiago juge « encourageant » le nombre d’électeurs étrangers inscrits, toutefois elle met en garde contre un « désintérêt politique généralisé. Pas seulement les immigrés mais aussi les jeunes qui pensent que c’est toujours la même chose. »
Autres blasés, les ressortissants communautaires auxquels la citoyenneté européenne donne, depuis 1998, le droit de vote en Belgique. A Saint-Gilles, seuls 17% d’entre eux avaient fait le déplacement pour s’inscrire sur les listes. Des clandestins de luxe ? « Les Européens à Bruxelles sont plus des expatriés que des citoyens », souligne Mottard. « Le vote est l’arme du pauvre, » renchérit Goldman. « Quel besoin de s’en servir pour ceux qui ont la puissance économique et travaillent pour les institutions européennes, dans leur bulle dorée ? »
A l’heure où cette faible participation des étrangers donne du grain à moudre aux dirigeants du Vlaams Belang, toujours prompts à stigmatiser la faible volonté d'intégration des immigrés, c’est la motivation de l’ensemble de la classe politique belge qui est remise en question par les acteurs de terrain. « Je crois que finalement ce résultat arrange les politiques de tous bords, » glisse Anissa Benabi. « Aucun parti n’a mené campagne en faveur de ce vote des étrangers, chacun s’est arrêté à la loi. Or il devient urgent de conscientiser les gens. »