Belgique : Scénarios post-électoraux
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Séparatisme, indépendantisme, communautarisme... Autant de -ismes attribués à Bart de Wever. La victoire du leader de la Nouvelle Alliance Flamande (N-VA) aux élections du 13 juin a-t-elle sonné le glas de l'unité belge ? Faut-il redessiner la carte du plat pays comme l'ont proposé Jan et Jean, deux trublions belges créateurs de la Wallanderen et de la Vlaadonie ? Loin s'en faut !
Vincent Laborderie, chercheur à l'Université Catholique de Louvain (UCL), met de l'eau dans le vin des alarmistes et dresse le portrait de la Belgique post-crise.
cafebabel.com : Comment les Belges francophones ont perçu la victoire de la N-VA de Bart de Wever aux élections du 13 juin 2010 ?
Vincent Laborderie : La victoire de Bart de Wever(Ndlr: qui a obtenu 28,3% des voies de l'électorat flamand aux élections du 13 juin 2010) n'a pas été une surprise pour eux, tant elle était annoncée. L'ampleur de la victoire a en revanche surpris. Mais on a tout de suite heureusement précisé que la majorité des électeurs de la Nouvelle Alliance Flamande (N-VA) ne voulaient pas la fin de la Belgique, mais avaient voté pour ce parti parce qu'ils pensaient que c'était la meilleure manière de débloquer la situation. La réaction des partis francophones après l'élection commence d'ailleurs à leur donner raison : alors que Bart de Wever était diabolisé pendant la campagne par les francophones (ce qui explique une partie de son succès), on le considère aujourd'hui comme quelqu'un de pragmatique et de constructif avec qui on va faire des accords.
cafebabel.com : Les partis vainqueurs des élections en Flandre et en Wallonie semblent prêt à trouver un terrain d'entente... Lequel ?
Vincent Laborderie : Il y a un certains nombre d'exigences qui ont été posées de part et d'autre pendant la campagne et qui ne seront pas exaucées : la scission de la sécurité sociale ou la suppression de la région bruxelloise (côté N-VA) ou l'élargissement de Bruxelles (côté francophone). Ces mesures sont inacceptables par l'autre communauté. En revanche, on semble actuellement s'orienter vers un transfert de compétence assez large de l'État fédéral vers les régions et communautés et vers une scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), des demandes flamandes. En contrepartie, le principal argument de la campagne du PS francophone, le refinancement de la région Bruxelloise financièrement exsangue, est envisagé. A noter que le PS, grand vainqueur côté francophone, n'est pas opposé à une régionalisation des compétences. Il y a une tendance régionaliste en son sein et, comme ils sont majoritaires au niveau de la région Wallone, ils ne verront probablement pas d'un mauvais œil le transfert de compétences vers un niveau qu'ils maîtrisent et qu'ils pensent pourvoir maîtriser dans le futur. Le paradoxe serait ici que les francophones accorderaient aujourd'hui à Bart de Wever ce qu'ils refusaient hier à Yves Leterme qui était bien plus modéré.
Reste deux autres thèmes qui pourraient éventuellement (mais ce n'est pas certains) faire partie de la négociation : la mise en place d'une circonscription fédérale et de la Brussels Metropolitan Region qui a pour but de permettre des coopérations socio-économiques (transport, marché du travail) entre Bruxelles et sa périphérie.
cafebabel.com : Elio Di Rupo, Premier ministre francophone, est-ce vraiment souhaitable ?
Vincent Laborderie : La volonté de Bart de Wever de proposer Elio Di Rupo au poste de Premier ministre constitue pour moi un piège. Si l’image d’Elio Di Rupo (Ndlr : le candidat du parti socialiste a remporté 36,5% des voies côté francophone) s’est améliorée en Flandre, le président du parti socialiste francophone depuis plus de 10 ans incarne aux yeux de l'opinion flamande toutes les caricatures associées à la Wallonie : chômage, paupérisation, clientélisme et corruption, en plus d'être le parti de gouvernement le plus à gauche d'Europe (alors que la Flandre vote très à droite). Elio Di Rupo ne parle pas suffisamment bien néerlandais pour être Premier Ministre, mais ce sont surtout les « affaires » du PS wallon qui devraient continuer à faire parler d'elles. Il sera alors facile pour la presse flamande de rappeler qu'Elio Di Rupo était président du PS au moment des faits et qu'il n'a pas su, ou pas voulu, empêcher ces dérives.
Je pense que Bart de Wever sait très bien tout cela. Il calcule qu’avec Elio Di Rupo comme Premier ministre, les flamands verront de plus en plus la Belgique comme un pays étranger, lié à des pratiques douteuses, et s'en détacheront émotionnellement. Pour l’instant, ils sont toujours attachés à la Belgique et cela constitue le principal obstacle à l'indépendance de la Flandre, ce qui reste l'objectif final de la N-VA.
cafebabel.com : Qu’en pensent les jeunes des deux côtés, eux qui sont obligés, contrairement à d’autres pays d’Europe, de se rendre aux urnes ?
Vincent Laborderie : Les jeunes sont comme le reste de la population : incrédules, ne comprenant (de leur propre aveu) pas grand chose à ce qui se joue et largement dégoûtés de la politique. Côté flamand, ils sont moins concernés que leurs aînés par les querelles communautaires. Paradoxalement, beaucoup ont voté De Wever parce qu'ils en ont assez de ces histoires. Comme Alexander de Croo, Bart de Wever apparaît comme un homme neuf qui fait ce qu'il dit et dit ce qu'il fait... Et qui parle clairement, contrairement à la plupart des hommes politiques belges, qu'ils soient flamands ou francophones.
En Belgique, le vote est obligatoire mais l'abstention et le vote blanc n'ont jamais été aussi élevés. Sur l'ensemble du royaume, on atteint 16% de votes non exprimés, avec une pointe de 21% à Bruxelles. On arrive au même taux d'abstention qu'en France lors de l'élection présidentielle de 2007. Alors qu'en Belgique le vote est obligatoire et que l'on présentait cette élection comme cruciale pour l'avenir du pays. Mais, surtout côté francophone, la campagne a été morne et sans grand intérêt. Le désamour des Belges pour la politique est patent et préoccupant. Plus qu'à une réforme de l'État, c'est à ce fossé grandissant entre population et politiques qu'il faudrait s'attaquer.
Photo : Une ©saigneurdeguerre/Flickr; Bart de Wever ©houbi/Flickr; Elio di Rupo et son lego : ©joszijnsite/Flickr