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Béla Tarr : « les réalisateurs font du racolage »

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Default profile picture nora demk

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Default profile picture Amandine Agic

Le réalisateur hongrois Béla Tarr a manqué de peu la Palme d’Or lors du dernier festival de Cannes avec son dernier long-métrage ‘L’Homme de Londres’.

Béla Tarr, 51 ans, a une barbe blanche et des yeux verts. Regards glacés et phrases élaborées, ce réalisateur que les critiques n’hésitent pas à qualifier de « l’un des cinq meilleurs cinéastes du monde », aime à citer son professeur de photographie de l'époque communiste. Ce dernier lui avait ainsi dit qu'il n'avait « pas le moindre avenir » dans le cinéma.

Confidentielle et pourtant d’une grande exigence, la filmographie de Tarr commence juste à être connue en Europe. Trois de ses films, ‘Almanach d'Automne’ (1983), ‘Damnation et Harmonies’ (1987) et ‘Les Harmonies Werckmeister’ (2000) ne sont par exemple sortis qu'en DVD en France, un pays où il a pourtant vécu. Ancien concierge, le réalisateur hongrois affirme voir son public européen comme une seule entité même s'il est conscient des différences culturelles. « Si vous arrivez à mettre en scène les vrais problèmes existentiels -qui concernent le facteur humain-, alors votre film pourra toucher les gens sans que cela ait à voir avec leur pays d’origine, » dit t-il.

La dernière réalisation de Tarr, ‘L'homme de Londres’ (2007) témoigne de cette idée. Tourné en France, ce long métrage hongro-franco-allemand a un casting international emmené par des Tchèques et des Britanniques. L’actrice anglaise Tilda Swinton y est même doublée en hongrois. Le scénario est tiré d'un polar belge de Georges Simenon. En 2005, le suicide d' Humbert Balsan, le producteur, vient interrompre le tournage. Des problèmes financiers viendront retarder encore la réalisation du film qui ne sort qu'après cinq longues années.

Votre fresque ‘Le tango de Satan’ (1994) est une célébration de la chute du communisme de sept heure et quart sur grand écran. La perspective temporelle de ‘L’homme de Londres’ adopte t-elle aussi ce même rythme lent et des scènes en noir et blanc ?

Il n'y a aucune surprise dans son récit. Je veux que le public voie les différentes surfaces de la réalité. La longueur du film reflète l'importance d'une de ces strates, sur laquelle je veux insister. Je veux montrer une sorte de situation actuelle où nous nous trouvons. Cette dimension passait par des dialogues en hongrois.

Peut-on s'attendre de nouveau à l’usage de symboles répétitifs comme dans ‘Damnation’, un film qui se caractérisait par la pluie, la danse et des formes carrées?

Tout à fait. D'une certaine façon, ce film est aussi construit sur le modèle d'une fugue. Un élément revient même s'il change de substance, ce qui fait que le sens varie légèrement. Ce genre de monotonie m'est très familier. J'adore utiliser les outils de 'l'anti-film'.

Les réalisateurs hongrois sont de plus en plus nombreux à être tentés par des films en co-production. Pourquoi?

C'est une chose assez rare en Hongrie. On peut parler de co-production lorsque différents pays s'associent sur le plan financier et participent au processus de production à travers l’équipe de tournage, des scénaristes, des acteurs ou des scènes. Je trouve qu'il est facile d'être un Hongrois aux idées courtes pour qui le monde s'arrête au bassin des Carpates. Je préfère adopter le point de vue d'Endre Ady [un poète magyar d'avant-garde du début du XXème siècle]. Il écrivait peut-être en hongrois mais sa pensée était universelle. C'est aussi l’une des raisons pour lesquelles j'ai collaboré au moins quatre fois avec László Krasznahorkai, un auteur contemporain qui réfléchit aussi sur le plan universel. Il est néanmoins nécessaire de garder une identité nationale pour ne pas perdre de vue l'universalité de l'esprit.

Pensez-vous que l'on s'éloigne d'un cinéma national hongrois ?

L’industrie du cinéma deviennent de plus en plus protectionniste en Europe. En Hongrie, on parle de co-financement quand un réalisateur hongrois fait un film avec l'aide financière d'autres pays. J'appelle ça une ‘pseudo-co-production’. Ce n'est qu'une histoire de transferts d'argent en échange de droits commerciaux. Le problème actuel du système hongrois, c'est que les réalisateurs doivent raccoler. Ils ne cherchent qu'à satisfaire certains besoin culturels spécifiques ou à ménager le scénario pour qu'il soit dans la lignée de la tradition nationale en terme de cinéma grand public.

Pourquoi vous intéressez-vous à des personnages pauvres et en bas de l'échelle sociale comme Maloin, le personnage de ‘l’Homme de Londres’ aiguilleur dans une gare côtière ou aux membres du cirque ambulant des ‘Harmonies Werckmeister’?

J'ai toujours été sensible à l'aspect social de la vie. Les gens qui sont à la limite de la moralité ou en marge de la société m'intéressent par dessus tout. Leurs conflits sont bien plus vrais. Ils s'expriment bien mieux dans cette frange de la société que dans un univers bourgeois et riche où l'on cache tout sous de luxueux tapis. Certes ce monde est aussi intéressant mais pas pour moi. Je ne me suis jamais considéré comme un réalisateur. Je me sentais investi d’une mission : celle de changer le monde. De nos jour, rien que changer la langue d’un film pourrait suffire. Bien entendu, filmer fait partie de la vie et je réussis bien dans mon domaine. Néanmoins, je ne peux pas vraiment dire que je change le monde de quelque manière que ce soit. On peut toujours faire confiance à la sensibilité du public. Les gens ne sont pas misérables par nature ce sont les circonstances qui les transforment.

Comment se sent Béla Tarr après Cannes?

Je dois avouer que me reposer et profiter de la vie est une sensation nouvelle. Etre en révolte et se poser des questions en permanence est une condition ‘sine qua non’ du métier. Par exemple, le film ‘Werckmeister’ tourné en noir et blanc a été très angoissant à réaliser après trois ans de problèmes d'argent. L'idée de le voir était la meilleure des motivations. Ce n'est pas qu'une histoire de satisfaction. C'est tout simplement une certaine forme de sérénité.

Traduit du hongrois à l'anglais par Lorant Havas

Micro photo: Tilda Swinton, le premier rôle féminin du film hongrois doublé en anglais (eugene/ Flickr)

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Translated from Béla Tarr: 'Filmmakers act like prostitutes'