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Bébés thalys : adoption à grande vitesse

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Société

Rebutés par une législation restrictive sur l'adoption, de plus en plus de couples lesbiens français se tournent vers l'insémination artificielle en Belgique ou en Hollande.

'Bébés Thalys'. Cette expression, Marie-Pierre ne la supporte plus. « C'est comme tourisme procréatif,» ajoute t-elle. Des phrases toutes faites, qui, selon elle, « ne rendent pas justice à ce qui est avant tout un désir d'enfant, un projet de couple qui compte fonder une famille ». Le phénomène minoritaire des ‘bébés thalys’, du nom du train qui relie Paris à Bruxelles ou Amsterdam, semble pourtant en pleine explosion. En effet, de plus en plus de lesbiennes françaises se rendent en Belgique ou en Hollande pour y concevoir un enfant.

En 2000, Marie-Pierre et sa compagne décident d'avoir recours à l'insémination artificielle. A l'époque, elles auraient aimé adopter mais la démarche est trop complexe en France. La législation hexagonale interdit en effet l'adoption par un couple homosexuel, une législation jugée pourtant hors-la-loi par le droit européen : le traité d'Amsterdamn, dans son article 13, condamne toute discrimination ‘en raison de l'orientation sexuelle.’

En clair, « pour adopter, il aurait fallu qu'une de nous se fasse passer pour une femme célibataire et cache son homosexualité lors des enquêtes effectuées en aval pour obtenir l'agrément de la DASS », justifie Marie-Pierre.

Clinique fertiles

L'adoption exclue, il reste donc une solution : l'insémination. Mais en France, seuls les couples hétérosexuels qui souffrent de stérilité peuvent avoir accès aux techniques de procréation médicalement assistée. Beaucoup de lesbiennes choisissent donc d'aller aux Pays-Bas ou en Espagne pour se faire inséminer. Martine Gross, chercheuse au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages sur l'homoparentalité, affirme que le pourcentage de femmes en couple lesbien qui ont recours à cette méthode est en constante augmentation. Il serait passé de 40% en 2001 à 60% en 2005.

La méthode est à ce point devenue populaire que les cliniques de fertilité belges ont dû créer différents dispositifs réservés aux couples lesbiens français. En 1998, le centre universitaire ‘Erasme’ a aidé environ 30 couples lesbiens français à avoir un enfant. En 2000, il y avait 170 dossiers. Il a même fallu faire des campagnes pour recruter des donneurs afin de combler le manque de paillettes de sperme. En 2002, devant l'afflux de demandes, l'hôpital a choisi de fixer une limite à 600 cas par an. D'autres institus choisissent même de réserver des plages horaires aux lesbiennes françaises.

Anne Delbaere, docteur à l'institut Erasme, souligne que ce choix de l'insémination est « frustrant pour les femmes comme pour les médecins qui souhaient les aider. Il est temps que les politiques français agissent et cessent de se voiler la face, » affirme-t-elle.

Selon certaines estimations, 600 'bébé thalys' traverseraient la frontière franco-belge immédiatement après leur conception. En Espagne, l'insémination est aussi possible mais pratiquée dans des cliniques privées. « La démarche revient alors de deux à trois fois plus cher qu'en Belgique » précise Franck Tanguy, membre de l'APGL -Association des Parents Gays et Lesbiens.

Hypocrisie latente

En France, seule la mère biologique est reconnue par le cadre légal. Contrairement aux pays voisins, les familles homoparentales n'y sont pas reconnues et ne peuvent témoigner de leur situation lors des recensements officiels. Pour Martine Gross, l'homoparentalité concernerait de 200 000 à 300 000 enfants. Selon un sondage réalisé en 1997 pour le magasine 'Têtu', 11% des lesbiennes et 7% des gays seraient parents. Une estimation susceptible d’avoir doublé en 10 ans.

Au jour le jour, les couples homosexuels parents vivent dans une situation de non reconnaissance mâtinée d'hypocrisie. La compagne de Marie-Pierre, qui élève au quotidien leurs trois enfants, est donc une étrangère aux yeux de la loi. Elle ne peut ainsi pas signer de carnet scolaire, faire partie des conseils de classe ou prendre une décision médicale. En cas de séparation, le parent biologique garde les enfants et le co-parent n'a aucun droit de garde. Si ce dernier décède, il ne peut rien léguer à ses enfants.

Ironie du sort, Marie-France raconte que « la CAF les reconnaît comme un foyer et que sa compagne aurait même pu bénéfixier un congé parental. »

Au quotidien, heureusement, les cas de discrimination flagrants rapportés à l'APGL sont assez rares et l'éducation des enfants s'effectue sans heurts majeurs. Ainsi, les noms des deux mamans sont dans le dossier de l'assistante maternelle et le milieu médical les considère comme un couple de parents. Normaux.