Baptême made in Belgique = bizutage ?
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Maxim Vanden Borre à Bruxelles
Une étudiante est couchée sur le sol. On lui ordonne de se plonger toute habillée dans une fontaîne. Elle s’exécute. Nous sommes en 2003, aux « 24h vélo » de Louvain-la Neuve, ville universitaire de Belgique. Chaque année, cette course cycliste donne lieu au plus grand rassemblement étudiant du pays.
Les « comitards » demandent alors à la « bleue » de ramper le long des lignes blanches qui servent de repères aux coureurs. Ce qu’ils ignorent, c’est que ces lignes sont tracées à la chaux vive. La chaux réagit au contact du tablier détrempé. L’étudiante aura les cuisses et les genoux brûlés au second degré. Elle devra subir une greffe de peau. Ceci est un exemple typique d’accident survenu lors d’un « baptême ».
Les présidents des cercles étudiants sont reçus en grande pompe à l'Hotel de Ville par Freddy Thielemans
Il n’y a pas de volonté de blesser, mais la négligence, l’inconscience ou l’alcool causent parfois des dérives. Pourtant, le baptême belge n’est pas un bizutage. A Bruxelles, même le bourgmestre Freddy Thielemans a été « comitard » et il invite chaque année les « cercles » étudiants à boire une chope à l’Hôtel de Ville. Mais certaines pratiques choquent. Ailleurs, le bizutage inquiète. Il existe des zones de non-droit au cœur du système éducatif.
En France, le Code pénal interdit le bizutage depuis 1998. Le spectateur passif peut aussi être poursuivi, même si la victime est « volontaire ». On croyait avoir enrayé le phénomène, mais le plonger dans la clandestinité l’a peut-être renforcé. Si un seul pays interdit explicitement le bizutage, la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950 affirmait déjà que « nul ne peut être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Aucune loi n’a jamais empêché les abus, mais il est plus facile de porter plainte en France qu’ailleurs.
France, Belgique, Pays-Bas : les plus « hard » !
Le mois passé, aux Pays-Bas, la chaîne RTL Nieuws annonçait qu’une enquête était ouverte à propos d’étudiants qui auraient été forcés à avoir des relations sexuelles avec un poulet. Mais la peur de représailles ralentit l’enquête.
Les cérémonies d’accueil d’étudiants existent dans la plupart des pays européens, mais elles prennent des formes très différentes. Il apparaît que dans les pays nordiques, de l’Est et du sud de l’Europe, les débordements sont très rares. Par contre, la France, la Belgique et les Pays-Bas sont réputés pour leur bizutage difficile. L’Allemagne et l’Autriche sont un cas à part : il n’y a pas de bizutage au sein des universités, mais les « corporations » ont parfois des rites semblables. Récemment, le ministre de l’Intérieur bavarois vient d’interdire le bizutage suite à une plainte contre une école de police.
Depuis plus de 15 ans, des campagnes sont lancées contre le bizutage. Les associations françaises sont les plus actives : elles dénoncent le financement des bizutages par les universités et la complicité passive des administrations. Aujourd’hui, « SOS Bizutage » lutte au niveau international.
Pour se défendre, les bizuteurs affirment que le rite crée une communauté fraternelle qui compense l’esprit de compétition des grands établissements. De plus, il perpétue l’esprit de l’école. Ce système serait bénéfique à la société, en créant des solidarités intermédiaires entre les individus et l’administration.
L’Ecole du savoir-subir ?
Pour certains sociologues, le bizutage ne sert qu’à une chose : amener les jeunes à accepter plus facilement la suite. On les habitue à se soumettre pour qu’ils se plient mieux aux règles du monde du travail. On parle de plus en plus de « bizutage social » dans les entreprises (accumulation de stages, de CDD, déclassement). Le bizutage est « l’Ecole du savoir-subir », selon le sociologue René Devos.
Il ne faut cependant pas condamner tous les bizutages : ils ont une fonction sociale et transmettent des valeurs utiles. Il convient de les encadrer et d’encourager les éventuelles victimes à porter plainte. Car le bizutage n’est pas en voie de disparition, au contraire. Il est un prétendu remède à la perte de valeurs sociales. En ces temps d’uniformisation de la culture, il devient une réassurance identitaire très recherchée par les jeunes.
Maxim Vanden Borre
La St Veraeghen à Bruxelles, fête du fondateur des universités VUB-ULB, les baptisés viennent s'abreuver car même Manneken pisse de la bière.
Les trois phases d’un bizutage réussi
La séparation : on prive le bizut de tous les signes distinctifs liés à son passé, à sa personnalité. Il n’a plus de nom, mais un surnom et on lui impose un uniforme. La marginalisation : on coupe le futur initié du reste du monde et on l’immerge dans une culture propre à l’école, afin qu’il en apprenne les coutumes, le langage. Les mises en scène sont impressionnantes et les méthodes calquées sur une symbolique militaire. Le but est de fondre l’individu dans la masse. L’intégration : lors d’une fête générale, les anciens et les nouveaux sont désormais sur un pied d’égalité. Le « bleu » a acquis un nouveau statut.