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Banlieues françaises : tentative d'explication à l'usage des Européens

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SociétéPolitique

La banlieue, c’est quoi ? En France, vous aurez une réponse différente selon que vous écoutiez « la fabrique de clichés » des médias ou le vécu de ses habitants… C’est avant tout le miroir grossissant du problème d’identité collective de la France… Et toute l’Europe est concernée.

« Je n'ai jamais vu ça. C'est la culture banlieue qui entre dans le débat politique. Tous les coups sont permis. »

C’est ainsi qu'Arlette Chabot, la présentatrice d’A vous de juger, donne à voir la banlieue devant les téléspectateurs français, au lendemain d'un clash musclé entre François Bayrou (président du parti centriste Modem) et Daniel Cohn-Bendit (député européen d’Europe-Ecologie) lors de son émission.

Dépasser les clichés

En 15 ans, la banlieue est passée d'un lieu justice-police à des problématiques variées, de la relation entre les genres à la solidarité associative. « Elle valide la pensée majoritaire en France », analyse Erwan Ruty, fondateur de l’agence de presse Ressources Urbaines et du journal officiel des cités Presse et Cité. Comprenez la perception générale que les banlieues sont des zones de non-droit où vivent trafiquants de drogue armés jusqu’aux dents, familles immigrées polygames et enfants sans éducation… En un mot sans avenir. Nous sommes au Comptoir Général, dans un quartier bobo de Paris. Les invités de la conférence-débat « La culture banlieue dans les médias, une fabrique de clichés ? » organisée par Respect Mag tentent de démasquer les processus sociaux et les clichés médiatiques qui mènent à cette pensée française… Et de la dépasser. Pour les Européens, ce débat tient a priori du grand mystère, car parler de banlieues, c’est parler de la France : « Construire des tours d’immeubles où se concentrent tous les problèmes, de celui des femmes pauvres isolées au chômage des jeunes en passant par l’immigration, c’est une réalité française, qui n’existe pas dans d’autres pays européens », confirme Jean Hurstel, président fondateur de Banlieues d’Europe, qui promeut les initiatives socio-culturelles nées dans les banlieues européennes.

Les deux banlieues

Deux visions de la culture banlieue se côtoient sans se comprendre, apprend-on au fur et à mesure des prises de parole. La vision caricaturale d’Arlette Chabot serait celle des médias en général, étant donné que « les rédactions sont coupées du monde des banlieues. On est très semblables dans le monde des médias », note Marc Cheb Sun, directeur de la rédaction de Respect Mag.

Le film déconstruit avec humour tous les clichés sur les banlieues et leurs lascarsLe traitement médiatique des banlieues se résume en « deux clichés, d’un côté, la banlieue dominée par la violence et la délinquance. Et de l’autre, les journalistes qui veulent une image super super positive », résume l’écrivain Mabrouk Rachedi, qui s’évertue de déclaration en déclaration à refuser l’étiquette d’« écrivain de banlieue » qui lui colle à la plume en France… et qui se décolle dès qu’il traverse ses frontières. Comme si, derrière le « problème des banlieues », un malaise national sommeillait : « Pourquoi on renvoie la banlieue à l’étranger ? Cela tient à un problème d’identité collective de la France », analyse François Durpaire, historien et fondateur du mouvement pluricitoyen. Ce professeur d'histoire milite pour que le facteur racial fasse partie des variables prises en compte dans la lutte contre la discrimination des banlieusards. « Les races ne sont pas acquises à la naissance mais avec l’existence », précise-t-il néanmoins, histoire de couper court à toute interprétation raciste comme on en voit tant à la télé française. Il ne suffit donc pas de placer un noir ou un arabe au journal télévisé pour que la situation des « minorités visibles » s'arrange : « L’important n’est pas la personne qui lit le prompteur mais celle qui l’écrit », rappelle l'auteur de France blanche, colère noire.

Changer le prompteur sur les banlieues

Depuis 2 ans, l'Ecole Supérieur de Journalisme de Lille et le BondyBlog ont lancé la formation «Nouveaux médias, nouveaux usages » pour démocratiser l'accès aux grandes écoles en FranceIl y a donc un malaise national derrière les problèmes des banlieues, celui d'une France parisiano-centrée où les Gersois ne sont pas mieux logés que les banlieusards, rappelle François Durpaire. Pour les Belges, Hollandais et Roumains qui se demandent encore ce qu'ont été les émeutes des banlieues en 2005, il faut voir que derrière le mot « banlieue » se cachent autant des connotations négatives comme « violences urbaines », « précarité », « crise identitaire », que les références positives « création culturelle », « solidarité associative » ou « métissage ». Deux facettes pour un espace qui ne demande qu'à valoriser sa complexité et dépasser les clichés. Erwan Ruty reconnait que le traitement médiatique sur les banlieues est en progrès : « En 13 ans, on est passé des quartiers police-justice à des thématiques plus variées. Diversité hommes- femmes, Islam, tournantes, violences faites aux femmes. Le problème, c’est la manière de les traiter ». Car la banlieue telle qu’elle est vécue par ses habitants ne prend pas forcément les chemins des émeutes et du parloir. « C’est le creuset de la future France », résume Jean Hurstel, soulignant au passage la force du brassage des cultures propre aux banlieues. De plus en plus de médias nés dans ces quartiers réussissent à dépasser ce blocage, du BondyBlog en France à ZaLab TV en Italie et en Espagne, et peu à peu, ils écrivent un nouveau prompteur sur les banlieues.

Reste que dans ce combat banlieue fantasmée contre banlieue vécue, la première risque toujours de ressusciter. Chaque campagne électorales est l’occasion de ressortir « la peur de la banlieue », ce qui fait craindre à Erwan Ruty une « lepénisation » de la part de certains médias, dont « l’effet Zemmour » (Chroniqueur d'une émission de télé, Eric Zemmour a été condamné pour provocation à la haine raciale, ndlr) serait un ricochet. Là encore, le phénomène dépasse les frontières de la France. Dans toute l’Europe, l'échec annoncé du multiculturalisme affaiblit l'acceptation de la diversité propre aux banlieues : « C’est évident qu’on régresse, qu’on se renferme. C’est le cas en Suède autant qu’en Hongrie, en Autriche ou en France où la hausse de popularité des partis xénophobes n’a d’égale que celle de l’exclusion. Il n’y a qu’à voir la France où on insiste pour lancer un débat sur l’Islam en pleine crise économique. Comment voulez-vous que les gens ne le prennent pas comme une exclusion supplémentaire ? »

Photo : Une : ©Tian ; affiche de La Haine : (cc)paintnothing/flickr ; prompteur : (cc)philcampbell/flickr ; vidéo : Lascars/Daily Motion