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Awadi : « Une autre Afrique est possible »

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BrunchCulture

Dans son dernier album, le chanteur sénégalais invite ses collègues rappeurs à prendre la parole et milite pour un continent harmonieux. Rencontre à Dakar.

« Je suis venu à la mobilisation politique a la fin des années 1980. Il y avait des remouds au Sénégal. La jeunesse voulait vraiment un autre système car la politique dans le pays s’adressait seulement aux hommes politiques et fonctionnait en vase clos. La jeunesse ne s'y retrouvait pas et la musique était pour nous le seul moyen de s’exprimer et de discuter des choses publiques. C’est alors qu’on a créée le groupe Positive Black Soul (PBS). Certaines personnes ont été choquées par notre manière d’aborder les problèmes politiques et de nous révolter dans nos chansons, mais toute une génération s’est retrouvée… »

C’est ainsi que le pionnier du 'rap' au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest, Didier Awadi, 38 ans, aujourd’hui l’une des références en la matière, nous décrit ses débuts. Finalement, musique et engagement politique ont toujours été mêlés dans sa carrière. « En 2000, quand les élections ont eu lieu au Sénégal, tous les rappeurs ont voté l’alternance », rappelle Awadi. Et l’improbable alternance politique a en effet eu lieu dans l’ancienne colonie française, indépendante depuis 1960, après les 30 ans de présidence de Léopold Sédar-Senghor puis d’Abdou Diouf.

La côte de Didier Awadi continue alors de grimper en flèche notamment auprès de la jeunesse d’Afrique de l’Ouest. En 2002, Awadi sort son premier album solo Kaddu Gor, intitulé Parole d'honneur, en France, un album pour lequel il recevra le prix Musique du Monde de Radio France internationale (RFI) en 2003. En octobre 2005, Awadi continue de marier rap et engagement politique avec son album Un autre monde est possible en référence au slogan du forum social mondial né à Porto Alegre, au Brésil. Awadi participe désormais à chaque édition du forum 'altermondialiste'. Il était l’une des têtes d’affiche du premier sommet organisé cette année en Afrique, à Nairobi.

Présidents d'Afrique

« On a eu de l'influence car la jeunesse nous a fait confiance. Mais attention, on doit mériter cette confiance », prévient Awadi. Lourde responsabilité en Afrique de l’Ouest ou les moins de 25 ans représente plus de la moitié de la population dans la plupart des États. Une responsabilité dont Awadi est tout à fait conscient. La preuve : son nouvel album. Il nous fait découvrir quelques morceaux dans son studio de Dakar, avec sur le visage, la satisfaction évidente du travail accompli. Et l’espoir que le message sera à nouveau écouté par les jeunes.

L’album Présidents d'Afrique qui sortira en janvier 2008, regroupe les contributions des rappeurs africains et vise à mettre en valeur le patrimoine historique commun à l’Afrique et le besoin d’unité du continent. Derrière cet album, un travail de fourmi. Non seulement pour rassembler tant de rappeurs du continent, mais également pour obtenir les archives écrites et vidéos des discours des leaders africains qui s’intègrent aux différents morceaux. Y figurent entre autres les discours très poignants du congolais Patrice Lumumba, premier homme à occuper le poste de Premier ministre du Congo en 1960, assassiné en 1961, ou du burkinabais Thomas Sankara, souvent considéré comme le Che Guevara africain, également assassinée en 1987.

Lorsqu’il évoque les rapports entre l’Europe et l’Afrique, Awadi insiste sur « l’état de ghettoïsation » dans lequel se trouve beaucoup de jeunes français issus de l’immigration, mais aussi sur la nature commune des problèmes politiques auxquels la jeunesse doit faire face des deux cotés de la méditerranée. «Au sein de ma génération, beaucoup de gens échangent et se comprennent mieux au-delà des frontières. Les thématiques et les préoccupations sont souvent les mêmes, par exemple le chômage ou l’environnement. Je vais souvent en Europe et je trouve fantastique les échanges que l’on peut y avoir notamment sur les campus universitaires. Maintenant chaque fois je souhaite profiter de mes tournées en Europe pour rencontrer et encourager les jeunes issus de l’immigration qui s’impliquent dans des actions citoyennes et politiques. »

En réponse au discours de Sarkozy

Pour ne pas devenir que militant, il faut pourtant rester vigilant :« Vraiment, ce qui est fondamental, c’est de ne pas se prendre trop au sérieux et penser que l’on est le nouveau Che Guevara. Les gens qui nous applaudissent sur scène sont là avant tout pour notre musique. Beaucoup de musiciens et de rappeurs parmi nous ont des egos surdimensionnés. Si tu te prends trop au sérieux, tu peux vraiment vite péter les plombs et oublier la lutte dans laquelle nous sommes tous engagés. »

Nul doute qu’avec son dernier album, Awadi va de nouveau trouver le point d’équilibre entre musique et politique, apportant une nouvelle pierre à l’édifice du rap africain tout en donnant un message fort de soutien a toute une génération d’artistes africains luttant pour une Afrique unie et sans complexe.

Studios Sankara Dakar, 2007« Certains disent qu’on n'a pas le sens de l’histoire et de la mémoire en Afrique. Avec cet album on va leur rafraîchir les idées… » s’amuse Awadi se référant au discours tenu par le Président français Nicolas Sarkozy, alors qu'il était à Dakar en juillet 2007. Le discours avait créé une grande polémique, notamment la petite phrase affirmant : « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. » Awadi s'empresse alors de nous montrer l’une des vidéos de l’album intégrant les images d’archive du jour de la découverte de Lucy, le surnom du squelette datant d'environ 3,2 millions d'années retrouvé en Éthiopie, en 1974.