Avortement en Espagne : pourquoi le gouvernement cède
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L'Espagne abandonne son projet de loi draconien relatif à l'avortement, qui menaçait la santé, la dignité et la vie des femmes et des jeunes filles. Pourquoi le gouvernement cède tout à coup et pourquoi maintenant ? Les dessous d'un retrait nécessaire.
Dimanche il a plu à Madrid. Ça n’arrive pas si souvent. D’habitude, ça décourage beaucoup de monde de mettre le nez dehors. Mais dimanche, il y avait quelque chose à fêter.
Mi-septembre, le bruit court dans la presse que le pré-projet de loi visant à limiter l’accès à l’avortement va être abandonné (quand je dis « limiter », c’est un euphémisme) . Ce projet c’était le bébé du ministre de la Justice, le très conservateur et très catholique Gallardon. Le 23 septembre, le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy confirme l’information, Gallardon démissionne et se retire de la vie politique dans la foulée (si vous êtes Français, vous saurez prendre cette information avec des pincettes, nda).
Un calcul électoral
Dès le début, le projet crée des tensions au sein du parti. Derrière l’ancienne maire de Malaga, Celia Villalobos, une branche du parti s’oppose à ce qui est considéré par beaucoup comme la lubie de Gallardon. Bien sûr, dans la foulée, l’opposition s’indigne. Un peu partout en Europe, on condamne le projet de loi rétrograde et les rues des principales villes du pays se remplissent régulièrement d’une marée violette, la couleur du féminisme.
Comme partout, les politiques sont drogués aux sondages. L’opinion publique est largement contre cette loi, même au sein des sympathisants de droite et après avoir perdu plus de 2 millions de voix aux dernières élections européennes, les gouvernements européens y pensent désormais à deux fois avant d'instaurer des mesures impopulaires. Cela n’a jamais été aussi clair : cette réforme est celle d’une minorité qui veut imposer son idéologie à une large majorité.
Dimanche, lors de la Journée Internationale pour la Dépénalisation de l'Avortement, se sont mélangés les cris de victoire et les mises en garde. Car le retrait n’est pas complet, Rajoy souhaite rendre obligatoire l’accord parental pour l’avortement des mineures et entend faire passer le texte devant le Tribunal constitutionnel, en déplaçant le débat sur le terrain juridique. Pour cette mesure, il est cette fois soutenu par 64% de la population, selon un sondage récent.
Ce projet de loi aura au moins eu quelques conséquences positives. Il aura démontré aux Espagnols que la rue peut parfois se faire entendre. Il aura rassemblé différentes générations de féministes : celles et ceux de l’époque franquiste et de la période des Indignés. Il aura soudé un mouvement, armé pour les prochains combats. Enfin, il aura recruté de nouveaux membres, peut-être dans les rangs de ceux et celles qui ne croyaient plus à l'utilité du féminisme.