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Aux origines de la nation française : l'idée européenne (et inversement) ?

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Maitre Sinh

Fr

Charle Renouvier, le philosophe de la république.

Charles Renouvier est paradoxalement plus connu pour être l'inventeur du néologisme et du concept "d'uchronie" ( voir cet article) qui sera promis à un grands succès... dans la culture pop et la science fiction !

renouvier.jpg Ce philosophe français du XIX, qui est pourtant bien plus que cela, commence à être redécouvert comme l'un des pères fondateurs de la république, dont il a été le penseur infatigable : théoricien de la laïcité ( mais pas nécessairement athée lui même), défenseur d'une république égalitaire et fraternelle , voire "égalitariste", et opposant de Napoléon III, il est, sinon à l'origine de l'enracinement de la IIIème république, du moins l'un des penseurs qui inspireront les progressistes qui la modèleront.

Né au début du XIXème pour mourir à l'orée du XXème siècle, Charles Renouvier n'aura pas vu la première guerre mondiale. Mais il a été témoin de la guerre franco-prussienne, et cela lui fut suffisant. Comme beaucoup de ses contemporains, cet évènement eut des répercussions importantes sur sa pensée, comme en témoignent les nombreux textes du philosophe réunis par Fernand Turlot dans Le personnalisme critique de Charles Renouvier, Une philosophie française.

Bien avant les balbutiements de l'europe de Briand après la "der des der", Charles Renouvier parle de la "nécessité de "constituer en Europe un sentiment européen", appelant à la "construction d’une Europe fédérale pacifiée". Ce lien fédéral etant pour lui une nécessité afin d'éviter de nouvelles guerres...

Cette pensée aura, fort à propos, été oubliée par les penseurs républicains qui suivirent, les années à venir étant celle du revanchisme et du nationalisme à tout crin. Charles Renouvier aura été à la fois lucide et visionnaire, mais trop en avance sur ses contemporains.

Ernest Renan : fondateur de l'idée de nation française...et européenne ?

Le XIXème siècle est celui de la naissance des états-nation modernes, en même temps que leur théorisation. On retient deux conceptions opposées de la nation.

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Celle de l'Allemagne est basée sur le "volk", un peuple originel qui plongerait ses racines dans l'espace géographique national. De ce fait l'Allemagne (des origines) est basée sur le jus sanguini, ou droit du sang : on ne peut devenir allemand que par la filiation.

A l'opposé, l'idée de nation française exclu tout peuple ou race comme base de son existence: la nation française est exclusivement politique et se défini comme un "contrat" entre des personnes souhaitant vivre ensemble, se reconnaissant un avenir, sinon un passé, commun.

C'est Ernest Renan, dans sa fameuse conférence qui posera ces principes. Cela deviendra l'un des fondements de la république jusqu'à aujourd'hui, qui fait du droit du sol (jus soli) la condition nécessaire, sinon suffisante, pour devenir français.

Ces idées n'ont rien perdu de leur pertinence , bien au contraire. l'Allemagne elle-même, qui accueille de plus en plus d'immigrés, penche aujourd'hui nettement vers le jus soli. L'histoire tend à donner raison au philosophe .

Quel est le rapport avec la construction Europeenne ? laissons la parole à Renan :

«Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir.»

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Renan parle bien sur, dans le contexte de son époque, de la france. Mais il est troublant de constater à quel point sa définition vaut, mot pour mot, pour l'Union Européenne en développement. Cela ne doit rien au hasard.

Le théoricien de la nation était tout sauf un nationaliste étroit, et il le confirme, en visionnaire, dans sa conclusion : "Les volontés humaines changent ; mais qu'est-ce qui ne change pas ici-bas ? Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera".

il ajoutait juste "...mais telle n'est pas la loi du siècle où nous vivons".

Trois siècles ont été franchis, deux guerres mondiales se sont écoulées depuis, et l'après-guerre à vu les européens construire ensemble, en deux générations, une Union de fait entre les habitants du continent.

Comme le dit lui même Renan, les volontés humaines changent, le fait important dans la nation est de vouloir un avenir commun.

Les prétendus "souvernainistes" français ont fossilisé l'idée de nation en la fétichisant. Chevenement et sa mouvance affirment en substance qu'on ne peut tolérer d'état européen car il n'y aurait pas de nation européenne.

Mais la nation européenne, comme la nation française, est d'abord une question de vouloir.

En sacralisant la nation française et en niant ses principes fondateurs, les souverainistes confondent ainsi leurs désirs avec la réalité, en se contenant d'affirmer qu'il ne désirent pas l'émergence d'une "nation" européenne.

Il aura fallu plus d'un siècle et des massacres à l'échelle industrielle pour que les européens commencent à se penser comme tels et souhaitent vivre ensemble en s'organisant. L'action des pères fondateurs a crée une réalité tangible en unissant les économies et en rapprochant les hommes: une jeune nation européenne est née.

Reste le combat entre ceux qui désirent que nous liions nos destins, et ceux qui ne le souhaitent pas.

Références

Présentation de Renouvier sur Wikipedia

Le personnalisme critique de Charles Renouvier, Une philosophie française, Fernand TURLOT, PU Strasboug, 2003

Renan et la guerre de 1870: de l'idée de nation à l'idée de l'Europe, Balcou J, CNRS, 1998

Revue d'hsitoire du XIX siecle, Autour de Décembre 1851, Raymond Huard

Revue d'hsitoire du XIX siecle, Laurent Fedi, 2003

L'idée de nation, conférence de Renan 1882

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