Auchan mange le petit marchand
Published on
Translation by:
Philippe-Alexandre SaulnierLes centres commerciaux sortent de terre comme des champignons après la pluie. Dans le centre-ville de Budapest, de plus en plus de commerces de détails mettent la clef sous la porte. Quel juste milieu entre tradition et modernité ?
Pendant que de jeunes enfants s’éclatent en sautillant sur des tapis de sol en mousse et multicolores, d’autres aidés par leurs parents peignent et dessinent sur de grands tableaux noirs. Une vraie fête organisée rien que pour eux ! Et cette-fois, c’est Ikea qui régale. En arrière-fond, un flot de musique tonitruante se mêle au gazouillement d’une fontaine bucolique, tandis qu’un clown engagé pour l’occasion s’égosille dans le micro en exécutant son numéro.
C’est un samedi après-midi presque ordinaire à l’Arena Plaza, l’un des plus gros centres commerciaux de Budapest. Situé à quelques minutes de marche de la gare de l’Est, ce nouveau temple de la consommation trône en bordure d’un centre-ville désaffecté où de nombreuses boutiques tombées en désuétude ferment les unes après les autres. Edifié à l’emplacement d’un ancien hippodrome, cet éden du shopping s’étend sur 66 000 m2 entièrement consacrés à la vente. Inauguré en novembre 2007, l’Arena Plaza est à l’heure actuelle le plus grand de tous les « shopping malls » qui ont poussé dans la capitale hongroise tout au long des années 90.
A côté d’un hypermarché Tesco, ce nouveau centre, propriété du groupe d’investissement britannique Active asset investment management (AAIM), héberge des enseignes aussi diverses et réputées que Peek&Cloppenburg, Tschibo, Häagen-Dazs et Zara.
Patrimoine ou grandes surfaces
Mihaly Riday le déplore : « C’est le problème de la mondialisation. Tout le monde veut tout et tout de suite. » En sa qualité de gardien du patrimoine et membre de la société protectrice de Budapest, il s’élève résolument contre l’invasion de sa ville par les centres commerciaux : « Je pense tout simplement que le monde cesse d’être intéressant quand on peut tout voir en un clin d’oeil. » Riday, qui travaille aussi pour la Télévision magyare (MT) reste un des défenseurs les plus acharnés du patrimoine de la « Reine du Danube ». Il se bat pour la conservation des espaces verts et des monuments de la capitale. Il considère que « la moderne Budapest doit apprendre à préserver ses traditions. » Son association vient s’ailleurs de marquer un point : les gérants de l’Arena Plaza ont accepté que l’une des tribunes de l’ancien champ de courses datant du début du 20e siècle soit préservée.
« Auchan est traité par l’Etat comme un petit commerçant »
L’édification croissante de nouveaux complexes commerciaux dans le centre-ville soulève de plus en plus de critiques. Dans le deuxième arrondissement par exemple, trois ans après l’installation d’un premier magasin Mammouth en 1998, l’ouverture d’un second a déclenché les protestations de l’administration locale à cause des embouteillages qu’il génère. Les associations locales telle que l’Association de sensibilisation des consommateurs répertorient les nouvelles installations de centres commerciaux en Hongrie et dressent sur Internet des listes d’informations, de liens et d’adresses favorables à la protection de l’environnement et du commerce de proximité. Car, non contents de favoriser l’usage pléthorique de l’automobile, les mastodontes de la distribution mettent aussi en péril les producteurs indépendants et les petits détaillants qui supportent mal la concurrence des grandes marques internationales. Statistiques à l’appui, l’association démontre les liens de cause à effet qui apparaissent entre l’essor des centres commerciaux en Hongrie et le déclin de nombreux petits négociants.
Etat impuissant
Erszébet Beliszay, de l’association Clean air action group, s’indigne : « Depuis cette prolifération des grandes surfaces, Budapest ressemble à un gros gâteau dans lequel les investisseurs plantent leurs doigts comme des enfants trop gourmands. A force de picorer, cela devient immangeable. » Cette association à but non lucratif, fondée en 1988, est devenue au fil des ans, l’une des plus importantes en Hongrie. Elle fournit de l’aide juridique, mène des études sur la qualité de l’air ou traite de nombreuses questions comme la circulation, les espaces verts, les règlementations immobilières et les sources d’énergie. Depuis 1991, la question des centres commerciaux est inscrite à son agenda.
Déjà, en l’an 2000, la Hongrie et ses 10 millions d’habitants comptait sur son sol autant de surfaces commerciales par personne qu’un pays comme l’Allemagne, fort de 82 millions de résidants. Or, depuis cette date, poursuit la spécialiste, d’autres centres commerciaux se sont encore ouverts dans le petit pays : « Le plus gros problème, estime-t-elle, réside dans le développement incontrôlé de notre société politique. Il existe bien une démocratie formelle, mais sans aucune vraie régulation dans la gestion de ses intérêts. Par exemple, un gigantesque consortium comme Auchan est traité par l’Etat comme un petit commerçant. »
Les difficultés auxquelles les magasins indépendants doivent faire face sont nettement ressenties sur le Körut Ring, le boulevard circulaire qui ceint la capitale. C’est ici que les Budapestois ont toujours fait leurs emplettes. Mais, ces dernières années, un grand nombre de vitrines ont été recouvertes de cartons ou de plastiques. On ne trouve pratiquement plus que des soldeurs d’occasion, des kebabs locaux et autres boutiques de téléphonie mobile.
Seules, quelques vieilles enseignes rappellent les temps anciens et glorieux. « Une impression qui ne trompe pas », remarque Miklos Marton de Studio Metropolitana qui mène depuis fin 2007, une étude de marché inédite sur la situation commerciale du Körut Ring. Son constat : un quart des magasins sont vides. Excepté certains hôtels de luxe fraichement rénovés, le négoce se résume en grande partie à un lot de boutiques qui écoulent de la camelote. « Avant, pour acheter un manteau, on venait sur ce boulevard, ajoute-t-il, mais aujourd’hui, on file tout droit dans un centre commercial à l’Ouest de la ville, ou bien à l’Arena Plaza. »
La ville n’est pas un musée
Toutefois, le jeune urbaniste ne baisse pas les bras. Il s’insurge face à la résignation d’un grand nombre de ses concitoyens. Pour lui, si les commerces du centre-ville veulent survivre en résistant à la concurrence des géants de la consommation de masse, les anciennes rues marchandes ont besoin d’un petit lifting. « Nous devons faire un peu notre autocritique. D’abord, il faut nous demander ce que souhaiteraient trouver ici ces clients qui fréquentent les centres commerciaux. Puis, faire la liste de tous les obstacles que les petites boutiques ont à surmonter. »
Pour Marton, les heures d’ouverture et de fermeture des magasins reste l’un des problèmes majeurs du centre-ville. En effet, sur le boulevard central, on baisse le rideau à 18 heures. Il est également quasiment impossible d’y circuler en fauteuil roulant ou avec une poussette. D’autre part, beaucoup de boutiques ont des surfaces et des devantures trop exigües. « Tout cela ressemble encore trop au 19e siècle ! Mais la ville n’est pas un musée. Avec les commerçants du centre-ville, nous devons réagir et relever le défi qui se pose devant nous. »
Studio Metropolitana encourage donc les initiatives des gérants et des propriétaires de boutiques résolus à faire revivre le centre-ville grâce à des projets collectifs, des campagnes de promotions à destination des enfants ou en organisant des animations de quartier. « Je vais moi aussi dans les grands centres commerciaux avec mes enfants, reconnaît Marton, mais si le centre ville se montrait plus attractif, j’y viendrais plus souvent pour faire mes achats. » Toutefois, il reste persuadé que « le temps est venu pour le vieux centre de se réveiller. Nous sommes arrivés à un croisement décisif. Budapest est la ville de tous les possibles. »
Translated from Tesco contra Tante Emma