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Attentats : le fil à la patte

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SociétéAttentats de Bruxelles

Il y a 15 ans, Anthony considérait les attentats terroristes comme des évènements lointains. Aujourd’hui, il déroule le fil d’une vie qui a conduit à ramener la terreur de « là-bas » jusqu’à chez lui : Bruxelles. Comme s’il l’avait tiré. Témoignage.  

Je me revois encore cet après-midi du 11 septembre 2001. Après l’entraînement de foot, les télévisions du monde entier passent en boucle les images des tours jumelles qui s’effondrent sur elles-mêmes au cœur de New-York. Du haut de mes 11 ans, je ne comprends pas vraiment ce qu’il se passe, du coup, je reprends le ballon que j’ai sous le bras et repars jouer sur le terrain de Saint‑Josse, en plein centre de Bruxelles. De mémoire, c’est la première fois que j’entends parler « d’attentats terroristes ». Ils se sont malheureusement enchaînés depuis… Madrid, Londres... Ça m’a toujours rendu triste, sans plus pour dire la vérité. « C’est loin d’ici non ? »… On mettra ça sur le compte de mon insouciance de jeunesse.

Le 13 novembre dernier, ça été une autre histoire. Fraîchement arrivé à Paris, j’assiste impuissant aux attentats qui frappent mon nouveau chez-moi. On faisait la fête entre potes, puis, tout est allé très vite. Flash info à la fin du match de l’équipe de France : « Fusillades dans le centre de Paris ». Apparemment, ça tire pas loin d’ici. Les terrasses se vident très rapidement et la panique s’installe. On file à l’appart de Matthieu, à deux pas du bar. La télé est allumée mais personne ne parle. Mon téléphone n’arrête pas de sonner et je rassure mes proches restés à Bruxelles autant que possible. Les seules personnes auxquelles je tiens à Paris sont réunies dans ce 40m carré. Je vois bien qu’ils souffrent. Mais malgré l’horreur, les nouvelles ont l’air plutôt rassurantes pour eux et leurs proches. Je suis sous le choc évidemment, mais ça va. Mon insouciance commence tout de même à foutre le camp. Tout doucement.

22 mars 2016. Comme tous les jours je profite de la vue sur Paris depuis la fenêtre de la salle de bain. Il fait beau, la journée s’annonce bien. Ou pas. Mon petit frère Elliot m’annonce qu’il y a eu deux explosions à l’aéroport de Zaventem. Au téléphone, ma mère me crie qu’elle s’est réveillée à cause du bruit de l’explosion et qu’elle voit de la fumée depuis chez elle. On habite à 1 km de l’aéroport. Le stress monte. Mes premières pensées vont à une personne que je connais bien et qui doit prendre l’avion d’ici peu. Je ne sais pas quand elle part exactement mais je suis inquiet. J’apprendrai plus tard qu’elle ne s’envole que la semaine prochaine. Premier « ouf » de soulagement.

À la rédac’ ça s’agite. Les infos fusent, les messages tombent. Laurence m’écrit depuis Istanbul : « Antho, notre maison ». J’essaie de la rassurer mais je n’en mène pas large derrière mon écran. Bruxelles, c’est chez moi. Maelbeek, c’était ma station de métro. Huit années à y passer pour aller à la fac et, plus tard, au boulot. Coline me dit qu’à 9 minutes près, elle était dans ce métro qui est parti en fumée. Pareil pour Borja, qui m’avoue que sa copine se trouvait dans la rame qui a précédé l’explosion. Les réunions défilent mais le cœur n’y est pas. J’essaie de faire bonne figure quand même. Le sourire est une façade, le rire est forcé. Pour être franc, je fais semblant de travailler alors que j’envoie des messages à tout‑va pour savoir si tout le monde est « safe ». C’est le cas. Deuxième « ouf » de soulagement.

Le retour à l’appart est difficile. Le métro se bloque entre Strasbourg Saint-Denis et République. Les lumières s’éteignent. Silence de mort. Impossible de ne pas penser au scénario catastrophe mais heureusement, ce n’est qu’un problème technique. Malgré tout, les questions se bousculent : au nom de qui, de quoi, a-t-on le droit de faire une chose pareille ? J’ai beau essayer, je n’arrive pas à comprendre. Journée de merde.

Les appels vers la Belgique se répètent, sans vraiment me faire du bien. Comme cette bouteille de vin et ces clopes bêtement achetées sur le chemin du retour. J’ai besoin d’un défouloir, mais le terrain de foot de mon enfance se trouve désormais à 300 km de Paris. Reste l’envie d’écrire, qui apparaît comme une évidence. Une réaction, sûrement. Comme mes collègues journalistes qui, il y a quelques mois, avaient eux aussi comblé le vide. Je ne suis pas journaliste, mais quelque part, je le devais. Pour tous ces ceux qui m’ont partagé leur colère, leur incompréhension et leur tristesse du jour. Pour Elliot, Coline, Sarah, Laurence, Costa, et tous les autres.

Entre Paris et Bruxelles, j’ai définitevement perdu l’insouciance qui faisait aller et venir un gamin, du poste de télévision au terrain de foot du quartier. Aujourd’hui, si je jette un regard par dessus l’épaule, je perçois une sale impression : celle de voir les évènements jadis si lointains se rapprocher de plus en plus.