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Athènes : assurance tourisme

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SociétéEU-TOPIA ON THE GROUND

Il va sans dire que la Grèce joue le premier rôle dans le théâtre tragi-comique que l’Europe donne en représentation depuis bientôt 5 ans. Cela dit, au-delà de l’image dégradante que le reste du monde lui a collée, le pays joue sans complexe son dernier atout : le tourisme.

Visite guidée d’une capitale qui mise tout sur un certain « tourisme d’émeute », loin de l’Acropole et tout près des graffitis.

« Celle-là, elle est pas mal ! Je vais la poster sur Facebook de suite ! », s’exclame une jeune étudiante anglaise après plusieurs tentatives infructueuses de prendre une photo d’elles et de sa copine avec l’Acropole en arrière plan. Jen et Alice sont en vacances. Elles ont décidé de faire une petite pause dans leurs études pour venir passer quelques jours en Grèce. On est début avril et il fait toujours froid dans le reste de l’Europe, donc, pour elles, Athènes était la destination la plus logique. « Sauf que nos parents étaient un peu inquiets de nous voir partir toutes seules à Athènes, mais on leur a promis qu’on ne sortirait pas la nuit et qu’on serait prudente. Ils nous avaient donné même un peu plus d’argent pour qu’on se trouve un bon hôtel, dans un quartier sûr », admet Alice.

Guides, néo-nazis et Corée du Nord

L’austérité, les mouvements sociaux violents, les grèves qui paralysent les transports en commun, l’insécurité, les immigrés illégaux qui errent dans les rues, les grilles des magasins fermés, les néo-nazis qui tabassent tout ce qui ne ressemble pas au Grec moyen....Athènes est devenue, dans les médias, le synonyme d’une ville tombée sous les tirs de la crise. C’est cette image qui a fait fuir les touristes. Mais pas tout le monde.

« La crise n’est pas un spectacle. Des visites guidées sur le thème de la crise ne feront que générer une mauvaise image de ce pays »

Par une journée ensoleillée et autour d’un café frappé, Kostas Kallergis, journaliste à The Crisis Republic, me confie une histoire quasi-improbable. Du jour au lendemain, en lieu et place du touriste classique habitué à suivre le parapluie coloré du guide, les Athéniens ont vu émerger une nouvelle sorte de visiteurs. Kostas parle carrément du nouveau visage du tourisme grec comme d’une sorte de safari. Des anarchistes américains qui cherchent l’inspiration dans le mouvement contestataire grec aux journalistes et étudiants européens en manque d’histoires dramatiques, en passant par ceux qui n’avaient pas de convictions particulières ni grand-chose à faire en Grèce si ce n’est de prendre part à des émeutes. « Pendant des affrontements avec la police, j’ai vu une dizaine de jeunes venant d’autres villes européennes faire une petite escapade à Athènes et qui, au lieu d’aller à Rome jeter une pièce de monnaie dans la fontaine de Trévi, ont choisi de venir jeter une pierre sur un policier grec. »

Ce n’est pas une blague. Après la Corée du Nord, certaines agences de voyage internationales proposent la Grèce à leur clients avec des slogans qui pourrait très bien ressembler à ça : « Venez voir un pays européen en crise, saccagé par la misère, le chômage et la pauvreté ! A votre gauche se trouve la place Syntagma où de nombreuses émeutes ont commencé et à votre droite la rue Ermou, barricadée. Et pour ceux qui préfère des vacances moins pépères, ils trouveront d’excellents conseils sur Internet sur comment faire du "riot tourism" - du tourisme d’émeute. »

La crise, comme un bon vieux péplum ?

Ne tentez même pas de mentionner ce nouveau genre de touristes à Dimitra Papadopoulou, une guide passionné, titulaire d’un doctorat en communication décroché à Paris XII, qui m’invite à faire un tour de l’Acropole avec son petit groupe de touristes venant des quatre coins du monde. « Les problèmes existent en Grèce, on ne peut pas nier la réalité. Mais, la crise n’est pas un spectacle. Des visites guidées sur le thème de la crise ne feront que générer une mauvaise image de ce pays », peste-t-elle. Syllogisme de base, la mauvaise image veut dire beaucoup moins de touristes. Et moins de touristes, moins de travail.

Dimitris* est un trentenaire qui fait partie d’un mouvement nommé Omikron project dont les membres se disent être des jeunes tout a fait ordinaires, mais qui en ont assez de voir des images forcées et inexactes de leur pays. Dans un bar très huppé, il explique : « Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour l’économie ni pour le chômage, mais on ne peut pas juste rester les bras croisés. Notre pays souffre déjà des horreurs de l’austérité et l’image véhiculée par les médias va seulement aggraver les choses en menaçant principalement le secteur du tourisme ». C’est pour cette raison que les gens d’Omikron Projet sont rentrés dans une véritable croisade contre les stéréotypes. Bon, une croisade tranquille. Pour l’instant, ils se contentent de prêcher la bonne parole sur les réseaux sociaux, impriment des affiches avec des photos détournées et réalisent des dessins animés où le personnage principal Alex incarne la kyrielle de clichés que le reste du monde fait peser sur les Grecs.

Le tourisme…et l’anarchisme

Un groupe de jeune grec, diplôme d’architecte et de design en poche mais sans travail, a flairé la bonne idée. Pour arrondir leurs fins de mois, les membres surfent sur la tendance du tourisme alternatif. Inspirés par les mêmes tours-opérateurs qui existaient déjà dans les autres villes européennes, notamment à Berlin, ils ont créé « Alternative Tour of Athens ».  « Athènes est devenue comme une sorte de zone de transit pour aller dans les îles et les touristes ne visitent que l’Acropole. Nous, on a eu l’idée de proposer autre chose. On voulait montrer le visage caché de notre capitale. En montant un business porteur d’emplois », me raconte Maria Peteinaki mon guide du jour, une trentenaire qui a sont propre bureau d’architecte, mais dont les affaires vont mal ces derniers temps.

Au menu du jour, une balade privée à Exarchia, le quartier prétendument anarchiste où, selon la légende, même la police n’ose pas trop s’aventurer. Une sorte de mix entre architecture, street art, histoire des mouvements sociaux, visites de parcs autogérés et de squats, refuge des migrants. Aujourd’hui, c’est une partie de la ville tout à fait paisible, avec, ici et là, ses maison brûlées et ses façades entièrement couvertes de graffitis. Sur un de ces murs, une plaque commémorative rappelle l’assassinat d’un jeune de 15 ans par la police en 2008 à la suite duquel les émeutes ont éclaté. « J’imagine que ces graffitis donnent une certaine image d’insécurité », dis-je en guise de conclusion un peu trop hâtive. « Non, ce ne sont pas des graffitis, c’est de l’art », me corrige Maria. Petite erreur d’appréciation de ma part.

Cet article est le premier d’une série de reportages mensuels portants sur plusieurs villes pour EUtopia on the Ground. Consultez la page pour en savoir plus sur notre envie de "meilleure Europe" d'Athènes à Varsovie. Ce projet fait l'objet d'un soutien financier de la Commission européenne dans le cadre d'un partenariat de gestion avec le Ministère des Affaires étrangères, de la Fondation Hippocrène et de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme.

Photos : Une et texte © Sladjana Perkovici pour EUtopia on the ground à Athènes - avril 2013 ; Vidéos (cc) creteregion/YouTube

*Le prénom a été changé