Arturo Ripstein, génie oublié du cinéma mexicain
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Le réalisateur mexicain Arturo Ripstein était l'invité d'honneur des Rencontres Henri Langlois (RHL) de Poitiers du 2 au 11 décembre. Quarante ans de carrière, une vingtaine de films en boîte, plusieurs fois présents à Cannes, et pourtant, quasi-inconnu du public français.
« Je n'assume pas l'étiquette de maestro du cinéma mexicain », lance d'emblée le réalisateur, « on dit ça parce que j'ai déjà 68 ans. » Lors du festival, des bruits courraient sur le possible égo démesuré du personnage. Il n'en est rien, celui qui se présente comme un « ouvrier du cinéma » joue la modestie. Lunette rondes sur le nez, parka sans prétention sur le dos, il en est presque attachant. « Après la ligue des Américains. Il y a le reste. J'en fais partie », reprend-t-il. Réaliste, il admet aussi avoir perdu en visibilité par rapport aux années 1990. À l'époque, la France le découvrait et l'adorait. Héritier de Luis Buñuel, les articles élogieux s'enchaînaient. Les nominations à Cannes aussi. Depuis, silence radio. « Est-ce ma faute ? » s'interroge-t-il, « j'ai pourtant continué à faire mon travail. »
Fils de producteur, Ripstein a d'abord fait quelques incartades commerciales avant de se tourner vers le cinéma d'auteur. Depuis, ses histoires ne sont pas là pour faire rêver la ménagère. « Las razones del corazon » (« Les raisons du cœur », ndlr), son dernier film a été présenté en avant-première au festival des RHL. Le pitch ? Émilia (Arcelia Ramirez) , mère de famille dépressive, préfère harceler son amant plutôt que de s'occuper de sa famille. Le jour où elle se fait plaquer, elle découvre que son amoureux a dilapidé tout son argent. Ses biens vont être saisis. Désespérée, elle erre dans son appartement crasseux. Le suicide devient l'échappatoire.
« L'ennemi à vaincre c'est le public »
Ambiance oppressante en noir et blanc. Libre au spectateur d'apprécier l'œuvre. Libre... S'il arrive à la visionner. Aucun distributeur français ne s'est encore manifesté. C'est la crise pour tout le monde. « La faute à l'avarice de ceux qui injectent l'argent dans les films », vilipende le réalisateur. « Le succès dépend avant tout du public », coupe Paz Alicia Garciadelo, sa femme et co-scénariste, « c'est l'ennemi à vaincre. Le ticket c'est le droit de vote et ils devraient donc être intelligents. »
« Pas besoin d'être malade pour parler de la maladie »
Paz se montre exigeante, comme le cinéma de son mari. Solitude, enfermement et amour fou : trois notions décortiquées dans chacune de ses œuvres. « Pas besoin d'être malade pour parler de la maladie » prévient Arturo. Façon de rappeler qu'il est sain d'esprit. Plus exactement, sain d'esprit parce qu'il filme : « J'éprouve une certaine rancune envers la réalité. Elle me fait peur et se répercute sur mes rêves. Comment se réveiller tous les jours lorsque l'on fait des rêves aussi fous ? Filmer, c'est comme se réveiller d'un cauchemar. »
Ripstein confesse, effectivement, ses délires d'amants meurtriers, de prostituées jalouses et de fanatiques religieux. Ses personnages sont des misérables. « Examiner l'idée de folie dans un laboratoire c'est formidable », commente-t-il. « Prenez l'amour fou. C'est bref et intense. Il peut seulement se domestiquer par un mariage. Sinon, on meurt », poursuit celui qui barricade chacune de ses angoisses sur un format d'environ deux heures.
« Quand on filme, on ne montre pas de passeport »
Très peu loquace sur son pays d’origine, « le Mexique est un pays de survivants » , on n'en saura pas plus sur ses opinions politiques, si ce n'est qu'elles sont « fluctuantes et privées. » « Quand on filme, on ne montre pas de passeport. Je ne peux éviter d'être Mexicain, mais j'évite de faire de la politique, de la sociologie ou de l'anthropologie », résume-t-il. Sa femme l'interrompt. Ils se chamaillent quelques minutes comme des gamins. Elle peut ensuite s'exprimer : « Tout acte humain est politique. En revanche, réduire ce qui est filmé à cet espace appauvrit notre message. Nous visons un langage universel. »
Le bonheur, son impossibilité, la frustration. La plongée dans l'univers ripsteinien est douloureuse - on ne s'y prend pas à l'improviste - mais fascinante. Comme un défouloir. Seul bémol, seulement un film est disponible sur les rayons des disquaires français. Profundo carmesí (« Carmin profond », en français) est certes l'un de ses chefs d'œuvres, mais l'envie d'en voir plus ne devrait pas être refrénée. « Go for pirates », scande Ripstein.
Photos : Une et Texte : Sébastien Laval sauf Ripstein seul Laurène Daycard ; Vidéos : Las razones del corazon (cc)YoSiVeo1/youtube ; Profundo carmesí (cc)renzojuarez/youtube