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Armand Gatti: Révolte, arbres et poésie

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Un ballon de poésie

Il y aurait mille choses à dire sur Armand Gatti et mille questions à lui poser tant son œuvre est vaste, tant l’enthousiasme de l’homme est grand. Du fils d’émigrés italiens à Monaco devenu résistant, condamné à mort puis gracié, prisonnier en Allemagne puis évadé, journaliste, anarchiste, au metteur en scène et acteur social. Autant de casquettes que de vies différentes.

Homme complexe, controversé, admiré, il entretient lui-même son propre mythe. Comme les chats, auxquels il doit son nom de famille, Gatti semble avoir eu plusieurs vies. Pour lui pourtant, une seule étiquette lui sied : celle de poète.

Ce vendredi à Montpellier, l’association Idéokilogramme accueille ce grand homme pour l’étape finale d’un projet démarré en 2010 : l’aventure de « La Traversée des Langages ». (De février à mai 2010, 26 participants montpelliérain ont participé à cette création à la Maison pour Tous Léo Lagrange, et dont les premières représentations ont eu lieu les 15 et 16 avril 2010 au Théâtre Jean Vilar de Montpellier.)

Les voûtes médiévales de la salle Pétrarque ont la douceur et la solennité adéquates pour recevoir Armand Gatti. Seul, assis à une table, quelques protagonistes de l’expérience montpelliéraine l’entourant de leur bienveillance en contre-bas, Armand Gatti raconte. Se raconte, tant l’Histoire avec un grand h et son histoire, ses histoires ne font plus partie que d’un même moule.

La perte à 18 ans de son grand amour, jeune juive déportée en camp de concentration, la rencontre primordiale avec Mao Tsé Toung en Chine, ses mises en scène avec les « Loulous » (chômeurs, toxicomanes, délinquants - avec qui Gatti travaillaient lors de ses premières expériences)… Gatti nous parle et la temporalité n’a plus guère de sens, on perçoit que tout en lui est intimement lié.

« Un jour j’ai pris conscience que ce que je voulais dire par la révolution, c’était la poésie »

Armand Gatti a décidé un jour de quitter sa carrière de journaliste pour devenir poète. Il a choisi d’utiliser le langage poétique pour transcender tous les autres, et les rendre tangibles, accessibles à tous. Ses mois passés dans le maquis pendant la guerre, dans lequel il lisait Michaux, Gramsci et Mallarmé aux arbres pour ne pas s’endormir pendant ses tours de garde, tout comme la rencontre avec Mao dont le langage « détenait la seule vérité » l’ont convaincu que la révolte et la lutte devaient être permanentes et qu’elles passaient par les mots.

Armand Gatti écrit donc des textes et décide de les mettre en scène. Anarchiste, attiré par les idées communistes, il comprend très vite que pour toucher le public auquel il veut s’adresser (ouvriers, marginaux...) il va falloir qu’il devienne partie prenante de son spectacle. Débutent alors ses fameuses expériences avec notamment les Loulous : acteurs non professionnels, vie de troupe pendant 2 à 10 mois, le spectacle et le texte de Gatti grandissent et se nourrissent de textes, chansons, apportés ou écrits par les protagonistes, qui vivent alors une expérience pleine et à part.

La technique Gatti a cette donnée essentielle selon Matthieu Aubert : « on travaille avec des individus ». Le jeune assistant de Gatti l’a rencontré lors d’une expérience en 2003, a mené à ses côtés de nombreux projets (soutenus par la structure d’Armand Gatti « la maison de l’arbre ») et a finalement co-mis en scène le projet « Traversée des Langages » à Montpellier. Mettre en scène la compilation d’une quinzaine de pièces de Gatti ayant pour thème les mathématiques, une entreprise qui peut faire peur au premier abord. Les traces qu'il en reste aujourd’hui en donnent une image au contraire jouissive : c’est un blog qui relate les témoignages des participants recueillis lors des ateliers d’écritures, c’est la motivation et la présence, 3 ans après, d’anciens participants pour redonner vie pour quelques minutes à ce projet et accueillir Gatti, c’est un livre édité aux éditions l’Entretemps qui retrace ces 3 mois de création, c’est enfin la lettre lue par Haciba Boucenna, écrite par la jeune Charifa Ahmiti, qui dit que ce théâtre, cette poésie là a changé beaucoup de choses en elle et pour longtemps.

Ce soir salle Pétrarque, Armand Gatti lit un texte de Francis Bailly, les participants l’entrecoupent de chants et de lectures. Le propos est dense, difficile parfois, on se perd aussi et puis à la fin l’humain vous rattrape.

« La vie a un destin poétique »

La lecture terminée, je retiens au vol l’attention du vieux monsieur (90 ans an janvier prochain). Deux ou trois questions, posées rapidement : les racines si importantes pour lui, ses morts auxquels il tient tant qu’il veut les rendre vivants encore par sa parole ; la poésie comme seule issue, Mao comme seul modèle (« à partir de là j’ai vécu des choses formidables ») . Les arbres, enfin, solidement enfoncés dans le sol mais regardant toujours vers le ciel, les arbres, comme port d’attache d’une poésie qui cherche toujours plus loin. Celle d’Armand Gatti, celle qu’il nous invite à suivre et à brandir, comme un instrument de lutte.

Auteur: Delphine Malosse