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Ariana Burstein : « La musique des nuances »

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BrunchSociété

Cette violoncelliste argentine n’a pas son pareil pour métamorphoser son instrument en guitare électrique. Avec des influences espagnoles, et en duo, elle tente de bousculer une musique de chambre européenne trop conventionnelle à ses oreilles. Rencontre à Berlin, sa terre d’accueil.

(Photo: Louisa ReichstetterA Berlin, dans le quartier de Kreuzberg, la Bergmannstrasse s’étale sur deux cents mètres de bars branchés, de boutiques et de touristes qui déambulent. Dans ce brouhaha, le parc Viktoria est un véritable havre de paix. A l’orée, dans l’ancienne et vénérable demeure de caractère où mes hôtes me reçoivent, on ne s’entend presque plus parler tellement la grande cascade artificielle qui dévale la colline du parc est bruyante.

« Ne t’inquiète pas, ça n’apparaîtra pas sur l’enregistrement ! », précise Ariana Burstein pour me rassurer. La « petite » violoncelliste est assise sous les spots de ce qui fut autrefois la salle de bal de cette villa cossue devenue aujourd’hui restaurant et occasionnellement, comme ce soir, salle de concert. A l’extérieur, la température tourne autour de 28 degrés. Mais, ici, en pleine lumière, loin de l’effervescence et de l’agitation de Kreuzberg, elle atteint au moins les quarante. Ariana et le guitariste Roberto Legnani, autre moitié de ce duo insolite, sont filmés par quatre cameramen. Un peu à la hâte, les micros ont été camouflés avec plus ou moins de discrétion derrière de grands candélabres.

Ariana grille une cigarette et savoure le plaisir d’une longue bouffée : « J’ai l’habitude de fumer un paquet par jour, mais ces six dernières semaines, j’ai réduit fortement ma consommation. Pour le moment, je ne fume plus que deux cigarettes par jour. Roberto lui, a complètement abandonné. » Puis, dans un éclat de rire aussi profond que chaleureux, elle ajoute : « Il s’est toujours montré beaucoup plus extrémiste que moi. Avec lui, c’est tout ou rien ! » Le trait de crayon qui souligne ses yeux dessine comme des ailes autour de ses paupières. Si, nous nous entretenons principalement en espagnol, certains mots tels que « kulturbetrieb » (« la scène culturelle ») « zupfen » (« pincer ») ou « heimat » lui viennent automatiquement en allemand.

Une guitare et un violoncelle

Tous les deux ont suivi une formation musicale classique. Ariana Burstein qui a grandi en Argentine et en Israël a longtemps fait partie de l’orchestre symphonique de Bremerhaven avant de former en 1996, avec Legnani, ce duo tout à fait atypique et unique en Europe.

« Tu sais, j’ai vécu les deux expériences : avec orchestre et en solo », rappelle-t-elle. Quand on lui parle de la scène musicale, Ariana répond prudemment : « Les musiciens d’orchestre se plaignent toujours de ne pas gagner plus d’argent que ce qui est inscrit sur leur contrat. Mais en réalité, il n’y a pas de comparaison entre les deux pratiques : avec un contrat, quelque soit la somme, ton revenu est assuré. En tant que soliste, il n’y a aucune garantie et surtout aucune limite. »

Entre 1996 et 2006 en Allemagne, le duo a effectué plus de 600 concerts (Photo: LR)

Or, c’est précisément cette liberté que tout deux trouvent excitante. Jamais auparavant un violoncelle et une guitare ne s’étaient réunis pour exécuter de la musique de chambre. Il était impossible de trouver des partitions imprimées pour ce type de formation. Ce qui veut dire qu’Ariana et Legnani ont dû jusqu’à ce jour solfier eux-mêmes leurs arrangements. Mais grâce au succès grandissant de leurs concerts, il est désormais possible de se procurer ce genre de partitions.

Des festivals vieux jeux

« Quand nous avons commencé, beaucoup de nos collègues disaient que nous étions dingues. Notre première idée a été de lancer des cours d’instrumentation, démarche qui n’est pas habituellement associée à la musique de chambre. Nous voulions montrer aux jeunes musiciens européens comment transcrire et réarranger des œuvres mais le projet a échoué en raison du manque d’intérêt que cela a suscité. Les festivals de musique classique en Europe se montrent sceptiques face à toute innovation. Ils s’en tiennent à la tradition. Pour eux, la musique instrumentale de chambre, c’est avant tout le quatuor à cordes ou le duo pour violoncelle et piano, par exemple. »

(Photo: LR)Burstein explique que sa passion des voyages a sûrement donné cette « saveur » si espagnole à sa musique. Pour son premier concert public, le duo hors norme a mêlé des refrains populaires de tous les coins de la Terre à des morceaux de musique savante. « Par exemple, un jour, Roberto nous a fait un arrangement d’une musique sud-coréenne qu’il venait de découvrir. Mais nous nous sommes vite aperçu que notre public appréciait surtout la musique espagnole de la Renaissance, la période baroque, et par dessus tout, la musique du début du 20e siècle. » Leurs concerts ont connu une telle popularité qu’ils ont reçus de la part de la Présidence fédérale allemande, des prix culturels de soutien en 2000 et en 2007.

Tout comme Ariana Burstein, Roberto Legnani dont le père est originaire d’Italie se dit Juif pratiquant. Par habitude, il enlève sa kippa avant chaque concert. Ce qui ne manque pas d’étonner et d’amuser Ariana : « Un jour, je lui ai demandé : mais pourquoi donc, Roberto ? Alors que tu la portes tout le reste du temps ! »

Un staccato cosmopolite

De nouveau, un rire profond et chaleureux semblable aux cordes graves de son violoncelle retentit. Quand on lui demande où elle se sent chez elle, Ariana ferme un instant les yeux avant de répondre : « Difficile à dire. La religion représente peut-être pour moi une sorte de foyer. J’ai quitté l’Argentine quand j’avais 14 ans et je n’y suis pas restée suffisamment longtemps pour que je m’y sente vraiment chez moi. Après avoir passé un certain temps en Uruguay, nous sommes allés en Israël. Je m’identifie fortement à cette terre, mais pour dire les choses très honnêtement, je n’ai pas voulu y rester. La raison principale est que j’aurais eu beaucoup moins d’opportunités professionnelles qu’ailleurs. Car pour un si petit pays, il y a une quantité phénoménale de musiciens. D’autre part, le rythme de vie me semblait beaucoup trop agité. J’ai besoin de calme. Comme celui que j’ai trouvé dans la petite ville où je réside à présent près de Strasbourg. »

(Photo: LR)Ariana Burstein pourrait être aisément qualifiée de cosmopolite. « Je parle espagnol avec ma mère et hébreu avec mes sœurs. J’ai vécu moi-même à Strasbourg pendant quelques années et j’éprouve beaucoup de plaisir à parler le français. Je suis restée en Allemagne pendant près de 30 ans et je peux aussi communiquer sans problèmes en anglais et en italien. » Et elle a la musique et son violoncelle.

Quelques heures plus tard, la salle est pleine. Roberto Legnani adresse un clin d’œil amical à des étudiants de passage assis au premier rang. Durant le concert, le duo fait la part belle à « la musique des nuances » comme se plaît à la nommer Ariana, en démontrant avec brio que leurs deux instruments peuvent, s’il le faut, se métamorphoser en batteries miniatures et que le violoncelle, quand il le désire, sait aussi rire, gronder et rugir. Pendant l’exécution du très célèbre « Concierto de aranjuez », Ariana Burstein jette rageusement un coup d’œil furtif derrière le chevalet de son instrument dont elle fait vibrer les cordes avec légèreté. Et, soudain, au beau milieu de Kreuzberg, le violoncelle résonne étrangement comme une guitare électrique.

Translated from Ariana Burstein: "Europas Klassikfestivals sind verkrustet"