Après trente ans de tabou, la vérité émerge lentement sur le massacre de 1988 en Iran
Published on
De nouveaux développements laissent penser que les efforts entrepris par les défenseurs des droits de l’homme et les épris de justice ne seront pas vains. Alors que les familles iraniennes des victimes du massacre de prisonniers en 1988 cherchent toujours à faire connaître leur combat pour la justice, ce crime contre l’humanité, perpétré par des dirigeants iraniens toujours en fonction, est de plus en plus largement connu et condamné par la communauté iranienne elle-même, ainsi que par la communauté internationale.
En août 2016, le fils du défunt Ayatollah Hossein Ali Montazeri, Ahmed Montazeri, avait rendu public les enregistrements audio datant de 1988 (au cœur de l’été sanglant qui vit disparaître plus de 30 000 prisonniers politiques) dans lesquels le religieux ensuite déchu, lors d’une réunion privée, désavouait la politique de l’Ayatollah Khomeiny et blâmait des mollahs responsables devant l’Histoire. Ahmed Montazeri n’a pas tardé à être jugé pour cet affront au régime théocratique et jugé à 21 ans d’emprisonnement (dont 7 effectifs) pour « action contre la sécurité nationale » et « propagande contre le système » ; mais le mal était fait, et il avait réussi à ébranler l’opinion publique.
En septembre dernier, dans le sillage des révélations du mois précédent et à l’occasion de la 33e session du Conseil des Droits de l’Homme, un comité a été créé, le JVMI (Justice pour les Victimes du Massacre de 1988 en Iran), regroupant plusieurs personnalités spécialistes des droits de l’homme, dont Lord Alton, défenseur renommé des droits de l’homme, Ingrid Betancourt, Rama Yade, ancienne ministre française des droits de l’homme, …etc. Ce comité s’est donné pour mission de rassembler davantage de preuves et de témoignages qu’il n’en existe déjà, et de traduire devant la justice internationale les responsables de ce massacre dont il a été démontré que les plus impliqués occupent toujours aujourd’hui de très hautes fonctions du pouvoir en Iran.
Mercredi 15 mars, le comité a publié et présenté au siège de l’ONU à Genève un premier rapport de 360 pages qui confirme que le nombre de morts communément cité pour quantifier les victimes de ce massacre était largement sous-estimé grâce à la confusion savamment orchestrée par le régime, qui a exécuté sans procès, rattrapé des prisonniers libérés, dissimulé les cadavres, réprimé les familles en quête de vérité : Azadeh Zabeti, vice-présidente du Comité des avocats anglo-iraniens (CAIL), qui a pris part à la présentation du rapport, a évoqué le « code du silence » en vigueur pendant 30 ans, sévèrement imposé à la société par la théocratie.
Ainsi, selon les sources les plus proches du dossier, ce sont près de 33 700 dissidents qui ont été pendus ou fusillés en l’espace d’un été (au lieu de quelques milliers supposés), quasi génocide qu’Amnesty International a qualifié de crime contre l’humanité. Aujourd’hui, ce sont une vingtaine d’ONG qui appellent la communauté internationale à traduire les responsables devant la justice. Un certain nombre d’ONG dotées d’un statut consultatif aux Nations Unies ont présenté leur exposé sur ce crime contre l’humanité lors de la 34e session du CDH toujours en cours à Genève, tandis que les membres du CNRI (Conseil National de la Résistance Iranienne) rencontrent nombre de diplomates pour que soit créée une commission d’enquête sur cet événement qui, comme le souligne le JVMI, trouve peu d’équivalents à son échelle au 20e siècle.
Premier signe d’une reconnaissance internationale : la mention du massacre est enfin faite dans le récent rapport de la Rapporteuse Spéciale sur la situation des droits de l’homme en Iran, Mme Asma Jahangir, qui mentionne au passage les mauvais traitements réservés à une prisonnière en quête de réponses sur le sort réservé aux membres disparus de sa famille, ainsi que le cas d’Ahmed Montazeri, qui comme de nombreux défenseurs des droits de l’homme en Iran, a été sévèrement réprimé pour avoir laissé émerger la vérité.