Antoine Deltour : un lanceur d'alerte en procès
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Près d’un an et demi après les révélations dans l’affaire LuxLeaks, le procès du lanceur d’alerte Antoine Deltour et du journaliste Edouard Perrin s’est ouvert à Luxembourg le mardi 26 avril.
L’ambiance était assez pesante à l’arrivée des différentes parties pour l’ouverture du procès dans l’affaire « LuxLeaks ». Pour rappel, « LuxLeaks » fait référence aux révélations de pratiques fiscales légales mais déloyales du Luxembourg visant à réduire le taux d’imposition dont devaient s’acquitter des entreprises multinationales, afin de les faire venir sur le territoire national. Cette affaire a été mise en lumière notamment grâce au lanceur d’alerte Antoine Deltour, ancien employé du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC), Édouard Perrin, journaliste d’investigation pour France 2 et à Raphaël Halet, également ancien employé de PwC.
Un accusé détendu
C’est la première fois qu’un procès concernant une affaire d’une telle ampleur sur le sujet s’ouvre en Europe, et elle intervient dans un contexte de volonté, par la société civile, de reconnaissance du statut des lanceurs d’alerte. On a encore pu le voir dernièrement avec la vindicte, pas toujours à raison, contre la directive sur le secret des affaires.
C’est pour cela que l’ouverture du procès des trois protagonistes revêt une importance particulière et a fait l’objet d’un intense traitement médiatique. Beaucoup de journalistes étaient présents et, au moment où Antoine Deltour a pris place dans la salle d’audience aux côtés de ses deux avocats, l’un d’eux lui a glissé « Je n’ai jamais vu autant de photographes », ce à quoi l’inculpé a répondu par un léger sourire. L’ancien employé du cabinet d’audit PwC est apparu au procès assez détendu. C’est ce que nous a confirmé son oncle Pierre Deltour, en marge de l’audience.
L’homme, comme il avait été évoqué auparavant, notamment par son frère Romain Deltour, est quelqu’un de discret et humble. Il s’est d’ailleurs présenté modestement à l’audience. Tenue vestimentaire discrète, pas de réponse aux questions posées par les journalistes, pas d’affichage auprès des photographes et des caméramans. Ligne de défense somme toute logique, lui qui avait également préféré décliner les invitations à répondre aux interviews quelques jours avant l’ouverture du procès.
« Comme un voleur de poules »
À l’extérieur, ils étaient quelques dizaines à s’être rassemblés devant le Tribunal d’arrondissement du Luxembourg, afin de manifester leur soutien au lanceur d’alerte, au journaliste et au troisième inculpé. Parmi eux, Lison Rehbinder, membre de l’association Peuples solidaires et représentant la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaire. Elle nous explique que son équipe est venue ici, d’une part, afin de « soutenir l’action des lanceurs d’alerte » qui agissent dans une démarche totalement désintéressée et de manière bénéfique pour la société et l’intérêt public. Et d’autre part, il importait à son association d’être sur place afin de rendre publique leur demande de « plus de transparence fiscale ». D’après elle, les citoyens devraient connaître quel est le bénéfice des multinationales dans chaque pays, afin de savoir si les impôts dont elles s’acquittent correspondent à leurs activités réelles.
Leur action, matérialisée par des personnes portant un cache-yeux aux couleurs du drapeau de l’Union européenne, témoigne de l’opacité fiscale en vigueur au sein de l’Union. L’association en appelle donc à « une action des États membres et de l’Union européenne » pour rendre plus transparente la fiscalité en Europe.
Des membres du comité de soutien d’Antoine Deltour étaient également présents devant le tribunal, à la cité judiciaire. Pour rappel, des centaines de personnalités publiques ont signé une pétition pour soutenir l’action du lanceur d’alerte, comme par exemple Edward Snowden, Daniel Cohn-Bendit et Erri de Luca. Parmi les membres du comité de soutien manifestant devant la juridiction, son oncle Pierre nous affirme qu’Antoine Deltour « en tant que citoyen européen, a sorti ces informations pour montrer le système international d’évitement fiscal des multinationales. C’est un citoyen qu’il faut absolument soutenir dans son courage, dans son désintéressement. C’est vraiment l’exemple du lanceur d’alerte éthique. Il espère que cette notion d’intérêt général sera prise en compte par le Tribunal et qu’on ne le jugera pas comme un voleur de poules ». L’aspect désintéressé de sa démarche est un des éléments-clefs du procès et un argument de ses soutiens.
Parmi les pancartes brandies par le comité de soutien ou par les activistes, on peut y lire « Je ne demande qu’une chose, être blanchi » ou « Exigeons la transparence pour plus de justice fiscale ». La mobilisation était donc bien réelle et significative.
« Je reconnais la matérialité des faits »
À l’ouverture de l’audience, un des juges a pris la parole. Après un rapide interrogatoire afin que les accusés confirment leur identité, date et lieu de naissance, celui-ci s’est adressé à eux, listant les faits qui leur étaient reprochés. Pas moins de cinq infractions sont reprochées à Antoine Deltour : vol domestique (de plusieurs milliers de documents à la société PwC, ndlr) et subsidiairement vol simple, violation du secret professionnel, vol de secrets d’affaires, intrusion dans un réseau informatique, ainsi que blanchiment et détention de documents. Comme nous l’avait déjà affirmé son avocat luxembourgeois Maître Philippe Penning, son client risque d’un à dix ans de prison, et de 2 752 à 1 297 500 € d’amende.
À la question « Est-ce que vous avez bien compris ce qu’on vous reproche ? », le diplômé d’école de commerce a répondu : « Je reconnais la matérialité des faits. Je pense que mes avocats… » avant d’être coupé par le juge.
Du côté d’Édouard Perrin, le journaliste de France 2 à l’origine d’un numéro de l’émission « Cash Investigation » sur le sujet, à qui il est reproché notamment d’avoir commis les infractions de vol domestique et de blanchiment de documents, celui-ci n’a pas reconnu les faits.
Le procès doit se poursuivre jusqu’au 4 mai. La position, d’abord du parquet, puis des juges sera déterminante dans la reconnaissance ou non du statut des lanceurs d’alerte, de la transparence fiscale et du secret des affaires.
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