Angelo, tyran de Padoue
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Victor Hugo déclare dans la préface de Angelo, tyran de Padoue : « Il faut que le drame soit grand, il faut que le drame soit vrai. » En allant voir cette pièce écrite par Victor Hugo en 1835 et conduite ici par Christophe Honoré, qui a surtout fait ses preuves au cinéma – Les Chansons d'amours, La Belle Personne –, on se confond dans un mélange de peur et d'espoir.
La peur : que Christophe Honoré dénature ce drame, que le drame ne soit pas vrai ; l'espoir : que pour cette première mise en scène d'un drame classique le cinéaste breton amène une certaine légèreté, une certaine fraîcheur, l'enjeu étant de fixer l'œil et l'ouïe du public sur ce drame classique, romantique de deux heures et demie.
Et fichtre diantre, Christophe Honoré s'en sort plutôt bien
Le drame est là, entier, fort. La mise en scène, grotesque, burlesque, fixe notre attention à tendances vagabondes sur ce drame.
Le décor tout d'abord est particulier : un cube d'environ dix mètres de côté, un échafaudage de trois étages sur lequel les plantes vertes, les sbires du podestat Angelo jouent silencieusement à qui sera le plus loufoque. Ces personnages secondaires sont la cheville ouvrière de toute cette légèreté, de tout ce burlesque. Leur mouvement continuel sur cet échafaudage nous force à devoir sans cesse déplacer notre regard et donc on reste concentré.
La musique ensuite, moderne, parfois à tendance Walt Disney, apporte également une certaine fraîcheur.
Est-ce que tout est parfait ? Christophe Honoré est un dieu vivant vénérons-le, pas encore : le début de la pièce est un peu lourd et la fin – un film, dans un décor contemporain, sur fond de musique mélancolique – fait débander notre excitation dramatique, mais l'enjeu est rempli car grâce à la légèreté, on trouve le drame magnifique.
Ce drame quel est-il ?
Mettre en présence deux femmes que tout semble opposer, qui ne sont unies que dans l’amour du même homme. Cette pièce est d’une féminité magnifique : par la force de cœur, de dévouement, de générosité que dégage la Thisbe, une putain, et Catarina femme du podestat Angelo d’une part, et par l’emprise sur la pièce des deux comédiennes qui jouent ces femmes d’autre part. Clotilde Hesme rayonne, on ne voit qu’elle.
Face à ces deux femmes, deux tyrans : Angelo, podestat de Padoue, homme de pouvoir, riche, craint, mais qui inspire la pitié car doublement cocu et d’une solitude lamentable, et Rodolfo, jeune bellâtre proscris, qui laisse croire à la Thisbe qu’il l’aime alors qu’il ne respire que pour Catarina. Il entretient l’adage que tout homme qui aime est forcément crétin, mais le véritable tyran c’est lui : la tyrannie sur les cœurs est bien plus terrible que la tyrannie sur les corps. Angelo enferme Catarina dans ses appartements, mais celle-ci s’en fiche car elle aime et est aimée, Rodolfo possède le cœur de la Thisbe et pour cette dernière aucun refuge.
Au milieu de tout ça, tirant les ficelles, Homodei, l’envieux, le soupirant éconduit de Catarina qui a laissé la force de la haine prendre la place de la force de l’amour. Le drame est beau, le drame est vif, il faut croire que ce Victor Hugo possédait un certain talent, et il faut remercier Christophe Honoré pour le fait qu’il nous rende ce drame plus accessible, plus appréciable.
Et ici soulever un problème : notre vision sur cette œuvre serait-elle identique sans le côté léger, burlesque ? Aurait-on autant aimé deux heures et demie d’un Angelo, tyran de Padoue plus classique ? Ou comment craindre que notre attention, l’attention d’une personne de la société de consommation, usée par les spots publicitaires, la télévision à outrance, ait besoin d’être sans cesse excitée, distraite – ah oui, ça je garde c’est très bon une attention distraite. On ne saurait apprécier pleinement une œuvre sans fanfreluches, alors que pour le coup Angelo, tyran de Padoue, mis en scène par Christophe Honoré, on apprécie.