Amelia Andersdotter : petit animal politique
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Barbara BraunElle est la plus jeune députée du Parlement européen. Parfois, elle se demande pourquoi elle est là. La Suédoise Amelia Andersdotter se présente à nouveau aux élections européennes pour le parti pirate. L'occasion de discuter avec elle de binge drinking, du Parlement européen et des baleines.
Amelia Andersdotter porte un sac à dos vert criard et regarde autour d'elle. Quand nous nous serrons la main, elle semble soulagée. La plus jeune députée du Parlement européen ne vient pas souvent à Paris. Sur le chemin du café, elle parle d'un congrès sur la cybersécurité auquel elle assistera le lendemain. Elle dit que c'est encore une notion floue, qu'on essaie de chasser des fantômes. Elle me demande si j'ai peur des fantômes. Pris de court, je ne trouve pas de réponse. Nous nous taisons.
Interview peu avant son arrviée au Parlement européen
Elle commande des chips et un thé qui sent bon. Nous nous mettons un peu à l'écart dans cette cour intérieure remplie de jeunes parisiens bien fringués. Certains sont seuls avec leurs Macs, d'autre écrivent dans leurs carnets Moleskin. De longues barbes se penchent sur les premières robes légères du printemps. Le soleil est au rendez-vous, et Amelia commence à engloutir ses chips.
Quand les autres buvaient, elle faisait de la politique
Son pays, la Suède, est-il vraiment l'endroit idyllique qu'on imagine ? Elle me jette un regard grave. Elle a grandi dans un petit village, là où toutes les familles suédoises aimeraient voir grandir leurs enfants, loin des grandes villes. Elle dit que les Suédois sont réservés : « je pense que je fais partie de cette catégorie ». Elle dit cela sans attendre la moindre contestation de ma part. Quand elle est arrivée près de Stockholm pour ses études, elle n'avait pas envie de boire autant que la plupart des Suédois de son âge. Les jeunes Suédois adorent le binge drinking, la « biture express », raconte-t-elle. C'était le début de sa carrière politique : pendant que la plupart des étudiants ne dessoûlaient jamais, elle discutait politique avec ses amis. « J'ai trouvé mes idées politiques au fond de ma tasse de café. » Ça a l'air d'une phrase toute faite, mais elle le dit avec une sincérité impénétrable.
Je lui demande pourquoi elle veut de nouveau être élue députée européenne. Elle fait la moue et regarde le crépuscule dans un ciel parisien sans nuage. Elle serre son sac à dos contre elle. « Parfois, c'est difficile à expliquer. Les institutions européennes sont comme une énorme baleine. C'est long, très long de les faire changer de direction. » Je lui demande s'il est réaliste de croire que la baleine changera de direction : « avec des mouches, ce serait plus simple. Elles changent de direction tout le temps. » Elle dessine la trajectoire d'une mouche avec sa main. Peut-être qu'elle se moque de moi, peut-être qu'elle essaie de me faire rire, rien n'est moins sûr.
Le moteur de son travail au Parlement européen, c'est une rage nourrie par le fait que beaucoup de choses s'y passent qui n'ont pour elle aucun sens. Elle donne un exemple : elle a récemment écouté un représentant de l'industrie du câble qui disait la même chose qu'un de ses collègues du Parlement lors d'une session quelques jours plus tôt. Selon elle, beaucoup de parlementaires ne savent pas gérer la pression permanante des lobbys et répètent à la lettre les dires des « représentants d'intérêts ». Son jugement est dévastateur : beaucoup de parlementaires, comme son collègue qui s'alignait sur l'industrie du câble, manqueraient de morale et de valeurs pour résister aux intérêts des lobbys. Elle aurait alors commencé à classifier les gens selon qui ils représentaient. Cette maladie, elle dit l'avoir contracté à Bruxelles.
Le plagiat est une bonne chose
La discussion avec Amelia ne m'a pas aidé à comprendre les institutions européennes. Elles me paraissent plutôt comme des monstres desquels il ne faut pas trop s'approcher. J'ai été contraint d'imaginer un groupe de parlementaires dont les idées se faisaient avaler par une baleine et dont les recommandations étaient rendues méconnaissables par des lobbyistes. L'Europe fait-elle si peur ?
« Au contraire », me rassure Amelia. « L'Europe devrait continuer à soutenir le libre-échange au sein du continent. Historiquement, l'Europe aurait été précurseur au niveau des sciences et de la culture parce que les États copiaient l'un sur l'autre. Le Parlement devrait donc garantir la libre circulation des personnes pour qu'ils puissent continuer à s'inspirer mutuellement. » Selon elle, nous vivons à une époque où nous nous faisons des amis grâce aux expériences que nous partageons et non par la proximité géographique.
Nous nous serrons à nouveau la main. Cette fois, elle s'incline légèrement avant d'attraper son sac à dos vert et de se précipiter vers la sortie. Il y a du pain sur la planche avant les élections.
Translated from Amelia Andersdotter: Politik statt saufen