« Allo, je veux mourir » : l'assistance au bout du fil
Published on
Translation by:
Florian PeetersEmilia aime les récits de voyage et la bière parfumée. Elle a 26 ans et a l'habitude de teindre ses cheveux bouclés en rouge. Pendant un an, elle a travaillé comme volontaire dans un centre d'assistance téléphonique où sa mission principale était de convaincre des enfants et des adolescents qu'une rupture n'est pas la fin du monde et qu'il est possible d'agir face à un père violent.
Après avoir passé les questions de base de l'entretien, nous abordons le travail de la jeune femme qui commence à se dévoiler. Elle tâche d'approfondir ses réponses aux questions les plus compliquées. Des noms de maladies, de troubles mentaux, et de traitements sont cités. Les mots s'écoulent lentement et sont choisis avec précaution. La précaution, et on s'en rend compte dès la première question, est essentielle dans ce métier.
« L'adresse de la société est secrète. L'essence même de l'assistance téléphonique est l'anonymat, à la fois pour ceux qui nous contactent, mais aussi pour les volontaires qui répondent aux appels et aux e-mails ». Pourquoi ? Se confier à quelqu'un qui n'est pas anonyme ne serait-il pas plus simple ? « Les enfants ne devraient pas s'habituer à parler de leurs problèmes à distance avec des inconnus. En effet, un lien spécial, qui pourrait très bien se trouver à proximité, se crée lors de ces échanges. Nous ne proposons aucune thérapie, nous aidons seulement ces jeunes gens à prendre les bonnes décisions. L'assistance téléphonique est une aide d'urgence. »
En Pologne, les enfants et adolescents peuvent appeler le numéro 116 111 du lundi au dimanche, entre 12 heures et 22 heures. Aujourd'hui, ils peuvent même envoyer des e-mails à toute heure du jour et de la nuit. Cerise sur le gâteau : l'assistance répond à tous les messages. Appeler reste le plus difficile.
« Le téléphone sonne en permanence, de l'ouverture à la fermeture, j'aurais du mal à vous dire quand on est le plus occupés. Par contre, les sujets des discussions varient en fonction du moment de l'année. À la fin d'un semestre, les problèmes en rapport avec les examens et l'école augmentent. En août, les appels de lycéens qui veulent continuer leurs études mais ne savent pas quelle voie choisir se font plus nombreux. Lors des fêtes, les enfants se sentent très souvent seuls. Quelle que soit la saison, nous recevons toujours énormément d'appels à cause de problèmes sentimentaux ou de violence. »
Un terrain d'entraînement pour futurs psychologues
Emilia a étudié la psychologie clinique infantile, elle pensait que rien ne la préparerait mieux à son futur travail que l'assistance téléphonique. Le stage a duré un an, ce qui est extrêmement long. Peu de gens seraient capables de supporter un tel volontariat, le nombre de candidats n'est donc pas très élevé. Néanmoins, le processus de recrutement est long et exigeant. CV, formulaires de recrutement, entretien, puis il faut se familiariser avec le téléphone, passer un mois d'essai, lire la littérature recommandée, suivre des formations pour apprendre à répondre aux appels et aux e-mails. Après ces étapes, une quinzaine de personnes ont été admises aux côtés d'Emilia. À la fin, il n'en restait que 7. Certains candidats, qui avaient franchi le cap du processus de recrutement, ont vite abandonné quand il a fallu parler à de vraies personnes en difficulté.
Les qualités du bénévole idéal ? Difficile à dire. « Bien sûr, il faut forcément être ouvert d'esprit et aimer discuter. Très vite, on se rend compte de tout ce qu'on doit encore apprendre, par exemple parler de sexe sans en avoir honte. J'avais du mal à mettre un nom sur mes émotions au début. Les sentiments, c'est toujours problématique. Les gens sont malheureux ou heureux. Parfois tristes. C'est tout. Chaque jour, on rencontre les mêmes émotions. Savoir les reconnaître est nécessaire dans ma profession, mais je pense qu'on finit par acquérir cette capacité avec l'expérience, elle n'est pas innée. »
Les permanences durent 3 heures, plusieurs fois par semaine. Une demi-heure avant et après, les volontaires peuvent discuter d'événements récents, qui se sont passés justement pendant les permanences, ou dans leur vie privée. « Nous racontons nos conversations les plus compliquées, mais nous parlons aussi de nos humeurs, de ce qui nous passe par la tête. À tout moment lors des permanences, nous pouvons demander une pause ou de l'aide. »
« Une aide régulière et de qualité de la part de spécialistes expérimentés peut bien sûr aider, mais les problèmes de l'assistance sont plutôt uniques. Les enfants parlent de tout : de la dispute avec un camarade de classe, en passant par les problèmes relationnels, aux violences de leurs amis et à la maison. Ils n'en parlent pas à leurs professeurs, passer un coup de fil est bien plus simple. À ceux qui veulent travailler avec des enfants et des adolescents : il s'agit d'une expérience professionnelle exceptionnelle dans une vie. »
Si ça raccroche, c'est mauvais signe
D'où vient le désir de travailler avec des enfants ? Emilia a mis un certain temps à trouver une réponse. « Je ne sais pas pourquoi, c'est comme ça. Je n'ai aucune patience avec les adultes, mais je peux sans problème répéter la même chose à des enfants plusieurs fois. J'aime les jeunes au soi-disant "âge difficile", c'est-à-dire 14-15 ans, c'est une grande satisfaction de les voir mûrir et comprendre certaines choses. Souvent, les enfants ne savent pas comment régler seuls leurs problèmes. Quand on leur dit quoi faire, ils s'exécutent. Les adultes sont moins courageux, ils savent ce qui cloche et ce qu'ils doivent changer, mais ils ne le font pas. »
Ça a peut-être un rapport avec un certain sentiment d'autorité ? Quand on passe toute la journée à conseiller des enfants pour les aider à arranger leurs problèmes, peut-on facilement tomber dans l'auto-satisfaction ? Emilia sourit. « Je ne pense pas. Je suis contente que les jeunes aient confiance en moi. Ça veut dire que je suis "cool". Mais si je commence à me prendre pour le messie, ça veut surtout dire que je n'ai pas vraiment aidé, j'ai seulement proposé une solution temporaire parce que je ne pouvais rien faire de mieux à ce moment précis. »
Te sens-tu parfois impuissante ? « J'ai ce sentiment dans les situations impossibles à régler par téléphone. Quand il n'y a aucun moyen rapide de sortir un enfant d'un milieu violent. Ou d'aider un enfant qui a des troubles alimentaires. Ou encore avec des pensées suicidaires. »
« La première conversation avec un enfant suicidaire est horrible. C'est comme pour les médecins, la perte du premier patient reste la pire expérience. D'abord, on est surpris. Avec tous ces gens qui disent qu'ils sont dépressifs ou qu'ils veulent mourir, c'est toujours difficile de tomber sur quelqu'un qui veut vraiment en finir. La personne a déjà plus ou moins pris sa décision, ce n'est pas le genre de tristesse qu'on croise habituellement. Et c'est impossible de lui venir en aide. Quand une vie est en danger, on peut demander une intervention. Après, tout ce qu'il reste à faire, c'est d'attendre l'arrivée de l'ambulance avec son interlocuteur au bout du fil. À partir de ce moment, il faut parfois s'assurer qu'il ne raccroche pas entretemps ».
L'assistance assistée
L'assistance téléphonique est un véritable apprentissage. Elle apprend en particulier à tenir une conversation : celles de la « vraie » vie ne sont pas si différentes de celles des permanences. Le téléphone nous apprend à écouter et que les solutions toutes faites et inadaptées à une situation propre ne sont pas utiles.
Et les problèmes des volontaires ? « Dans ce métier, on se sent obligés d'être réfléchis. Tu ne peux pas tout lâcher dès qu'une difficulté se présente, et en même temps exiger d'un enfant qu'il s'accroche. » Emilia ne croit pas à l'altruisme pur. « On fait de bonnes actions pour se sentir bien. Mais ce n'est pas la question ici, la finalité est la même. Il s'agit ici d'aider quelqu'un. » Après deux heures d'histoires venues tout droit du cœur de l'action, il est difficile de nier l'efficacité de ce mélange de pragmatisme et d'idéalisme.
Translated from „Halo, chcę się zabić” – o stażu w telefonie zaufania