Allemagne : après les élections, où en est-on ?
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Suivies avec passion par bon nombre d´Européens, les élections législatives allemandes de septembre dernier ont suscité un intérêt bien au-delà des frontières germaniques. Pour la première fois, semble-t-il, ces élections devaient pour beaucoup avoir une réelle portée européenne.
C’est du moins ce que remarque Ulrike Guérot, directrice du bureau berlinois du Conseil européen des relations étrangères, après avoir constaté le taux de consultation surprenant (1,2 millions de clics, nda) de son analyse intitulée : « What Europe expects from Germany and what Germany will not do. », rédigée au moment des élections allemandes. Lors des élections législatives, du 22 septembre 2013, la chancelière Angela Merkel, à la tête du parti CDU-CSU (Union conservatrice, nda) est sortie victorieuse, avec 41,5% des voix. Elle devra néanmoins composer avec ses rivaux du SPD (Parti social-démocrate, ndlr) afin de constituer un gouvernement de « grande coalition ».
Mauvaises perceptions
La représentation d’une hégémonie économique allemande en Europe est largement répandue dans les pays européens et allègrement véhiculée par les presses nationales. Alors que tout le monde croit que l’avenir de l’Europe dépend en premier lieu des choix politiques allemands, l’enjeu actuel est alors de savoir si le SPD réussira à infléchir la politique extérieure et économique poursuivie jusqu’à présent par la chancelière Angela Merkel. Rien n’est moins sûr. A en croire Ulrike Guérot, l’Allemagne a ses propres inerties constitutionnelles, socio-économiques et ne va pas beaucoup changer sa position vis à vis de l’Europe. Pourquoi ? D’abord, cette image d’une Allemagne qui impose son leadership passe mal dans les mentalités allemandes, ce pour des raisons historiques évidentes. C’est pourquoi, le pays « ne voit pas [ou refuse de voir] que l’Europe lui est servie sur un plateau d´argent ». Deuxièmement, n’oublions pas que le pays a une mémoire encore vive de son inféodation aux Etats-Unis : il n’a reconquis sa pleine souveraineté qu’en 1989. C’est aussi pour ces raisons que sa domination économique n’est pas suivie par une politique militaro-stratégique forte.
Encore faut-il souligner que la perception par l’extérieur de la puissance économique allemande ne correspond pas toujours à la réalité sur le terrain. Certes, certains pourront avancer les chiffres publiés par une étude du cabinet de conseil McKinsey en juillet 2012. Elle démontre qu’en raison de la dissymétrie entre les économies nationales qui fonctionnent selon des régimes très différents, les gains générés par l’introduction de l’euro ont été répartis tout à fait inéquitablement. Sur 10 ans, dans la zone euro agrégée, 300 milliards d'euros ont été crées par l'activité économique. La moitié est revenue à l’Allemagne, un quart à l'Italie du Nord (car exportatrice) et un quart aux autres pays.
Il n'y a pas qu'une Allemagne
Pourtant, il ne faudrait pas s’y méprendre. Ulrike Guérot mentionne que cette répartition prête à confusion : il convient de noter la disproportion entre le succès économique attribué à l’Allemagne dans ce type d'étude et la réalité effective de l’Allemagne aujourd'hui.
La vérité, c’est qu’il n’y aurait pas une Allemagne, mais trois. Une Allemagne à l’Est, pauvre. Une vieille Allemagne de l’Ouest qui, à l´instar de la Rhénanie, prospérait autrefois mais dont les coûts de la réunification ont fragilisé les infrastructures (notamment dans le secteur des transports) jusqu’à témoigner d’une progressive déliquescence sur le plan structurel. Enfin, une Allemagne du sud, riche et exportatrice qui reste la seule à avoir bénéficié des gains générés par l’Euro.
Penser que l’Allemagne supporterait les soucis économiques de ses voisins relèverait de la gageure. L’Allemagne n’a pour le moment ni l’ambition ni les moyens d’assumer ce rôle paternaliste. Si le SPD semble avoir saisi l’ampleur des doléances des Etats européens qui pèsent sur le pays, en particulier au sujet de l’arrêt du dumping social, il ne bénéficie que d'une faible marge de manœuvre. Le fonctionnement économique et social allemand ne peut pas être modifié aussi facilement, d’autant moins dans le cadre d'une coalition de partis aux tendances opposées. Il sera alors délicat au SPD d’insérer tous ses objectifs (entre autres, salaire minimum de 8,50€, politique de grands réseaux européens et Europe sociale) dans le contrat de la grande coalition.