Alina Orlova, l’atome libre de la scène indé’ lituanienne
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A Vilnius, de l’ombre d’une centrale nucléaire, est né un proton artistique. Non ce n’est pas un mutant, c’est « une bombe glacée » musicale de 23 ans. Rencontre atomique avec Alina Orlova.
Grandir à l’ombre d’une centrale nucléaire, vous diront les Verts allemands et français, ça laisse des séquelles. L’heure est à la peur des centrales. Mais pour Alina Orlova (signée sur le label Fargo), elle était surtout la condition sine qua non d’un ventre plein et d’un toit pour dormir : son père travaille à la centrale d’Ignalinas, dont l’UE a demandé la fermeture contre un ticket d’entrée dans son club à l’époque prisé, géré par des croupiers français et allemands de plus en plus radins. Alina était un atome comme les autres à Visaginas, ville construite autour de la centrale.
« Tu dois faire quelque chose »
« Ce n’est pas beau du tout là-bas, mais c’est intéressant, bizarre. On y trouve encore des restes de l’Union soviétique, de cette utopie qui ne s’est pas réalisée. » Alina y languissait, mais avec créativité. « Je lisais et je dessinais beaucoup. Ensuite j’ai commencé à écrire des poèmes et à chanter des chansons... A ma façon. Dans ce genre de petites villes, tu n’as pas grand-chose à faire. Bon, tu peux boire et traîner avec tes potes, mais si tu n’en as pas beaucoup, tu dois faire quelque chose. »
L’explosion n’est donc pas née du contact avec l’appréciée bière locale Svyturys. Alina s’est tournée vers d’autres atomes, rangés dans la catégorie plus versatile de l’« art ». Une première combustion a eu lieu pendant ses cours de piano classique, puis une autre à treize ans, quand ses parents sont revenus avec un tourne-disque à la maison.
Très vite, la combustion musicale qui bouillit sous la crinière dorée d’Alina s’emballe, probablement liée au contact permanent avec son père et ses collègues de la centrale. « Peu à peu, j’ai voulu exprimer mes propres émotions, j’en avais beaucoup à l’époque… Je chantais pour des amis et je postais des poèmes et des chansons sur des sites web lituaniens, comme dpoezija… Grâce à Internet, j’ai commencé à connaître des gens sur Vilnius. Mais je n’avais pas de quoi enregistrer une maquette à Visaginas. Ils m’ont proposé de venir enregistrer car ils avaient aimé mes morceaux. J’ai accepté. Puis petit à petit, j’ai commencé à faire des concerts dans des petites salles… »
Trop tard, la réaction nucléaire est en cours. Au contact de Lauras Luciunas, manager d’artistes à Vilnius, un corps inédit se forme, retranscrit dans un premier album en avril 2010, Laukinis Suo Dingo. Engoncée dans un canapé dans une grande salle froide, antichambre de la salle où Alina et ses trois amis musiciens vont se produire dans une heure et demie à Kaunas, deuxième ville de Lituanie, la jeune étoile montante de la scène indépendante balte peine à revenir sur les faits, tant l’explosion a été brutale et imprévue : « Ils ont commencé, ces labels musicaux, comme on appelle ces choses, à me demander si je voulais enregistrer et sortir ma musique. J’avais peur de ne pas savoir, de ne pas être à la hauteur, mais j’ai dit oui. On a commencé. Puis on l’a fait. »
Pas étonnant que les mots manquent. Cette jeune fille souriante et douce au regard rêveur et aux boucles rousses qui tripote ses manches de pull turquoise n‘est que le noyau de la réaction. Autour, des électrons ne cessent de tournoyer. Elle leur jette des regards, tantôt inquiets, tantôt rieurs : il s’agit de son amour du dessin, sa passion des mots, son toucher au piano et de ses cordes vocales tendues vers des sommets aigües.
Désormais, la réaction en chaîne ne cesse de s’agrandir : qualifiée de « bombe glacée » par Les Inrocks, hebdomadaire culturel influent en France, elle a tellement de succès en Angleterre et en Russie qu’elle a dû sortir un deuxième album en mai 2011, Mutabor, où elle chante aussi dans ces deux langues. Lauras Luciunas témoigne de la difficulté de contenir l’énergie de sa protégée : « En Russie, il y a dix fois plus de pression pour un concert qu’en dix concerts en France. »
L'histoire du mammouth
« En Russie, il y a dix fois plus de pression pour un concert qu’en dix concerts en France. »
Les Russes sont-ils jaloux de leur petit voisin lituanien, qui a réussi à trouver un atome libre capable de toucher autant d’oreilles en si peu de temps ? Comme dans toute réaction chimique, le secret est dans l’assemblage. Au Gargaras, ancienne fabrique de fourrures reconvertie en salle de concert, des espions russes sont venus guetter tout signe qui pourrait les aider à retracer ce miracle. Ils n’ont pas été déçus. Alina a commencé à balancer ses cheveux brûlants sur un corps en mouvement perpétuel ; le violoniste à ses côtés a commencé à fredonner ses chansons. Puis ça a été au tour de la photographe et le public n’a pas tardé à s’y mettre. Ensemble, ils ont chanté l’histoire du dernier des mammouths qui aimerait tant mourir, mélancolique à la vue des squelettes de ses cousins, exposés au musée, et dont Dieu seul connaît la tristesse. Puis l’histoire de cette société sans guerre, fraternelle et heureuse que l’on peut voir depuis la Terre… sur la Lune. Et plein d’autres récits tirés des poèmes d’Alina et transformés en morceaux musicaux laconiques et prenants, dans une atmosphère qui rappelle Björk, sa voisine du nord, et Regina Spektor, sa voisine de l’ouest. Depuis la Lune, des témoins ont rapporté que même les étoiles ont été emportées par l’explosion nucléaire partie d’un simple noyau timide et souriant, un atome libre lituanien âgé de 23 ans.
Photos : Une et texte : courtoisie de la page myspace officielle de Alina Orlova) ; vidéos (cc) youtube