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Alberto Toscano : « Sarkozy me prend au pied de la lettre »

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Journaliste politique et polémiste, cet Italien vit en France depuis plus de 20 ans. Il y publie Critique amoureuse des Français – et évoque les rapports entre l’hexagone et son voisin italien. Une affaire de mariage.

« Je n'aurais jamais imaginé qu’une mannequin italienne, Carla Bruni, allait devenir la femme du président des Français... »

En pleine promotion, Alberto Toscano m’a donnée rendez-vous au square Georges Brassens dans le 15e arrondissement de Paris, pour me parler de son parcours et de ce qui l’a conduit à écrire un livre décryptant avec bienveillance les idées reçues des Français sur eux-mêmes. Une voiture ralentit et le journaliste écrivain m’embarque… dans le tourbillon de sa passion pour les livres. Nous déchargeons des exemplaires de son ouvrage ainsi que quelques bouteilles de vin. Après notre rencontre, il se prête, en toute convivialité, à une série de dédicaces au Marché du livre ancien et d’occasion, au milieu de ses amis libraires.

La relation privilégiée de Toscano avec la France a ses dates clés. Né en 1948, il a 20 ans en 1968. Etudiant à Milan, il s’engage dans la révolution soixante-huitarde qui a une double nature protestataire et promotrice de liberté et de légèreté. Alberto Toscano multiplie les séjours en France : en 1977, il passe une année au CFPJ (Centre de Formation de la presse et du journalisme) de Paris avec, pour directeur de stage, le fondateur du quotidien Le Monde, Hubert Beuve-Méry. En 1981, il revient couvrir les élections présidentielles et rencontre des figures de premier plan comme Jacques Delors ou Pierre Mendès-France qu’il a été un des derniers à interviewer, précise-t-il avec une pointe de fierté. En 1986, il s’installe définitivement ou presque puisque selon sa devise, « tant qu’il y a de la vie, il n’y a rien de définitif », d’abord en tant que correspondant pour un quotidien économique italien puis en tant qu’intervenant dans différents médias italiens et français (TV5, France Culture, RTL, La Croix pour ne citer qu’eux).

Des Français « exceptionnels »

Alberto Toscano avait déjà signé, en 2006, le livre France-Italie, coups de tête, coups de cœur. Il récidive en publiant deux plus tard, chez Hachette littératures, Critique amoureuse des Français. Si, dans son premier opus, il a eu envie de raconter des choses personnelles avec son regard d’Italien vivant en France, il articule son nouvel ouvrage autour des stéréotypes que les Français ont sur eux-mêmes.

Les 48 chapitres, sérieux ou plaisants, c’est selon, sont le fruit d’une recherche approfondie et l’auteur d’affirmer : « J’ai un style d’écriture qui veut faire sourire les lecteurs mais, en même temps, j’ai la volonté de faire passer des messages. » Ce double regard polémique et affectueux constitue la tonalité de cet ouvrage dont la morale, selon Alberto Toscano qui me désigne lui-même le passage dans l’exemplaire qu’il m’avait dédicacé, est la suivante : « Les Français souffrent beaucoup de leur besoin ancestral (désormais totalement inutile) de se prouver à eux-mêmes, et aux autres, qu’ils sont tout simplement ‘exceptionnels’. A mon avis, ils vivront beaucoup mieux le jour où ils se sentiront libres d’être ‘normaux’ ; exactement comme tous les autres peuples d’Europe et du monde. »

Pour lui, les Français « ont eu beaucoup de mérite mais, malheureusement, pour eux, au lieu d’en être contents, ils ont toujours envie de jouer les premiers de la classe et se sentent investis d’une mission universelle. » Cette façon de penser, absente de l’autre côté des Alpes, traduit tout à la fois une certaine ambition et un manque de confiance en soi : « La fille aînée de l’Eglise nourrit ainsi certaines sensations, dangereuses et inutiles, de nostalgie comme en témoignent les discours alimentés par les hommes politiques qui en tirent certains avantages. Elle est comme sur le déclin. » Et Toscano de s’offusquer : « Déclin par rapport à quoi ? Par rapport à l’Empire colonial mais ne vaut-il pas mieux ne plus pratiquer la torture comme dans l’ancienne Algérie française ? C’est oublier qu’avant d’avoir été coloniale, l’immigration a été européenne. » Alberto Toscano m’apprend aussi qu’un quart des Français a du sang italien et que l’accordéon, instrument national, a été apporté au 19e siècle par les immigrés de Bergame.

Entre les deux sœurs latines, il existe un rapport d’amour réciproque, teinté d’un soupçon de tendresse mais aussi d’animosité. La conclusion du premier livre de Toscano avait été « Marions-les » et il plaisante qu’il ne croyait pas si bien dire puisque, comme il le reconnaît lui-même : « Je ne pensais pas qu’une chanteuse et mannequin italienne, Carla Bruni, allait devenir la femme du président de la République française. Nicolas Sarkozy, me prend donc, en quelque sorte, au pied de la lettre. »

Un amoureux de l’Europe

Cet Européen convaincu, qui se qualifie d’européiste, estime que les élections européennes en juin prochain se tiennent dans un contexte peu favorable. Pour lui, les « institutions européennes ou, plus exactement le Parlement, sont considérées comme une seconde division plus qu’un lieu de pouvoir comme en témoigne le fait que les ‘bigs’ de la politique ou ne sont pas candidats ou le seront pour démissionner par la suite », citant ainsi l’exemple de Rachida Dati promue dans la liste UMP comme une forme de punition.

« Si les Français devaient manger tout ce qu’ils produisent, ils crèveraient d’obésité ! »

Ces élections auront tendance à ressembler à un sondage de la politique nationale dans un climat de crise. Tout cela, il le déplore car le rôle de la France dans l’Europe est, depuis les années 50, prépondérant. Pour Alberto Toscano, si « la France a été, avec le référendum du 29 mai 2007, une des responsables du court-circuit de la machine, on attend d’elle qu’elle répare cette fracture. » Dès qu’une mesure ne fonctionne pas, Paris a tendance à rejeter la faute sur l’Europe de Bruxelles. C’est oublier combien elle est bénéficiaire de la politique européenne. Toscano prend ainsi l’exemple controversé de l’agriculture : « Si les Français devaient manger tout ce qu’ils produisent, ils crèveraient d’obésité ! »

Durant toute notre conversation, l’homme a été aussi professionnel qu’accessible. Il s’est laissé découvrir, évoquant ses prochains son goût pour le cinéma italien classique, pour la gastronomie, ses projets d’écriture, son mépris pour l’intolérance, même de ceux qui défendent les mêmes idées que lui. « Je ne pensais pas que le moment de la retraite serait un moment heureux », conclut-il. Passionné, l’homme est passionnant.

Critique amoureuse des Français - Alberto Toscano - Chez Hachette Littératures, 282 pages.