Ahmet Necdet Sezer : espoirs décus
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jean-françois adrianLe bilan du Président sortant turc Ahmet Necdet Sezer, salué il y a sept ans en raison des gros espoirs mis en lui, s'avère plutôt médiocre.
Indépendant, non dogmatique et prétendument incorruptible. Les adjectifs ne manquent pas pour décrire le Premier président turc non issu de l’establishment ou de l’appareil militaire, Ahmet Necdet Sezer, arrivé au pouvoir en mai 2000, en jurant de se porter garant de la démocratie et d’un Etat de droit.
L’élection de ce juriste sans étiquette politique à la plus haute fonction de l’Etat avait alors fait naître l’espoir d’un parcours facilité vers l’Europe.
Un débutant
Président du tribunal constitutionnel turc, Sezer a longtemps fait figure de marginal de la politique. L’ex-Premier Ministre Bülent Ecevit aurait lui, largement préféré une nouvelle candidature du président sortant Suleyman Demirel. Mais devant l’opposition du Parlement à la modification constitutionnelle nécessaire à un nouveau mandat de ce dernier, son choix se porte finalement sur Sezer.
Débutant en politique et sans soutien du pouvoir en place, Sezer incarne longtemps un candidat malléable en qui les nationalistes comme les islamistes peuvent se retrouver. Le 6 mai 2000, Sezer est élu avec le soutien de tous les partis du pays, sous les applaudissements de la presse occidentale.
Alors que c’est la question de son successeur qui hante aujourd’hui la classe politique locale, le bilan de la présidence de Sezer apparaît mitigé. C’est d’ailleurs son rôle dans le processus d’adhésion à l’Union européenne qui cristallise les critiques des observateurs.
« Il n’a pas rempli les espoirs qui avaient été mis en lui », indique notamment Jan Senkyr, membre du bureau de la fondation allemande Konrad-Adenauer à Ankara. « Sezer s’est d’abord engagé en faveur de réformes de l’économie et de la liberté d’opinion mais a finalement représenté un frein dans les processus de réforme ».
Pourfendeur de la laïcité
Le 3 novembre 2002, le gouvernement nationaliste et conservateur de Bülent Ecevit est dissous par le parti Justice et Développement (AKP), emmené par Tayyip Erdogan. Pour Sezer, la coalition islamiste-moderée d’Erdogan représente une menace pour la laïcité. Il refuse donc systématiquement de signer les lois du gouvernement et s’oppose à la nomination de nouveaux juges et hauts-fonctionnaires.
« Sezer a avant tout refusé les réformes qui modifiaient le caractère strictement laïc de la République », souligne Senkyr. « Mais il a également mis son veto aux projets tendant vers l’UE. Notamment les réformes pour l’égalité de traitement des minorités religieuses ».
Les relations tendues entre Sezer et Erdogan ne sont pas cantonnées à la sphère politique. Comme l’épouse de ce dernier porte le foulard islamique, Sezer a toujours soigneusement pris garde d’inviter le Premier ministre, et lui seul, lors des cérémonies officielles. Il a également refusé l’accès au palais présidentiel aux épouses voilées des autres ministres membres du même parti AKP.
« Sezer et Erdogan ont des visions politiques très différentes. Et ils ne se font pas confiance », précise Senkyr. Sezer - comme de nombreux kémalistes [partisans de Mustapha Kemal, dit ‘Atatürk’, le père de la nation turque] –, redoute ainsi que l’AKP poursuive secrètement un objectif d’islamisation du pays.
Même lorsque Sezer se contente de freiner le processus législatif, il parvient toujours à mettre des bâtons dans les roues du gouvernement. « Selon la Constitution, le président ne dispose d’aucun pouvoir exécutif direct, » explique Senkyr. « En tant que successeur du fondateur de l’Etat, Atatürk, Sezer apprécie les honneurs ». Ils ne manquent pas : le chef de l’Etat commande ainsi aux forces armées – un poste non négligeable dans un pays fortement militarisé.
Dans le camp des kémalistes
Pour autant, les relations de Sezer avec les militaires ont longtemps été tendues, notamment au début de son mandat. En août 2000, Sezer se risque à une confrontation ouverte avec l’armée alors qu’il refuse de signer un décret par lequel le gouvernement veut éloigner les fonctionnaires kurdes et islamistes du service de l’Etat.
Plus tard, le nouveau président s’empresse de se prononcer pour la suppression de la peine de mort, exige la réduction du pouvoir des militaires et fait pression pour combattre la corruption. En 2006, il finit par imposer son propre candidat à sa succession, en la personne de l’intransigeant et laïc Yasar Büyükanit.
Autres reproches : lorsqu’Orhan Pamuk, qui a longtemps plaidé pour la reconnaissance du génocide arménien, obtient le Prix Nobel de littérature, Sezer ignore superbement la distinction de l’écrivain. Et après l’assassinat du journaliste arménien Hrant Dink en janvier 2007, il refuse d’assister aux obsèques.
En dépit de quelques initiatives positives, Sezer s’est ainsi plutôt montré comme un défenseur d’une vision politique kémaliste figée, dans laquelle l’Etat passe bien avant le citoyen.
Translated from Vom Hoffnungsträger zur Reformbremse