Afterbabbel: A Rug of a Thousand Colours
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Camille RochQue demander de mieux quand une traduction permet d’obtenir deux poèmes au lieu d’un seul ? Deux fois plus d’opportunités de faire des ‘oooh’ et des ‘ah’, voire de froncer le nez. Bienvenue sur 'Afterbabbel', nommé après le chapitre final du superbe livre de David Bello sur la traduction, Is that A Fish in Your Ear.
Parce qu’on adore ce que la poésie suscite, de même que ce qui se passe avec une traduction, Afterbabbel se présente comme une revue littéraire sous la forme d'un dialogue. On commence par la lecture d’un livre, un recueil de poésie venu du monde entier et traduit vers l'anglais. Puis on se réunit autour d’un café, parfois via Skype, toujours dans des lieux différents. Et là, on babbel.
Livre : A Rug of A Thousand Colours, de Tessa Ransford et Iyad Hayatleh
Traducteur : Hum, Iyad Hayatleh et Tessa Ransford…
L’idée générale du livre : Deux poètes, un Ecossais et un Palestinien vivant en Ecosse, écrivent des poèmes sur le thème des cinq piliers de l’Islam. Chacun traduit ensuite le travail de l’autre dans sa propre langue.
Discussion : Par Skype, entre Edimbourg (Royaume-Uni) et Göttingen (Allemagne)
Annie : Quel est l’effet produit par la traduction du recueil en deux langues différentes d’après toi ? Et pas uniquement les poèmes, mais aussi l’introduction, le prologue et l’essai à la fin du livre ?
Jess : Bon, tout se réduit à une question, est-ce que tu peux lire ces deux langues ? Comme aucune de nous n’en est capable, on sait dès le départ qu’on va être comme « exclue » de la moitié du livre. Il faut en permanence être consciente du fait qu’on va passer à côté de certaines choses. Cela dit, même si ce recueil a été publié par Luath en Ecosse, j’aime bien que ce ne soit pas que les poèmes qui aient été traduits, mais que chaque partie du texte possède deux versions. C’est très démocratique en un sens.
A : Oui, ça m’a bien plu aussi. Tessa Ransford m’a confié que ça avait été un vrai cauchemar à réaliser vu que tout devait être écrit et corrigé en anglais, mais aussi en arabe. A cela s’ajoute le fait que les livres arabes se lisent normalement en sens inverse (de la dernière à la première page). Dans un sens, c’est intéressant de voir que si les langues partent sur un pied d’égalité, cela affecte quelque part le format du livre.
J : C’est un point intéressant effectivement, et qu’il est facile d’oublier en tant que lecteur anglophone. A savoir, ce ne sont pas juste aux mots que l’on est insensible, mais à toute une structure de lecture.
A : Je suis en train d’essayer de me rappeler… Comment est-ce que tu as lu ce recueil ?
J : En une fois, je crois.
A : Ah oui ? Personnellement, j’ai lu un poème à la fois. Peut-être parce qu’au début, j’ai trouvé plus facile de m’identifier à ceux de Tessa Ransford.
J : Je voulais te demander, qu’est-ce que tu penses du fait que ce ne soit pas véritablement une traduction symétrique, ou mutuelle dans un sens ?
A : Tu veux dire parce que Tessa Ransford ne parle pas arabe ? Je ne sais pas, mais j’ai trouvé ça super intéressant. Dans l’introduction, elle insiste sur le fait que ce livre est un dialogue, et finalement, j’en suis venue à me dire que c’est quelque chose de beaucoup plus courant qu’on n’imagine. Des poètes se réunissent et traduisent l’œuvre l’un de l’autre ; un poète et un traducteur s’assoient pour traduire quelque chose ensemble. Même si Tessa Ransford ne parle pas arabe, j’aime que les deux aient pu mener ce projet, sans que cela n’en devienne paralysant pour autant. Mais d’un autre côté, je trouve un peu étrange le procédé de ‘traduire’ d’une langue que tu ne comprends pas.
J : Problématique, je dirais. Et au contraire, j’aurais voulu que cela soit davantage reconnu. C’est extraordinaire que ce livre soit issu d’un dialogue, que ce soit sa vraie intention, mais il n’en reste pas moins que l’une des deux personnes ne maîtrise pas la langue de l’autre. Ce qui aurait été encore mieux, c’est d’être amené à réfléchir là dessus, et d’en faire presque comme une part du recueil. En fait, je crois que ce serait ma critique principale.
A : C’est drôle parce que ça veut dire que les poèmes d’Hayatleh ont été traduits deux fois, la première fois par lui de l’arabe à l’anglais, et la seconde par Ransford qui a retravaillé le style. Je connais beaucoup de projets qui ont été réalisé de cette manière. Dans un sens, c’est presque triste. Tout le monde ne parle pas arabe évidemment, mais tu as tous ces poètes syriens, qui eux parlent anglais et qui sont prêts à traduire leurs poèmes. Est-ce que ça sera toujours aussi inégal ?
J : Selon moi, le problème que ce genre de procédé soulève, c’est qu’il réduit dans une certaine mesure la nécessité pour les anglophones d’apprendre d’autres langues. Ce qu’il y a de formidable avec les traducteurs, c’est qu’ils maîtrisent les deux langages ; ils constituent en quelque sorte des passeurs. Mais ici, ce n’est pas le cas, et c’est un point avec lequel je ne suis pas vraiment à l’aise, car ce que ça signifie concrètement, c’est qu’il y a une raison de moins pour certains d’apprendre une langue autre que l’anglais. Pourtant, j’admire l’effort qu’il y a derrière ce livre, et l’ambition de créer une œuvre en dépit des barrières linguistiques.
A : Ce qui serait bien, mais improbable, ce serait de voir les poètes qui traduisent d’autres auteurs de cette manière en venir à apprendre ce langage.
J : On peut défendre l’idée que ceux qui traduisent d’autres œuvres sans en connaître la langue partent du principe qu’ils sont eux-mêmes poètes. Leur contribution, c’est leur langage, leur expertise, et le contexte poétique de la poésie anglaise qu’ils apportent. Ce qui valorise le talent poétique en soi mais à mon sens ne devrait pas éclipser les compétences linguistiques d’une traduction.
A : Je crois que les auteurs que j’admire le plus sont à la fois des poètes incroyables et des traducteurs. L’allemand Jan Wagner par exemple, qui a traduit des poètes comme Simon Armitage, raconte comment cela a contribué à enrichir sa propre poésie, en l’obligeant à réfléchir attentivement à la raison qui le pousse à choisir une image particulière.
J : Ce serait là un parfait exemple, non ?
A : Et quelles sont les différences que tu as relevé entre les deux poètes et leurs cultures?
J : C’est difficile. Une chose que j’ai remarquée, c’est l’idée de poésie versus de prière. Beaucoup de poèmes d’Hayatleh m’ont semblé se rapprocher davantage de la prière. Alors que ceux de Ransford, même s’ils traitent aussi de questions spirituelles, sont plus proches de la poésie que j’ai l’habitude de lire. Je pense que ça à voir avec la forme de l’adresse et le rôle du ‘Je’.
A : J’ai eu une interview une fois avec John Burnside. Il disait adorer lire la poésie italienne car il y est question de l’âme, ce que tu ne rencontres pas dans la poésie anglaise. Tessa écrit dans l’introduction qu’elle a rendu certains poèmes d’Hayatleh moins fleuris. Peut-être que ça vient de là ; il n’y a pas ce lien étroit avec la religion dans la poésie anglaise.
J : J’imagine que ça vient aussi en partie du degré de sécularité d’une société à un moment donné.
A : J’ai aussi trouvé que les poèmes d’Hayatleh se définissaient moins par la religion que par l’exil.
J : Tout à fait ! Et je pense que c’est là où les deux travaux se rejoignent, dans leur manière de parler de ce que le mot « foyer » (home) signifie. C’est le plus petit dénominateur commun entre les deux. Un de mes poèmes préférés est d’ailleurs celui sur le Pèlerinage de Tessa Ransford.
A : Et tu penses que le fait de ne pas saisir toutes les références dans les poèmes d’Hayatleh joue un rôle important ?
J : Je pense que si quelque chose m’ébranle vraiment et que j’éprouve le besoin de le chercher, je le ferai.
A : Il y a une communauté pourtant qui va pouvoir lire les deux versions, qui possède ces deux codes.
J : Ça me rappelle un événement auquel j’ai assisté, où l’auteur américain Junot Diaz s’exprimait sur son nouveau roman The Brief Wondrous Life of Oscar Wao. Il était très conscient de la manière dont un même ouvrage pouvait être lu différemment selon la personne. Sa grand-mère, qui venait de la Républicaine Dominicaine, s’identifiait complètement au vocabulaire espagnol ou à l’histoire politique du roman, alors qu’un geek de douze ans, fana de science-fiction, connaissait tout sur ces parties du livre. J’ai adoré.
A : Dans A Rug of A Thousand Colours, comme dans le livre de Diaz, tu prends conscience de cela, tu ne trouves pas ? Et c’est même le cas avec la plupart des livres en fait. Les codes culturels et leurs effets sont si complexes, que deux lecteurs ne liront jamais un livre de la même manière.
Translated from Afterbabbel: A Rug of a Thousand Colours