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Affamé à Bruxelles

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Translation by:

Julien de Cruz

Bruxelles

Une analyse de Waldo Vanderhaeghen Traduit par Sophie Delios et Maïté Dague Brown Au cours des derniers mois, des travailleurs en colère ont fait entendre leur mécontentement contre les travailleurs venus d’autres pays européens qui « volent » leur emploi. La crise économique a des répercussions sur le chômage et l’opinion publique.

Même si cette opinion est compréhensible, les politiques ne devraient pas se laisser aller à des réactions impulsives. Le travailleur migrant est aussi un être humain, il apporte aussi une valeur économique, et les migrants deviennent des citoyens qui font partie intégrante des sociétés d’Europe et y contribuent. Un reportage sur une « autre Bruxelles », une ville envahie par les travailleurs migrants européens mais qui en tire beaucoup de profit.

Onze heures du soir, Bruxelles, capitale de L’Europe. Je suis à l’épicerie de mon quartier pour acheter quelques fruits, quand un homme à l’air miteux entre. Il dit en parlant très fort qu’il veut acheter une pomme, en pose une sur le comptoir, mais précise que l’orange qu’il a dans la main était à lui. L’épicier l’avait vu sur la caméra de surveillance prendre l’orange sur les étalages à l’extérieur. Au début le pauvre homme a nié le vol, mais il l’a finalement admis : il avait volé l’orange.

Bruxelles – migration et pauvreté

chart C’est une histoire tragique pour la capitale de l’Europe : en janvier dernier le taux de chômage s’élevait à 19,9 % 1,2% de plus qu’au mois de décembre. La crise économique a frappé. Paradoxalement, Bruxelles est la troisième région la plus riche de l’UE, avec un PIB par habitant de 53.381 Euros, le double de la moyenne européenne. C’est aussi la ville d’Europe où il y a le plus d’étrangers : à peu près 46% du million d’habitants est né à l’étranger, dont 55% dans un pays européen.

La carte ci-dessous donne un bon aperçu de la répartition de la population bruxelloise. Les mêmes données sur les prix des loyers, les lieux de résidence des étrangers, l’âge, etc, peuvent être téléchargées ici (plus d’infos sur Belgeoblog.be). La carte suivante montre le chômage. Les zones en rouge sont celles qui ont un taux de chômage compris entre 37 et 56%, alors que celles en blanc ont un taux beaucoup plus bas.

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Les parties en blanc, riches, coincident avec les lieux de résidence des migrants du nord-ouest de l’Europe, des Etats-Unis, du Japon et de l’Océanie ; alors que celles en rouge, plus pauvres, apparaissent presque en filigrane des lieux où vivent les migrants venus de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, de la Turquie et du Maroc. Il est clair que cette migration a des interconnections avec la pauvreté et d’autres indicateurs socio-économiques.

La migration au sein de l’Union Européenne

En examinant cela de manière plus large, on note que la population migrante d’Europe s’élève à 42 millions, dont un tiers, soit 14 millions, se compose de citoyens de l’UE qui migrent vers un autre état membre. Au niveau national, la part de la population née à l’étranger représente entre 7 et 15% de la population totale dans la plupart des pays de l’Europe de l’ouest. Cliquez ici pour accéder aux données de votre pays.

Bien que les protestations contre les travailleurs migrants soient plus fréquentes, les migrants européens étaient jusqu’à présent très estimés par les pays d’accueil. Un rapport de la Commission démontre que la migration d’un ancien vers un nouveau pays membre a eu « un impact clairement positif sur la croissance économique » , avec les travailleurs d’Europe de l’est, acclamés pour avoir accru le PIB de l’Europe de 0.28%. Mais à cause des économies européennes qui chutent, certains sont tentés de limiter la libre circulation des travailleurs dans l’UE. Pourtant, cette décision serait contreproductive, destructrice et immorale.

Je suis un migrant, tu es un migrant, nous sommes tous des migrants

Regardons la mobilité européenne en pratique. Dans mon quartier, un nouveau snack-bar a ouvert récemment. Pas n’importe quel snack-bar, puisqu’il nous apporte quelque chose de nouveau : des falafels. Mr Shawkat a échangé Amsterdam contre Bruxelles quand il a remarqué que nous, brussellois, ne connaissions pas vraiment ni ne mangions de falafels. Cet européen migrant a apporté avec lui quelque chose de nouveau. Et il y a beaucoup d’autres histoires comme celle-ci.

Les européens qui bougent n’apportent pas seulement une valeur économique, ils ont plus à offrir. Un migrant est un être humain qui cherche une vie meilleure, qui change de pays afin de poursuivre son rêve. Ce peut être un Roumain qui cherche une chance de travailler, un fan d’électro du Portugal qui aime les clubs de Berlin ou un riche Britannique, gestionnaire de fonds, qui recherche une vie plus tranquille dans un vignoble italien. Les migrants, en tant que citoyens, apportent aussi beaucoup à notre société. Ils compensent le déficit démographique, aideront à subventionner les retraites de nos personnes âgées dans quelques années, et enrichissent nos diverses sociétés. Ce n’est pas non plus une coïncidence que l’une des icônes de notre époque, Barack Obama, soit né d’une famille de migrants. Notre monde du XXIème siècle est un monde nouveau ; les gens redeviennent nomades, dans une quête constante du bonheur et de la liberté.

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Mais…il y a un grand « mais ». En Europe nous pensons que le succès et le bonheur des individus dépend d’une société progressiste. Emily Durkheim remarquait déjà en 1897 que le nombre des suicides dépendait de l’intégration d’un individu dans la société. L’Europe croit en la cohésion sociale et doit aussi offrir cela aux migrants européens. En ces temps économiques difficiles, ils ont besoin d’une main tendue, sans quoi ils tomberont, et cela ne profitera qu’à très peu de gens.

Offrir des opportunités aux concitoyens européens

2009 se profile comme une année de récession et de retrait de l’économie mondiale. Cependant, tous ne seront pas touchés aussi durement. Les success stories se créent où l’on retrouve un système de sécurité social solide, des politiques gouvernementales proactives et lorsque les individus acquièrent des compétences de haut niveau, ont accès à l’éducation et ont un bon réseau social. C’est ce dernier point qui rendra 2009 difficile pour nos concitoyens venant d’Europe. Tout d’abord, ils vont perdre leur emploi plus rapidement, car ils travaillent dans des secteurs plus durement touchés par la crise économique et qu’ils sont, en général, moins qualifiés. D’autre part, dans leur pays d’accueil, ils ont un réseau social réduit sur lequel ils peuvent compter. Ensuite, la croissance d’économies informelles en ces temps de déclin économique va alimenter l’exploitation des migrants. Finalement, la manière dont le public perçoit les migrants est susceptible d’empirer.

Toutefois, si l’on prend l’exemple de la région bruxelloise, des milliers d’entreprises sont encore en demande de nouveaux travailleurs. Le Conseil Transatlantique de l’Immigration constate, à juste titre, que « la contraction économique mondiale n’a pas geler les pressions dues à la compétitivité qui restent déchaînées dans un monde toujours plus globalisé ».

Législation du travail

Le sentiment du public s’élève contre les politiques d’accueil. La Confédération Européenne des Syndicats (CES) rejette la faute sur l’Europe, en déclarant que le principe des droits du travail équitables et du salaire équitable pour un travail équitable ont été altérés ces dernières années par des jugements rendu par la Cours Européenne de Justice.teuc.png

Le modèle social européen a-t-il réellement été endommagé? Si oui, est-ce la faute de l’Europe ? Selon la Commission européenne, la politique sociale dans ce domaine relève des compétences nationales, de ce fait il n’y a pas de « modèle social européen » uniforme. La directive européenne relative au détachement des travailleurs établit que les migrants européens doivent se conformer aux législations du travail en vigueur dans le pays d’accueil. Si les autorités d’un Etat Membre s’aperçoivent que des travailleurs étrangers européens travaillent à bas prix, ils doivent augmenter leur salaire afin qu’il atteigne le seuil minimum et améliorer les contrôles relatifs à la législation du travail.

Et toi, qu’en penses-tu?

Penses-tu que trop de migrants travaillent pour un salaire trop faible, dans des conditions encore plus difficiles dans ton pays? Blâme les politiciens de ton pays. Exige du gouvernement plus de contrôle sur les lieux de travail, plus de respect pour la législation du travail et une augmentation du salaire minimum pour tous les travailleurs. Cependant, fais attention lorsque tu scandes des slogans tels que « Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques », car il se pourrait bien que tu sois le premier à faire les frais d’une augmentation du prix de la collecte des déchets, de difficultés à organiser des voyages à l’étranger ou de difficultés à trouver un travail dans ton propre pays, car ton patron roumain et tes clients français ne seront plus là.

La pauvreté va toucher l’Europe, le chômage va augmenter et l’émoi va probablement être dirigé vers les migrants. Les décideurs politiques devront être ouverts aux plaintes, mais devront agir de manière rationnelle, non-protectionniste et offrir une protection sociale suffisante dans ce climat économique morose. Les migrants européens sont là pour rester, la mobilité en Europe est un fait et nous en bénéficions tous. La dernière question qu’il reste à traiter est, comment vas-tu les accueillir. Vas-tu rendre la vie dure à nos concitoyens européens et, ainsi, augmenter la pauvreté, la criminalité et la misère ? Ou vas-tu leur permettre de réaliser leurs rêves, en les aidant à s’intégrer en tant que citoyens, travailleurs et êtres humains.

(Photo credits: belgeoblog.be; OCDE; Kwatoko/Flickr)

Translated from Starving in Brussels