Adolfo Arrieta : «Des films homos partout mais pas à Cannes»
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raffaella tolicettiCe cinéaste homosexuel espagnol, mais français d’adoption, est à l’honneur du festival Gay-lesbien-bisex-trans de Turin. Art, homosexualité et révolution… loin des tapis rouges.
«L'Espagne est 'una mierda' pour quiconque aurait envie de faire de l’art»
Générique, léger bourdonnement et lumières qui s’allument doucement dans la salle du cinéma Ambrosio, à quelques mètres de la gare de Turin Porta Nuova. De l’obscurité émergent des silhouettes, la plupart en petits groupes du même sexe. C’est la quatrième journée du festival GLBT, dont l’acronyme du titre (« Gay lesbo bisex trans ») est peu compréhensible sans l’aide d’un sous-titre bien plus explicite : de Sodome à Hollywood. Dans le parking privé du cinéma, qui révèle un coin de Turin inédit, mais toujours aussi majestueux, nous attend Adolfo Arrieta, cinéaste de genre et à qui la manifestation rend hommage. 67 ans, mais toujours autant de légèreté dans les mains, et à la voix de gamin. Escortés par de diligentes employées de l’agence de presse, après les présentations, nous nous installons dans le hall de l’Hotel Majestic. Bière pour notre interlocuteur et spritz (typique apéritif vénitien) pour moi-même : la langue se dénoue plus facilement, dans un français mâtiné d’espagnol.
Paris « où tout est possible »
« Tu as vu ces drop ? Ils étaient horribles ! Horribles ! », se plaint Adolfo, faisant allusion en jargon technique aux problèmes dus au passage de l’analogique au digital dans la transposition que la RAI a faite de Tam-Tam, son film probablement le plus célèbre, et qui vient juste d’être projeté à l’occasion de l’exposition qui lui rend hommage. Mais pour les critères italiens, c’est normal. Il se met donc à parler de l’Espagne : « A Madrid, la situation est bien pire. Ecoute, j’ai tourné six films à Madrid. » Et autant à Paris et un dans la ville de Lucca qu’il adore, « c’est ma ville natale, mais c’est une ville tellement provinciale, et c’est si loin maintenant… Je n’ai jamais pensé un seul instant pouvoir faire ma vie là-bas », raconte-t-il. C’est pour ça qu’il a décidé de « s’exiler volontairement » à 25 ans à Paris, là où « tout était possible ».
C’était la fin des années soixante, et Adolfo se souvient bien de l’atmosphère qui y régnait, la sensation que bientôt tout aurait changé : « J’étais à l’Hôtel des Pyrénées en mai 68. Avec mes amis de l’époque, qui sont ensuite devenus les amis de toujours, nous regardions la police et les bombes par la fenêtre. Nous pensions que tout aurait été balayé en dix jours, alors que 40 ans plus tard, le monde tourne toujours dans le même sens… », rit amèrement Adolfo, qui rien que par son nom porte comme un stigmate le mal de son temps.
Son souvenir de l’Espagne est souillé à jamais par le régime franquiste : « L’Espagne pour moi, c’est une illusion, une illusion mensongère. Une invention des médias. Il n’y a eu aucun progrès, aucun miracle. ‘Es una mierda’ pour quiconque aurait envie de faire de l’art. » Pour le moins étrange de la part d’un cinéaste homosexuel qui a vécu sous Sarkozy et qui se retrouve aujourd’hui avec Zapatero : « J’ai vécu sous l’analogique et le digital, un point c’est tout », rit encore Arrieta, en traçant une délimitation nette dans sa propre vie, tout comme dans le 20e siècle.
Le Front homosexuel de libération
A Paris, Arrieta a fondé le Front homosexuel de libération, dans les rangs duquel le cinéaste piochait à pleines mains pour dénicher les castings de ses films. Mais où fonderait-il son front aujourd’hui, s’il avait 20 ans ? « Il n’y a aucune ville européenne à la hauteur de Paris. Même, on peut dire que Paris à été la dernière métropole européenne. Maintenant nous sommes dans une période de calme, de tranquillité. » Pourtant on ne le dirait pas avec la crise économique, pourrait-on lui objecter. Il rit de nouveau : « Oui, mais ça, on le savait déjà. Déjà dans Tam-Tam, je parlais d’un cataclysme que nous attendions : le rôle des artistes est de faire ouvrir les yeux sur les tragédies en cours. Pour les artistes, celles-ci sont source de grande inspiration. »
Où peut-on encore faire de l’art en Europe alors ? « J’ai besoin de silence. Et je n’arrive à le trouver nulle part. Peut-être que je l’ai trouvé ici, à Turin. Le silence de ces grandes avenues : c’est la première ville au monde que je trouve aussi silencieuse. » Va savoir s’il aura la même sensation le 16 mai, à l’occasion de la Gay Pride qui se déroulera dans les grandes avenues de la capitale piémontaise. « Je ne sais pas si je pourrai y assister, mais ça va être une expérience merveilleuse. J’en profiterai pleinement à Madrid. » Dans l’attente peut être d’être honoré à un autre festival : « Je peux aller partout montrer mes films : partout, mais pas à Cannes, s’il vous plaît. » Parce qu’il faut apprécier Arrieta en silence, loin du tapis rouge de la Croisette. Peu importe où : mais si possible, dans une époque différente de la nôtre.
L'auteur et le photographe sont membres de l'équipe de cafebabel.com àTurin.
Translated from Adolfo Arrieta: «Il miracolo spagnolo? Un’illusione bugiarda»