A Vienne, loin de la ville, la (vraie) vie est dans le pré
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Camille FarnouxVienne est loin d‘être aussi étriqué que ce que l’on croit, en témoigne l’histoire de la colonie AKW Lobau, preuve vivante que les modes de vie alternatifs ont leur place dans la capitale autrichienne. Petite visite sur place.
Il y a du café et du lait de soja. Avec un large sourire, Hans lance le vieux tuyau d’arrosage à ses coloc’. Il vient d’en installer un, adapté à la consommation, et les autres s’empressent de goûter l’eau désormais bien plus potable. Hans a aussi acheté du plâtre et de la peinture brune. Les habitants de la colonie veulent lancer un concours d’œufs. Le but : façonner des œufs en plâtre et les peindre. Car les poules qui se promènent en liberté pondent certes des œufs, mais on ne sait jamais où exactement. Les poules sont une idée d’Harald, un étudiant en géographie de 23 ans qui vit depuis des années dans la colonie. « Harald, le pâtre des poules » comme le surnomment ses camarades un peu moqueurs.
L’histoire du campement a commencé il y a cinq ans, lorsque Martin, 35 ans, diplômé de psychologie et fondateur du campement, a pris l’habitude avec quelques amis de stationner leur caravane dans une zone industrielle. Bien sûr, les ennuis étaient programmés car, à Vienne, il est interdit d’habiter de façon permanente dans un espace vert. Ils ont donc dû partir et déménager encore et toujours. Jusqu’à ce que la ville leur loue, il y a un an, un terrain dans la Lobau, de façon tout à fait légale. Actuellement, une vingtaine de véhicules, d’allures aussi variées que leurs habitants, sont stationnés dans la plaine du Danube à l’est de Vienne. Tout comme le prix du pain du célèbre restaurant viennois Centimeter, les loyers sont proportionnels à la longueur du véhicule. Mis à par ça et sauf pour le ménage des toilettes, il n’y a pas de règles. Tout le monde est le bienvenu. Il y a quelques années, un Irlandais est passé en vélo et depuis, il est resté.
« Vivre ensemble en s’accordant sur le plus petit dénominateur commun »
AKW Lobau est une sorte de grande colocation dans la nature, une troupe hétéroclite de jeunes gens qui refusent de vivre dans les appartements étroits et souvent hors de prix de la grande ville. Pour Harald, c’est la possibilité « d’ouvrir la porte et d’être directement dans la verdure » qui compte, même si cela signifie pour lui une demie heure de vélo jusqu’à la fac. « Être en pleine nature sans y laisser trop de traces », c’est pour cela que Patrick, mécanicien automobile, a décidé de venir vivre dans ce campement. Les habitants ont leur potager, ils essayent de ménager la nature sans pour autant être des fanatiques du bio. Hans a même mis des cellules photovoltaïques sur son toit avec lesquelles il peut, au moins l’été, produire l’électricité qui lui est nécessaire.
Moritz nous rejoint et dépose bruyamment un seau plein de tomates, dehors, sur la table en bois. Il les a pêchées dans les poubelles du supermarché du coin. Le containering, ça s’appelle. Les tomates en bon état seront mangées et les autres sont destinées à la confection de Bloody Mary pour l’anniversaire de James, le colocataire hollandais. « Vivre ensemble en s’accordant sur le plus petit dénominateur commun », c’est ce qu’il a appris ici explique Patrick. « Et la gestion des conflits » ajoute Harald.
Des bulldozers au petit déjeuner
Pour un citadin moyen qui regarderait le petit chemin sinueux serpentant entre les roulottes, le trampoline et la salle de bain commune, la colonie est un paradis. On entend seulement les basses de la batterie de Moritz qui s’échappent de la caravane à musique mais par ailleurs c’est un vendredi plutôt calme. Les chiens se prélassent dans les derniers rayons du soleil mais cette impression est trompeuse : un grand chantier se trouve dans l’immédiat voisinage. La ville veut construire un canal dans les trois ans à venir. C’est alors compréhensible que les habitants se sentent dupés, personne ne s’attendait à recevoir une ration quotidienne de marteau-piqueur au petit-déjeuner. D’autant plus que la colonie paye 10 000 euros de loyer par an.
Les plaintes des riverains poussés par les hommes politiques locaux du FPÖ (parti libéral d’Autriche, à tendance populiste et nationaliste) se multiplient, du moins dans les médias. Dans le journal du coin, il était question d’anarchistes bruyants qui salissent les environs. Dans la réalité, les toilettes du campement sont rutilantes, bien plus propres que celles de certaines colocations en ville, et il y a même un bidet.
Entre temps, les informations de la page du FPÖ Wagenplatzstopp.at (stop au campement) ne sont plus accessibles. « Là où ils habitent, en général, il n’y a pas de riverains » commente David Ellensohn, président du groupe parlementaire des Verts à Vienne. « Aux yeux du FPÖ, ce sont des militants d’extrême gauche qui préparent probablement des attentats. Dans ce parti, ils jouent aux gros bras mais prennent peur quand quelqu’un porte un voile ou vit dans un campement. Ils craignent tout ce qui est différent. »
Cependant les cultures alternatives ont depuis quelques temps un statut incontesté dans cette ville pourtant décrite comme étriquée. La présence des Verts au conseil municipal joue certainement aussi un rôle. Jutta Kleedorfer, spécialisée dans les espaces urbains à usage multiples et créatifs à Vienne, explique : « les habitants du campement sont devenus des symboles de liberté, ce sont des gens qui s’impliquent dans l’élaboration du paysage urbain et qui s’engagent beaucoup pour la communauté ». Des visites du campement de Lobau ont même été organisées par le passé.
Le campement, fleuron de la « subculture » viennoise ?
« A Vienne, c’est la volonté politique qui manque » regrette Martin, fondateur du campement. Ici, contrairement à Berlin ou à l’Espagne, ce type d’habitat ne fait pas partie des traditions. Mais les Verts ont prévu pour 2012 une loi qui doit permettre l’occupation temporaire de certains terrains affirme David Ellensohn. « Pour l’instant, nous essayons de parer au plus urgent mais il faut absolument que nous assurions des solutions durables pour l’avenir. »
Ce soir au campement, personne ne pense aux lois futures qui se décideront loin d’ici, à Vienne. Là où ce matin encore, se trouvait la table, se tient actuellement un groupe de hip-hop et sur le terrain de foot improvisé à l’arrière du campement, un DJ fait son set électro. Les habitants ont organisé une fête, il y a de la bière et des cocktails faits maison. Une vieille banquette de voiture sert de fumoir et un feu crépite dans un tonneau à côté de la piste de danse. Ce n’est pas l’image que l’on se fait d’une ville étriquée même s’il faut faire quelques kilomètres pour vivre la vie alternative viennoise. « C’est le prix de la tranquillité » dit Patrick. Combien de temps cela va-t-il durer jusqu’à la prochaine expulsion ? C’est difficile à dire, les habitants d’une autre colonie viennoise, le Treibhaus, qui sont en ce moment sur un terrain près du Prater (parc d’attraction et lieu de délassement célèbre à Vienne), ont un bail jusqu’au 31 août, par la suite, ils risquent à tout moment de se faire déloger. Et alors le nomadisme moderne devra reprendre jusqu’à ce qu’on trouve à Vienne aussi des solutions sur le long terme.
Cet article fait partie de Green Europe on the ground 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com sur le développement durable. Pour en savoir plus sur Green Europe on the ground.
Photos : Une ©Katharina Kloss; Texte ©Anne Lore Mesnage; Video: (cc)haudraufundhauab/YouTube
Translated from Von wegen weg mit den Wiener Wagentruppen