A Séville, le photovoltaïque battu par Archimède
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Au mois de mars 2011, pour la première fois dans l’histoire des énergies renouvelables en Espagne, la production d’énergie éolienne a dépassé l’apport du nucléaire. Une superbe nouvelle pour les partisans des énergies renouvelables.
Qui cache pourtant un paradoxe : comment expliquer qu’au pays le plus ensoleillé d’Europe, le vent ait fourni 16 % de l’électricité produite en 2010 alors que le soleil n’est responsable que d’un petit 2,7 % ? Pour y voir plus clair, cap vers Séville (Andalousie), où le soleil brille 3 000 heures par an.
Un développement au courant alternatif
Du sommet de la Giralda, cet ancien minaret qui s’élève au cœur de la ville de Séville, on a beau les chercher, les panneaux photovoltaïques sont quasiment absents des toits. Pablo Alonso, DG d’Irradia, 30 mégawatt (MW, un million de watt, ndlr) d’installations photovoltaïques aux alentours de la ville, a une explication : « Les toits n’offrent pas assez de place, l’installation serait trop petite et donc difficile à rentabiliser ». Les entreprises du secteur se sont alors orientées vers la construction de « fermes solaires », grandes installations allant jusqu’à plusieurs hectares, posées sur les toitures des bâtiments industriels et tertiaires, voire en pleine campagne. « Ainsi nous avons pu atteindre des économies d’échelle dans le secteur et faire baisser de 70 % les prix de la production photovoltaïque », explique le jeune entrepreneur, membre de l’Asociación de la Industria Fotovoltaica espagnole. Et pourtant, la filière photovoltaïque traverse aujourd’hui un moment difficile. « Le photovoltaïque nécessite encore beaucoup d’investissements et surtout un cadre réglementaire clair. Or, ces dernières années, le gouvernement n’a pas été cohérent ! » En effet, grâce aux aides publiques, le secteur a connu un véritable boom entre 2007 et 2008. Ensuite, le robinet de l’aide publique a commencé à se refermer, le secteur a été l’objet d’une campagne de presse très négative et un climat général d’incertitude a freiné les investissements. Fin 2010, le gouvernement a porté le dernier coup dur à la filière en retoquant encore une fois les aides à la baisse, sans donner des garanties pour l’après 2013...
Haro sur le photovoltaïque !
S’ils révoltent les professionnels de la filière, les choix de Madrid ne surprennent pas les autorités andalouses. « Il est clair qu’en ce moment de crise, il n’y a pas de petites économies pour le gouvernement, reconnaît Monica Sánchez Astillero, chef du département de la planification à l’Agence Andalouse de l’énergie. Quant à la politique régionale, nous nous étions fixé des objectifs, à savoir 400 MW de panneaux installés à l’horizon 2013, et nous sommes déjà à 700 MW. » Un argument à double tranchant dans les mains de ceux qui demandent de ne plus investir dans le photovoltaïque. Comme José Manuel Izquierdo, à la tête du Grupo Textura, un think thank basé à Séville qui interroge le sujet des renouvelables du point de vue social et culturel. « Le rapport coût bénéfices de cette technologie est insatisfaisant, déclare-t-il. De plus, la plupart des producteurs de panneaux photovoltaïques se trouvent en Chine et en Inde, ce qui rend le bilan environnemental et social de cette technologie assez mitigé. » De quoi faire bondir sur son fauteuil Pablo Alonso. Il liste les membres de l’ASIF qui aujourd’hui ont fermé ou se débattent et s'exclame : « Ce sont toutes des PME, qui créent des emplois locaux non délocalisables. Avec un marché stable et une politique cohérente, elles auraient pu développer une production locale comme ce qui s’est passé en Allemagne. »
L’Andalousie (re)découvre le miroir ardent d’Archimède
Si le photovoltaïque est autant boudé en Andalousie, c’est parce que la région a trouvé son nouveau dada : le solaire thermodynamique. Mis au point à partir de 1977 par le Centre technologique avancé des énergies renouvelables (CTAER) sur la plateforme d’Almeria, cette technologie s’inspire des miroirs ardents utilisés par Archimède pour brûler la flotte romaine qui assiégeait Syracuse. La radiation solaire, concentrée à travers des miroirs mobiles, porte à ébullition un fluide qui actionne une turbine. « Aujourd’hui à maturité, elle est exploitée commercialement par l’entreprise Abengoa, dans son parc technologique Solucar situé aux portes de Séville », explique José Manuel Izquierdo. Depuis 2006, trois tours solaires ont été construites : des installations gigantesques – plusieurs centaines d’hectares de miroirs pointant vers des tours de 50 à 165 m de haut – qui s’offrent aux regards captivés des passagers des vols en atterrissage à l’aéroport de Séville. Mais qui ont également un impact sur le paysage de Sanlucar la Mayor, petit bourg entouré de champs de blé.
« Franchement, elles ne dérangent pas le travail agricole », avoue Manuel Jesus Bernal, travailleur saisonnier pour l’exploitation Casa Quemada, propriétaire des terres occupées par Abengoa. Au contraire, les tours sont devenues une sorte de fierté pour le village. Début avril par exemple, le prince Charles d’Angleterre y fi une halte à l’occasion de son voyage officiel en Espagne. Sur la terrasse d’un café fréquenté par les salariés de l’entreprise, l’avis est unanime : « L’arrivée d’Abengoa a donné de nouvelles perspectives aux jeunes de Sanlucar, peut-on entendre. Les gars ont tous un contrat et sont très bien payés. » Pas négligeable dans une région où le chômage et le travail au noir font rage.
Faux débats et vraies opportunités
Aujourd’hui, en Andalousie, le soleil donne du travail à plus de 20 000 personnes, dont un tiers sont employées dans le photovoltaïque, 45 % dans le solaire thermodynamique et le restant dans le chauffage solaire. Pour le professeur Manuel Silva Perez, au département d’ingénierie énergétique de l’Ecole d'ingénieurs de Séville, il n’y aurait pas de raison d’opposer photovoltaïque et solaire thermodynamique. « Il s’agit dans les deux cas d’énergie renouvelable et chaque technologie à ses atouts et ses désavantages... ». Cela dit, même auprès des étudiants, le thermodynamique est plébiscité : « Un quart de nos étudiants font des thèses liées à ce sujet. Et récemment nous avons vu arriver des étudiants européens, notamment des Erasmus italiens et allemands, mais aussi des Américains. » Pour tous, l’avenir se joue dans le solaire.
Cet article fait partie de Green Europe on the ground 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com sur le développement durable. Pour en savoir plus sur Greeen Europe on the ground.
Photos : ©Andrea Paracchini