A l'ombre des extrémistes
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nora schreiberFondamentalistes musulmans et hindous radicaux menacent le rapprochement indo-pakistanais.
Pour la première fois depuis la crise de Kargil qui a failli amener le Pakistan et l’Inde à l’apocalypse nucléaire en hiver 2001, les armes se taisent au Cachemire. Cette vallée controversée, autrefois célèbre pour sa beauté, est pourtant aujourd’hui plutôt réputée comme la scène d’un des conflits les plus vieux du monde. L’échange quotidien de coups de feu sur la ligne de contrôle qui découpe le Cachemire en deux parties et les attentats incessants de terroristes musulmans dans la partie indienne ont fait pendant des années du Cachemire un des endroits les plus dangereux du monde.
Ainsi, la signature de l’armistice fin novembre et la réouverture d’une ligne de bus entre les deux parties longtemps isolées est un changement à la fois positif et surprenant. Lors de sa rencontre avec le premier ministre indien Atal Behari Vajpayee début janvier, le président pakistanais Pervez Musharraf s’est montré conciliant : en renonçant à un référendum, il ouvre la voie aux négociations. Craignant un verdict en faveur du Pakistan, l’Inde a toujours refusé avec véhémence un plébiscite. Désormais, les négociations de paix ont pu commencer récemment à Islamabad.
La question du Cachemire est-elle donc sur le point d’être résolue ? Rien de moins sûr. Car des deux côtés, les plus intransigeants ne sont pas prêts pour un accord. La position de Musharraf et de Vajpayee sur le plan intérieur est donc menacée.
Le peuple souhaite la paix
Cette affirmation pourrait étonner en particulier en Inde : le changement de cap radical du Bharatiya Janata Party (BJP, parti du peuple indien) sous Vajpayee dans sa politique intérieure et extérieure a été récemment confirmé par les élections régionales. La stratégie de campagne de Vajpayee était de mettre en retrait l'agenda proposé par les nationalistes hindous en faveur de son programme de développement. Cette réussite décisive devrait affermir le parti dans la poursuite de ce cap lors des prochaines élections parlementaires parce qu’elle permet de plaire à un électorat plus large.
Pourtant, ce changement d'orientation du BJP n’est pas apprécié par tout le monde. Bien au contraire. Les « durs » de la VHP (association hindou universelle) et du proche RSS (association des volontaires nationaux) qui forment la base du mouvement hindouiste ont des idées bien différentes. Leur but est la réunion de tous les hindous par un « retour » à un « hindouisme originel » égalitaire, monothéiste et bien structuré. Leur stratégie principale est de se démarquer des musulmans et des chrétiens pour renforcer leur propre identité. Les pogromes de Gujarat en 2002 dans lesquels plusieurs milliers de musulmans ont perdu la vie en sont une illustration. Depuis, le BJP essaie de se démarquer de cette politique de violence mais il dépend du soutien de la VHP.
Autant le BJP ne peut renoncer à la VHP, autant Musharraf dépend de l’armée. Mais avec sa politique concernant le Cachemire, il risque de se mettre à dos une partie de l’armée et des services secrets. Car la paix demande au préalable la suppression des groupes terroristes islamistes qui ont pourtant beaucoup de sympathisants dans l’armée et les services secrets. Après tout, ces « jihadis » étaient pendant des décennies le fer de lance du Pakistan dans la lutte pour le Cachemire. Pourquoi donc Musharraf prend-il le risque de provoquer les fondamentalistes et de se mettre à dos l’armée et les services secrets?
Le temps presse
L’explication se trouve dans les attentats du 11 septembre. Pour ne pas se retrouver du mauvais côté dans la guerre contre le terrorisme, Musharraf était obligé de faire un revirement à 180° et de ne plus soutenir les islamistes. En soutenant la guerre contre les talibans et en agissant contre les groupes terroristes, il est devenu un proche allié des Américains mais il s’est créé aussi de nombreux ennemis parmi les fondamentalistes. C’était d’autant plus dangereux que la plupart des islamistes ont été libérés peu après leur arrestation. Apparemment, Musharraf n’était pas assez fort pour briser les islamistes.
Mais si les groupes terroristes continuent à commettre des attentats dans la partie indienne du Cachemire, il devient de plus en plus difficile pour les colombes autour de Vajpayee de convaincre de leur politique les faucons de la VHP. De même, Musharraf a besoin d’une réussite rapide dans les prochaines négociations pour persuader ses adversaires dans l’armée de son orientation vers la paix. Le temps presse car des négociations sans fin signifieraient la mort du processus de paix
Pression sur les ennemis jurés
En coopération avec les Etats-Unis, l’Europe doit soutenir le Pakistan dans la lutte contre les groupes terroristes et aider l’Inde à empêcher l’infiltration des jihadis. Elle doit également pousser les deux pays à ne pas poser des conditions impossibles à remplir mais à être ouverts aux compromis. L’Europe et les Etats-Unis doivent créer un équilibre, renforcer la pression sur les deux côtés, mais sans donner l’impression de s’en mêler : l’Inde a depuis toujours rejeté une internationalisation du conflit.
Déjà, la Chine et la Russie se sont immiscées dans les négociations. Pendant longtemps, la Chine et le Pakistan, la Russie et l’Inde passaient pour des « amis inséparables » mais depuis la fin de la Guerre Froide, les relations se sont relâchées. Depuis que le conflit du Cachemire risque de devenir une guerre nucléaire, la Chine et la Russie insistent aussi pour un accord pacifique. Les quatre puissances devraient donc être capables de trouver une solution commune. Elles en sont même obligées car ce n’est qu’en exerçant ensemble leurs influences qu’elles pourront réussir à maintenir les deux « ennemis jurés » sur la route de la paix. Les intransigeants s’apprêtent déjà à frapper à nouveau.
Translated from Im Schatten der Extremisten