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A Küstendorf, Emir Kusturica fait son cinéma

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Culture

Passer une semaine sur une colline perdue de Serbie occidentale, à visionner film sur film et à se déhancher jusqu’au petit matin sur les tubes (et les tables) du No smoking orchestra en compagnie de grands et jeunes réalisateurs, c’est possible une fois par an, en janvier, à Küstendorf dans le village du célèbre réalisateur Emir Kusturica.

Perché en haut d’une colline surplombant la localité de Mećavnik (massif de Mokra Gora), ce hameau bien particulier n’est qu’à dix kilomètres de la frontière bosnienne. Belgrade est en revanche à 4 heures de route (260 km) et ceux qui n’ont pas la chance de se faire véhiculer en hélicoptère (!), ni en autocar pourront compter sur les rares bus directs depuis la capitale... Ou sur leur bon vieux pouce ! Un jeu qui en vaut la chandelle, surtout si l’on débute dans le milieu du cinéma…

Là-haut, sur la montagne, y’avait un beau chalet

Entre mars 2002 et avril 2003, Emir Kusturica, cinéaste de renommée mondiale, détenteur de deux palmes d’or cannoises pour Papa est en voyage d’affaire en 1985 et Underground en 1995 - tourne son nouvel opus La vie est un miracle à Mokra Gora. Une histoire d’amour sur fond de guerre de Bosnie qui a pour cadre la pittoresque voie de chemin de fer « Šarga Osmica », remise en service il y a quelques années. Pour Kusturica, c’est le coup de foudre géographique : le cinéaste décide de recréer un village traditionnel en haut d’un modeste piton inhabité. Il rénove une cinquantaine de maisons en pin qu’il transporte jusqu’ici. Küstendorf - nom à consonance allemande choisi à dessein par Kusturica - devient le hameau de cocagne du réalisateur, qui l’ouvre au tourisme. Drvengrad (« la ville en bois ») compte ainsi un hôtel, une piscine–spa, des jeux pour enfants, plusieurs restaurants-bars, une bibliothèque, une église orthodoxe et bien évidemment, une salle de cinéma.

Ouvert au tourisme, le hameau d'une cinquentaine de maisons en pin attire de nombreux touristes dans la région

Philanthropie, mé(ga)lomanie, altermondialisme ?

En se promenant dans les allées de Küstendorf, une évidence s’impose : Emir Kusturica signe là une cité utopique à son image. Les traditions locales y sont accommodées à la sauce altermondialiste : un mélange qui prend plutôt bien. Les rues de ce mini-skansen font écho aux passions de son démiurge : le cinéma - rue Fellini - le football - Maradona - la culture serbe et yougoslave - place Ivo Andrić, prix Nobel de littérature 1961 - et bien sûr Che Guevara. Exit le Coca-cola, remplacé ici par un jus de fruit « bio révolutionnaire » : les multinationales ne sont pas les bienvenues dans le patelin. Une position qui explique peut-être l’admiration que Loukachenko - le dictateur biélorusse - voue au camarade Kusturica. Sauf que chez « Kusto » - personnage aux positions politiques qui ne font pas l’unanimité dans les Balkans - l’autocratie ne décolle pas du stade humoristique. On ne peut pas nier non plus l’existence d’un véritable philanthropisme kusturicien : des événements culturels sont régulièrement organisés dans ce coin de Serbie, à commencer par un excellent festival de film.

Küstendorf cuvée 2011 : une odyssée réussie

Le groupe phare des bandes originales des films d'Emir KusturicaLancé en 2008, le festival de cinéma et de musique de Küstendorf, placé sous l’égide du ministère de la Culture serbe, a lieu une semaine durant, là haut sur la montagne. S'y côtoient quidams passionnés du septième art, étudiants en école de film, fêtards de la première heure et tout le gratin politique et cinématographique du pays… Et d’ailleurs. C’est l’occasion pour de nombreuses stars internationales de rendre visite à leur collègue Emir. En 2010, Johnny Depp et Marjane Satrapi figuraient au rang des invités d’honneur. En 2011, c’est Abbas Kiarostami, Nikita Mikhalkov et Gael García Bernal qui s’y sont collés. Mais attention, Küstendorf n’est pas Cannes : robe d’apparat, tapis rouge, connaît pas ! Priorité aux vraies émotions cinématographiques suivies de longues discussions. Les réalisateurs les plus estimés se frottent ainsi volontiers à l’exercice des questions–réponses. Quant aux jeunes réalisateurs, ils voient leur court-métrage concourir pour l’œuf d’or. Le programme des réjouissances fait la part belle au cinéma d’auteur qu’il s’agisse d’œuvres relevant de « tendances contemporaines » (Hrebejk, La rose de Kawasaki ; Erik Poppe, En eaux troubles, et bien d’autres) ; des « Grands du cinéma » (autour d’un auteur : Abbas Kiarostami cette année) ou encore des films en compétition (courts métrages de jeunes cinéastes). Un concert clôture systématiquement la soirée - qui se prolonge jusque tard dans la nuit.

Une expérience esthétique unique dont on ressort difficilement indemne. Surtout que l’intimité de Küstendorf facilite l’échange de paroles, de rakias et de cartes de visite, y compris avec le maître des lieux, décontracté et facile d’accès.

Palmarès du festival Küstendorf 2011 :

• Prix de la presse : The Fifth Column, (USA-Liban) de Vatche Boulghourjian. • Prix Vilko Filač du meilleur photographe : Quan, (Suède) de Johann Holmquist. • Œuf de bronze : Golden League,  (Serbie) d’Ognjen Isailovic.

• Œuf d'argent : Tomorrow I’ll be Gone, (Pologne) de Julia Kolberger.

• Œuf d'or : The Chance, (Russie), de Sonya Karpunina.

Retrouvez plus d'informations sur Küstendorf sur planète regards, le site internet d'Hélène Bienvenu.

Photos : Une : (cc)Kmeron/flickr ; Village de Küstendorf : ©Hélène Bienvenu ; No Smoking Orchestra : courtoisie No Smoking Orchestra ; vidéos : courtoisie de You Tube