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À Bruxelles, la street photo à l'épreuve du confinement

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Ça fait maintenant deux ans que Mehdi passe la moitié de ses journées à faire de la street photo à Bruxelles. Mais depuis que le coronavirus a fait son apparition dans le monde et dans les rues belges, il doit s'adapter et trouver d'autres moyens de pratiquer sa passion. Entre profondes réflexions sur son avenir et deux posts Insta, il nous raconte comment il vit cette période étrange.

Parle-nous de toi. Qui es-tu, que fais tu ?

Je m'appelle Mehdi, j'ai 26 ans. Je suis consultant dans les technologies de l'information et à côté je pratique la photo de rue, la street photo. J'ai commencé à faire ça il y a deux ans, juste après la fin de mes études. J'ai acheté un appareil photo sur un coup de tête et depuis je suis vraiment obsédé par la photo. Ce n'était pas censé être plus qu'un hobby sauf que ça l'est devenu, et maintenant j'espère en faire quelque chose de concret.

Tu veux devenir pro ?

Au début c'était qu'un hobby qui me permettait de rester stimulé intellectuellement. Pendant les premiers mois où j'ai commencé, je n'avais pas d'activité professionnelle, je ne faisais que ça donc j'ai vite progressé. J'ai même été surpris de ma progression ! Je me suis confronté à d'autres photographes professionnels et j'ai commencé à me dire que ça pouvait donner quelque chose. Ensuite j'ai commencé à avoir de l'attention de la part des médias, et tout ça a fait que je me suis dit qu'il y avait peut être une possibilité de me professionnaliser. Avant le confinement je devais exposer mes photos dans deux espaces d'expo non commerciaux à Bruxelles mais tout a été annulé. J'espère reprendre ça après le confinement.

Pourquoi la street photo ?

J'ai toujours aimé ma ville, me promener dans les rues de Bruxelles. Donc ça vient d'une volonté de faire quelque chose de bien pour ma ville et de la voir sous un oeil nouveau grâce à la photo. Et puis ça reprend un peu tout ce que j'aime. Être dehors, marcher, fréquenter de nouvelles personnes, etc. J'avais ces envies là et je tenais aussi à ce que mon environnement ne me passe pas sous le nez. À la fin de mes études je ne voulais pas simplement avoir un job, rentrer chez moi le soir et ne rien faire d'autre. Je voulais comprendre ce qui se passait dehors, connaitre ma ville.

Je suis ni introverti ni extraverti, mais un peu des deux. Donc à la fois ça répond à ce besoin d'une activité solitaire, et en même temps d'être entouré de gens quand même, sentir que je suis dans un milieu animé, qui bouge. Donc la street photo c'est idéal. J'adore cette vibe de grande ville animée, avec les bruits, etc. J'aime observer les gens, la vie de tous les jours. Je préfère capturer la vie dans son essence et son authenticité la plus totale. D'ailleurs je n'aime pas influencer une scène. Je garde mes distances pour que la photo ne soit pas gâchée par ma présence.

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Quartier de Flagey, Bruxelles © Mehdi El Taghdouini

Quels sont tes terrains de jeux habituels ?

Ça a beaucoup évolué au fil du temps. Quand j'ai commencé à faire de la photo je cherchais les endroits faciles à photographier, donc principalement le centre ville de Bruxelles, rempli de monde et de touristes. Avoir un gros appareil photo, ça ne choque personne on peut pointer dans tous les sens, etc. J'ai fait ça un temps, et au bout d'un moment j'ai voulu commencer à capturer la vie bruxelloise plus dans son essence. Je voulais faire des trucs plus difficiles. Donc j'ai commencé à sortir du centre ville, je suis allé vers le quartier européen, Flagey, Saint-Gilles, Etterbeek... Avant le confinement, j'ai aussi commencé à essayer à aller dans les quartiers plus résidentiels, où c'est plus difficile de prendre des photos. Parce que dans l'inconscient collectif il n'y a rien à photographier là-bas. Donc j'attire tout de suite l'attention et les questions. Mais j'ai envie que mon terrain de jeu soit Bruxelles avec tous ces visages, donc je ne voulais pas juste rester au centre ville, le Manneken-Pis et la Grand-Place.

Tu fais toujours des photos depuis le début du confinement mi-mars ?

J'habite à Jette alors j'ai commencé récemment à photographier dans ma rue. Et je me suis rendu compte que si on veut prendre des photos dans les quartiers résidentiels, il faut une approche différente. Il faut interagir avec les gens leur expliquer, il faut faire plus de portraits. Prévenir, plutôt qu'improviser. C'est un autre style de photo. Et même avec la meilleure approche, il y a toujours des gens qui ne veulent pas être photographiés, quel que soit l'endroit.

En tout cas, ça m'a permis de me rendre compte que j'avais des lacunes pour présenter ce que je faisais. Au début, j'essayais d'approcher les gens de la même façon qu'au centre en les prenant sans prévenir, et j'ai eu des altercations costauds avec des personnes qui me voyaient faire et qui pensaient que j'avais des mauvaises intentions. Quand j'ai changé mon approche, je me suis rendu compte que je n'arrivais pas à leur expliquer ce que je voulais faire. C'était un peu hésitant et délicat. Ensuite les gens ne te croient pas forcément... C'est quelque chose que j'ai du apprendre à faire. Je me suis carrément mis à répéter mon pitch devant le miroir !

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Bruxelles © Mehdi El Taghdouini

Comment ça se passe pour garder cette fibre humaine sur tes photos dans cette période ?

C'est difficile d'avoir des gens sur les photos quand les rues sont vides, donc je fais des photos sans, mais c'est rare. J'aime avoir une présence humaine, explicite ou suggérée. Donc c'est difficile et j'essaye de me rendre dans le peu d'endroits animés qu'il y a encore, par exemple les parcs. Mais je tire beaucoup moins de photos c'est sûr.

Ce qui est étrange aussi, c'est que les gens savent qu'on est dans une situation exceptionnelle. J'ai pris des photos à moins d'un mètre des personnes et ils n'ont pas réagi, alors que d'habitude ils l'auraient fait. Il y a comme une acceptation que la situation est anormale de toute façon. Et que ça passe qu'on prenne les gens en photo avec les masques.

As-tu ressenti le besoin d'immortaliser cette situation étrange et l'envie de prendre en photo les rues vides, les gens masqués, les files d'attente au supermarché... ?

En règle générale j'essaye de travailler de la manière la plus intuitive possible. Je ne me dis pas « aujourd'hui je vais faire ça ». C'est très spontané. J'ai aussi parfois un côté plus documentaire où là j'essaye de documenter des sujets. Par exemple il y a deux ans quand il y a eu les manifs des gilets jaunes, j'y allais vraiment pour ça. Mais dans le cas du confinement je sors dehors en me disant que je vais réagir spontanément à ce que je vois. Et quand je suis devant quelqu'un qui porte un masque, oui je me dis aussi que ce serait important d'avoir ces photos. Mais la spontanéité doit rester la règle générale. Et d'ailleurs, je n'ai pas envie d'être trop cliché. Si j'ai une photo d'une personne avec un masque et que je me dis « j'ai déjà vu cette photo dix fois ailleurs aujourd'hui », ça ne m'intéresse pas.

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Bruxelles © Mehdi El Taghdouini

Comment tu t'occupes à part ça ?

Je passe beaucoup de temps à réfléchir. De nature je suis quelqu'un qui a tendance à beaucoup trop réfléchir. Donc en ce moment je me torture énormément avec des pensées, et tout ça devient presque négatif. Mais sinon, je passe du temps à travailler sur mon site web, sur mon instagram, j'essaie d'accélérer les choses en termes d'audience, je travaille sur mon portfolio, etc. Je lis beaucoup de livres aussi. Un autre chantier important que j'ai commencé c'est d'essayer de trouver des fils conducteurs dans mes photos et de les catégoriser, pour ensuite en faire quelque chose. De manière générale, je préfère faire que penser. Et là je suis un peu bloqué et forcé à réfléchir, donc c'est un peu négatif pour moi.

Qu'est-ce-que le confinement t'a appris sur ta façon de travailler, sur tes photos ?

Le confinement m'a déjà poussé à redécouvrir mon quartier. Depuis mi-mars je me limite à ce quartier dans un rayon de 200 mètres. Je n'y avais jamais pensé avant, et je me rends compte qu'il y a énormément de choses à photographier. C'est ce que le confinement a fait pour moi, j'ai beaucoup de photos de Jette exploitables. Et j'irai de plus en plus.

Est-ce-que cette phase te donne envie de tester d'autres choses ?

Oui j'ai quelques trucs sur le feu que je vais tester. L'idée c'est d'essayer de voir si je peux travailler en free lance. J'ai quelques contacts dans les médias donc je réfléchis à comment les utiliser. Il y a la réflexion autour de la photo-documentaire que j'aimerais commencer à développer. Pour la street photo, je sais que je veux continuer à la même intensité, mais aussi prendre la quantité de photos que j'ai et trouver quoi en faire. D'où le travail de catégorisation de mes photos dont je parlais. Une fois que les galeries seront ouvertes je vais postuler à fond.

Et enfin comme j'ai besoin de me faire des contacts, je regarde s'il y a moyen de rejoindre une agence de photographes. J'explore plusieurs possibilités, même le fait de laisser mon travail actuel, quitte à passer stagiaire dans une agence. Donc je réfléchis à tout ça.

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Bruxelles © Mehdi El Taghdouini

Après le confinement, une fois qu'il y aura un minimum de personnes dehors pour pouvoir t'amuser, quel est l'endroit où tu as le plus envie d'aller pour photographier ?

Un des projets de documentaires que j'ai c'est la communauté germanophone de Belgique, donc j'essaye d'avoir un plan. Et je me rends compte que c'est difficile d'avoir un plan sans y avoir mis les pieds, donc je vais y aller dès que je pourrai, essayer de rentrer en contact avec des gens, etc. Bruxelles restera mon terrain de jeu privilégié dans tous les cas. Mais je sens le besoin d'aller au-delà, d'où le projet sur les Belges germanophones. Ça c'est le projet le plus bouillant que j'ai en ce moment !


Retrouvez le travail de Mehdi El Taghdouini sur son compte Instagram.

Photo de couverture : Mehdi El Taghdouini

Story by

Léa Marchal

Babélienne depuis 2018, je suis désormais éditrice pour le nouveau média ereb.eu, et journaliste freelance dans les affaires européennes. J'ai piloté la série d'articles multimédia Generation Yerevan, ainsi que le podcast Soupe à l'Union, publiés sur Cafébabel.