1 volcan islandais, 0 avions, 2.000 km, 36 heures de voyage: chronique d'un voyage Vilnius-Paris
Published on
Translation by:
claire debrat1,7 millions d’euros, c’est la somme qu’on perdu les compagnies aériennes européennes en l’espace de six jours… Et elles ne sont pas les seules. Je ne sais pas combien de millions exactement l’Islande « doit » aujourd’hui au secteur aérien mondial. A moi, elle me doit deux jours de vie. Chroniques d’un voyage en train à travers l’Europe…
Les nouvelles de la paralysie des communications européennes causée par l’irruption du volcan Eyjafjallajokull en Islande avaient l’air aussi absurde que le nom même du responsable. D’autant plus que je les ai apprises un jour après mon arrivée, simple et indolore, à l’autre bout de l’Europe. Durant les quatre jours de mon séjour à Vilnius, le ciel était clair et il faisait soleil. Mais, trois heures et demi avant le départ prévu, sous un ciel toujours aussi bleu, je vis un changement d’informations sur le site de ma compagnie aérienne duquel il résultait que je ne décollerais jamais. Comment ça non ?!
Pour 2500 euros de plus
L’un des deux amis avec qui je partageais le triste sort d’expatrié de force propose de louer une voiture pour rentrer en France. Un jour, il a sillonné pendant un mois la France et l’Espagne pour 600 euros ; il estime donc que le trajet jusqu’à Paris ne devrait pas dépasser les 200 euros. La femme du bureau d’informations touristiques appelle pour nous (et pour 1,70 euros) les agences de location de voitures. Au bout de dix minutes, nous regardons d’un air hébété des chiffres avec un zéro de trop. Le prix moyen s’élève à environ 2 000 euros. Pour 2 500 on peut avoir un chauffeur. Et elle n’a rien dit à propos de champagne. Nous rentrons à l’appartement que nous devons rendre une heure après. L’espoir renaît du site internet des chemins de fer lituaniens. Un train pour Varsovie (la seule ville étrangère à l’Ouest de la Lituanie que l’on peut atteindre en train…) part à 22h30. De là il sera sûrement plus facile de continuer vers l’Ouest. Mon ami de Madrid ne dit rien, mais je culpabilise quand je me plains du voyage qui m’attend. De Paris à Madrid, il lui reste encore au moins plusieurs dizaines d’heures de route.
« No train »
Quelques heures plus tard nous avançons tranquillement avec nos valises dans la gare de Vilnius. Une fois au bureau des liaisons internationales, nous demandons trois billets en placement libre. En guise de réponse : « no train », nous dit-on, et il semble bien que ce soient les seuls mots que la guichetière connaisse en anglais, car elle les répète à chacune de nos questions. Au final nous comprenons que « no train » pour nulle part aujourd’hui. Nous nous précipitons vers l’agence Eurolines. Il y a un bus à 21 heures pour Varsovie, mais il n’y plus de places. Le prochain est à 9 heures le lendemain. Le trajet dure environ 7 heures. Nous abandonnons l’achat, parvenons au point WiFi le plus proche et nous espérons vivement que les vols au départ de Vilnius seront possibles à partir du lendemain. Aucunes informations certaines sur le site. Devant une telle situation, nous n’avons guère le choix ; nous réservons une chambre pour la nuit et allons prendre un verre. Il faut reconnaître que cette soirée fut la plus réussie de notre séjour en Lituanie.
No bus
Nous partons pour la gare au petit matin, afin d’être sûrs d’avoir des billets pour le bus.
« Trois places pour Varsovie à 9 heures s’il-vous plaît. »
- « Trois places pour neuf heures ce soir ? », s’enquiert la dame avec un grand sourire. Je sens l’un de mes amis se tendre. Le bus de neuf heures du matin pour Varsovie n’existe pas. La dame ne comprend rien, nous non plus.
Nous retournons à la gare ferroviaire. Il y a un train pour Varsovie à midi. Je vérifie bien les billets, pour voir si rien ne se cache derrière ce coup de chance. Nous allons prendre le petit-déjeuner au McDo du coin. Pendant que je sirote mon café, j’essaie de ne pas regarder mon ami qui cultive de la ciboulette et un pied de citronnier dans son appartement à Paris, et qui est en train d’attaquer un hamburger noyé sous la moutarde. A la table voisine se trouve l’employé d’Eurocar, la compagnie à laquelle nous voulions louer une voiture. Pourquoi deux mille ?
« Vilnius, c’est l’Europe de l’Est. Si tu veux emprunter une voiture dans cette partie du continent et la rendre dans l’autre, ça fait plusieurs milliers. » Par curiosité je vérifie sur Internet : pour la même voiture empruntée pour deux jours en France et rendue en Espagne, nous aurions payé moins de 200 euros. Bienvenue dans l’Union unifiée.
Varsovie, 9 heures et un changement plus tard
Au guichet d’information la femme affirme que nous ne partirons nulle part aujourd’hui. Seulement demain à six heures du matin pour Berlin. En moins d’une seconde un type me colle sous le nez la photo d’une chambre sombre, en donnant un prix plus élevé que ce que nous payions pour un appartement pour six à Vilnius. Rien de tel que la solidarité dans les moments de crise. « Décidez-vous parce que je ne vais pas rester planté là longtemps …»
Moi non plus, me dis-je, en me dirigeant vers l’espace internet. Sur le panneau d’affichage, il est écrit qu’un train pour Paris part dans deux heures, via Berlin… Je ne comprends rien. Nous nous mettons dans l’immense file pour les liaisons internationales ; peut-être d’un autre guichet sortira une autre version. Naturellement, il y a des billets, pour aujourd’hui, à 23 heures pour Berlin. Arrivée à huit heures du matin. Pleins de joie, nous décidons d’aller manger quelque chose. De la gare il y a une entrée presque directe pour le centre commercial « Złote tarasy ». « Waow, je ne m’attendais pas à ça », entends-je derrière moi de la bouche de mes compagnons, et le trajet qui m’attend se fait un peu plus léger. Les trains traversant l’Europe n’ont probablement jamais été aussi internationaux que pendant ces quelques jours funestes d’avril. Nous avons partagé un compartiment avec des Danois, une Allemande et une Australienne qui rentrait de Tallinn à Edinbourg. Et de quoi pouvait-on se plaindre ? Dans le couloir des Anglais et des Américains se trouvaient des points communs dans une bouteille de whisky.
Berlin, 9 heures et trois changements plus tard
Berlin, gare centrale. Etant nous-mêmes dans un état lamentable, nous nous réjouissons à la vue de l’intérieur clair et propre de la gare. Bureau du service des voyageurs. Une femme claire et précise nous indique avec amabilité dans quelle file nous mettre. Pendant que nous essayons de nous comprendre avec la guichetière, à moitié en anglais, à moitié en allemand, notre attention est attirée par son collègue, qui s’efforce d’expliquer quelque chose à une asiatique. L’employé blond a les manches retroussées, le col déboutonné et le regard meurtrier. De derrière ses lunettes il regarde sa victime, et sa voix oscille entre la parole et le hurlement. Il me rappelle le film Chute libre, dans lequel un homme joué par Michael Douglas, renvoyé de son travail et récemment divorcé, ne tiens plus la pression et rentre chez lui en tuant plusieurs personnes innocentes en chemin. Pendant ce temps, la guichetière qui s’occupe de nous nous a trouvé des places parmi les dernières sur le train pour Paris. Le prix nous assomme, je me demande s’il me restera suffisamment pour finir le mois. « Les prix peuvent baisser à partir de samedi », nous dit-elle. En même temps que la demande… Magnifique ! Mon ami de Madrid renonce et s’inscrit à la soixantième place sur la liste des personnes attendant un bus. Mon autre ami, qui doit partir le lendemain pour le Népal, et moi, nous achetons des billets.
Paris, 7 heures et trois changements plus tard
Des fauteuils dans lesquels on peut dormir, des toilettes dans lesquelles on peut aller et le wagon restaurant nous ont permis d’arriver à la fin de notre voyage. 36 heures ont passé depuis que nous avons quitté Vilnius, 54 depuis le moment où nous avons tenté pour la première fois d’en partir. Le lendemain je m’entends dire par un copain : « Waow, Vilnius-Paris en train ? Ca a dû être génial ! »
(Photo: mini tar/flickr)
Translated from Pociągiem przez zadymioną Europę