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Footix : la passion du foot sans les prolongations

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Ils mouillent le maillot, se tartinent de maquillage tricolore et organisent des fêtes pas possibles à chaque match. Pourtant, ils ne connaissent pas la règle du hors-jeu ni même ce qu’un club de foot peut représenter. En France, on les appelle les Footix, ces supporters qui ne se réveillent qu’à l’approche de la Coupe du monde. Mais pourquoi ? Rencontre avec ces intermittents du spectacle.

« Mon intérêt pour le football ? Il a commencé en 1998. Mon père nous avait emmené faire des tours de village, assis sur le toit de la voiture pour célébrer la victoire. Le meilleur jour de ma vie. » À l’époque, Léa a 6 ans et ne comprend pas trop ce qui lui arrive. Le 12 juillet, cette année-là, l’équipe de France est championne du monde pour la première fois de son histoire et la liesse qui s’est emparée des Bleus depuis les phases finales a gagné son petit village de l’Indre-et-Loire. 20 ans après, les souvenirs de la jeune femme sont presque cristallins : « Je crois qu’un mec avait escaladé le toit de la mairie pour y danser avec un drapeau ».

Fiers comme un coq

Qu’importe les trous de mémoire, aujourd’hui, pour Léa, une chose est sûre : « J’ai découvert l’existence du football à ce moment précis ». Elle n’est pas la seule. Pour des millions de Français, l’acte fondateur de leur passion pour le foot a lieu suite à la victoire suprême de la bande de Zidane et Deschamps. Le 12 juillet 1998 au soir, avec les derniers champions du monde du siècle, une nouvelle génération de supporters naît. Auparavant critiques - voire complètement désintéressés -, de nombreux Français vont commencer à cultiver une vraie passion pour les Bleus. Ces supporters soudains, on les appelle des « Footix ». Le terme désigne à l’origine le coq en peluche qui fait office de mascotte pendant la Coupe du monde 98. Mais depuis, il sert surtout à railler ces fans qui se découvrent une passion pour le ballon rond à l’approche des grandes compétitions, tous les deux ans.

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En 2016, à l’automne suivant l’organisation de l’Euro en France, des supporters marseillais placarderont le message suivant aux portes du Vélodrome : « Zone fanatics anti-Footix. La passion ne s'achète pas ! ». Parce qu’au fil des ans, ce sont bien les ultras qui populariseront le terme. Tout particulièrement suite au rachat en 2011 du club Paris Saint Germain par le Qatar quand l’arrivée des stars dans le championnat provoque l’arrivée massive de Footix dans les stades. Témoignage de la relation ambivalente que la France entretient souvent avec son équipe nationale, le Footix est d’abord très français. Si le concept du fan intermittent existe à l’étranger, aucun pays en Europe n’a imaginé de terme pour le qualifier.

Foule sentimentale

Depuis Leicester, en Angleterre, Léa a du mal à savoir si elle est une Footix ou pas. Ce dont elle est sûr, c’est qu’il y a deux ans, le foot consistait pour elle « à regarder les finales et maudire les Italiens ». Mais ça, c’était avant. L’Euro en 2016 est passé par là et Léa a vécu de plein fouet la déferlante dans les rues de Lyon : « L’ambiance était géniale ! Je ne pense pas avoir jamais fait autant de câlins à des inconnus que lorsque la France a battu l’Allemagne en demi-finale. » À quelques jours de l'ouverture du mondial en Russie, Léa trépignait déjà d'impatience. Qu'elle soit au travail - à l'abri des regards indiscrets - au pub ou à la maison, la jeune femme ne rate aucune rencontre.

Si Léa a été conquise par le football, c'est en grande partie due aux fan-zones, ces périmètres dédiés aux supporters qui ont poussé un peu partout en France en 2016. Ces espaces investis par des fans prêts à en découdre sont nés il y a dix ans, en Suisse et en Autriche. S'il en existe quelques unes en Europe à l'occasion du mondial, à Genève notamment, les fan-zones se font rares cet été, sécurité des supporteurs oblige. Ce qui n'empêche pas les amateurs et amatrices de crampons de partager leur passion avec d'illustres inconnus. « Quand je me suis retrouvée dans une salle de concert, réaménagée en salle de projo avec 150 personnes chantant la marseillaise et balançant leur bière, et que je faisais les soldes sur mon téléphone, je me suis surprise à lever la tête à chaque but parce qu’il y avait une sacré ambiance. », raconte Alix, Parisienne de 23 ans.

« C'était vraiment un moment unique, un immense bordel. Seul le foot peut provoquer ça. »

La ferveur serait donc le sentiment prédominant chez les Footix. « Cela provoque de belles émotions dans les pays qui la gagnent. J'ai vécu la liesse à Madrid en 2010 (année de la victoire de l'Espagne à la Coupe du monde, ndlr), c'était vraiment un moment unique, un immense bordel. Seul le foot peut provoquer ça », raconte Paul, qui a vécu plus de 15 ans dans la capitale espagnole. Pour Garance, 25 ans, si l'événement séduit, c'est parce qu'il est synonyme de cohésion… et de réunions arrosées : « Les gens se parlent et se sourient. C'est une belle occasion de se retrouver entre inconnus pour partager des valeurs et surtout un intérêt commun : l'apéro ! »

Suspense et vignettes Panini

Pour les expatrié.es, supporter les Bleus se révèle être surtout une manière d'exprimer son patriotisme de façon pacifique. Depuis Leicester, Léa livre son ressenti : « Je suis clairement en minorité ici à Leicester, et je crois que ça décuple ma ferveur supportrice ». Claire, qui vivait alors à Londres en 2016 au moment de l'Euro, a elle aussi connu la sensation d'appartenir à une communauté, celle des Français.es à l'étranger. Et tout ça, grâce au football. « C'est la première fois que je regardais un match en entier, se souvient la jeune femme. Avec des copains, on avait pris l'habitude de se réunir dans un bar pour suivre le championnat et c'est là que j'ai découvert le sentiment d'excitation de suivre son équipe dans la victoire comme dans la défaite, mais aussi celui d'être impliqué dans la vie de son pays. »

Suzanne a grandi et vieilli avec plusieurs cultures, notamment américaine et française. Suivre le mondial, une manière pour la retraitée d'exprimer son attachement à plusieurs pays qui ont influencé sa vie. « Le problème, c'est que je n'ai pas une équipe de prédilection, avoue-t-elle. Je soutenais le Pérou car mon frère vit là-bas, mais aussi le Mexique où j'ai grandi. J'ai un certain penchant pour l'Amérique Latine. Pendant la rencontre France-Argentine, j'étais mal. Mais comme j'étais entourée de supporters français, je n'avais pas bien le choix : j'ai soutenu les Bleus ! »

« C'est là que j'ai découvert le sentiment d'excitation de suivre son équipe dans la victoire comme dans la défaite, mais aussi celui d'être impliqué dans la vie de son pays. »

Les Footix sont attachés à leur pays, c'est un fait. Un bel esprit de cohésion nationale flotte pendant toute la Coupe du monde. À la fois populaire et universel, l'événement dépasse les frontières et les classes sociales. Mais il ne faut pas oublier que si les Footix se révèlent être des supporters assidus, ils n'en restent pas moins des ignorants. Et Suzanne l'admet bien volontiers : « On m'explique constamment la différence entre le pénalty et le corner, mais je ne saisis toujours pas. Je n'ai certes pas la technique, mais je sais reconnaître un beau but quand il y en a un ! Je me rends compte qu'il vient de se passer quelque chose. » D'autres encore s'intéressent moins au jeu qu'aux joueurs : « Nous on veut voir des petits culs serrés dans des shorts blancs », confesse Garance. Boire à l'œil ou se le rincer, chacun y trouve son compte. Et certains collectionnent même les vignettes Panini, ces cartes qu'on pensait disparues mais qui connaissent un regain de popularité depuis le début du mondial. « Oui j'ai acheté un album panini, assume ouvertement Léa. Des collègues m'ont encouragé à commencer pour qu'on puisse s'échanger les doublons. Depuis, on fait des sessions mercato Panini à la pause-café. »

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On pardonne aux Footix. Ne pas connaître les règles et collectionner des stickers du siècle dernier, est-ce vraiment si grave ? L'essentiel n'est-il pas d'aimer son équipe après tout ? Si 23 % des Français disent ne pas aimer les Bleus, dans les faits, l'équipe de France version 2018 est plutôt populaire. « Les joueurs sont jeunes, très sympas, et ils ont l'air fiers d'eux. C'est important », assure Suzanne.

Le capital sympathie d'une équipe serait aussi un critère essentiel pour les Footix. Car ils peuvent se montrer impitoyables et n'hésitent pas à renier toute une équipe lorsque celle-ci n'est pas à leur goût. Mais tous les supporters ne se jettent pas corps et âme dans la compétition. Samuel regarde avec plaisir un match, « surtout quand il y a du suspense », mais son engagement s'arrête là. « J'ai du mal à avoir ce rapport sentimental au foot, mais ça a l'air assez fort, les gens sont passionnés. Moi j'ai un rapport extrêmement passif, je ne m'attache pas à mon équipe, encore moins à ses joueurs. » Claire, elle, avoue s'être attachée aux Bleus, plus que de raison : « Si la France est éliminée, je ne suivrai plus le mondial… Donc, j'espère qu'elle ira loin ! » Qui sait ? Au bout, il y aura peut-être le meilleur jour de sa vie.


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