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Rama Yade : L’engagement permet d’échapper à sa simple condition d’homme

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La Lettre Persane

« S’engager, c’est consentir à faire société. Il n’est rien de plus civilisé que l’engagement. Il est acte de foi dans la volonté humaine. Il est le contraire de subir sa vie. L’engagement fait de l’engagé un acteur de sa vie et un rédacteur du monde, » a déclaré Rama Yade dans un vibrant témoignage pour les droits de l’homme.

Elle intervenait le 28 novembre à une conférence tenue à la mairie du 5ème arrondissement de Paris sur le thème : « Massacre de milliers de prisonniers politique en Iran en 1988 – Droit à la vérité pour les familles des victimes ». Sous les auspices du maire Florence Berthout, une exposition permettait de mesurer l’ampleur d’une tragédie qui reste une actualité brulante en Iran, où des voix se lèvent pour demander une enquête internationale.

L’ancienne secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des droits de l’homme a déclaré :

« Comme aujourd’hui au cœur des couloirs de la mairie du 5ème arrondissement, c’était le 24 août dernier. Dans les longs couloirs de la mairie du 2ème arrondissement, les mêmes milliers de photos. Jeunes étudiants, femmes enceintes, adolescentes. Ce sont les martyrs héroïques du massacre de 30.000 prisonniers politiques durant l’été 1988. Abattus de sang-froid. Ce fut un crime contre l’humanité.

Comme toujours, dans la nuit des misères humaines, une poignée de femmes et d’hommes, héros vaillants du quotidien, tentent à l’intérieur ou à l’extérieur de cette prison à ciel ouvert qu’est devenue l’Iran, de réveiller les consciences humaines, de réclamer justice, de briser le silence. Oui, il faut une Commission d’enquête immédiate, indépendante, transparente pour faire la lumière sur les crimes impunis de 1988. Oui, la Cour Pénale Internationale restaurerait sa crédibilité en traduisant les auteurs devant ses instances. Non, il n’y aura pas de paix en Iran sans justice. Les victimes nous rendent « intranquilles ».

Il est temps pour l'UE et en particulier la France, pays des droits de l’homme, d'adopter une position ferme condamnant les violations flagrantes des droits de l'homme en Iran, en particulier le nombre élevé d'exécutions, et en conditionnant le commerce avec l'Iran à la fin des violations des droits de l'homme.

Puissions-nous être plus nombreux, plus déterminés pour conduire cet indispensable changement ! Nous le devons à ce grand peuple iranien, l’une des plus vieilles et brillantes civilisations que le monde ait portées ! En soutenant le désir du peuple iranien pour le changement de régime et l'instauration d'une république laïque fondée sur la séparation de la religion et de l'État, l'égalité des sexes, la liberté d'expression.

L’engagement

Je voudrais à ce moment de mon propos m’arrêter un moment sur un point fondamental: l’engagement. Ce qui nous réunit régulièrement. Parce que je sens bien le silence, l’indifférence des opinions sur la cause -celle-ci et bien d’autres qui nous mobilisent. Pourquoi faudrait-il se soucier de l’Iran? C’est loin. On a assez de problèmes à gérer chez nous. C’est dramatique de constater le repli des sociétés occidentales qui ne veulent plus penser le commun. Penser le commun, cela avait été la prétention historique de l’Occident. Ce n’est plus le cas. Pour son plus grand malheur.

Il n’y a pas être que je plains plus que ceux qui se contentent d’être eux-mêmes. Seulement eux-mêmes. Misère. Misère d’une vie qui ne prétend à rien qu’à végéter. A se contenter de ce qui existe.

L’engagement, c’est quelque chose de plus grand que soi, l’exacerbation de la vie portée à sa plus haute intensité. L’engagement, ce n’est jamais être soi, mais se concevoir dans sa plus riche potentialité. Que d’émotions dans cet accomplissement, dans ses réalisations comme dans ses frustrations, ses tensions, ses heurts, les doutes qu’il comporte comme les certitudes qu’il confère. L’engagement n’aboutit jamais dans la facilité, car son essence, forcément sublime, s’épanouit dans le franchissement des obstacles. C’est ce qui motive mon engagement à vos côtés.

L’engagement permet d’échapper à sa simple condition d’homme. Que serions-nous réduits à la profane trinité : métro, boulot, dodo ? Cet engagement où l’on se donne corps et âme car on appartient plus à son pays qu’à soi-même ; la résistance iranienne à qui je rends hommage l’éprouve si durement depuis 30 ans. Tant d’entre eux ont fait sacrifice de leur vie pour défendre un autre destin pour leur pays. Il y a de la transcendance dans l’engagement qui fait que ses héros y laissent quelquefois leur santé. L’engagement et sa part sacrificielle.

L’élan vital d’une nation

La question taraude encore chaque Français, ou presque, traumatisé de ne pas avoir su être lui-même quand les Nazis sont arrivés : aurions-nous, à Vichy, été collaborateurs ou maquisards ? La nation ne s’engagea pas mais les plus illustres de ses fils le firent. Dans les forêts, à Londres, à Brazzaville.

Mais l’engagement ne saurait rester individuel : il ne se réalise pleinement que dans le collectif. Son effet d’entraînement, à coup sûr…... C’est pour cela que la résistance iranienne a besoin de nous. S’engager, c’est consentir à faire société. Il n’est rien de plus civilisé que l’engagement. Il est acte de foi dans la volonté humaine. Il est le contraire de subir sa vie. L’engagement fait de l’engagé un acteur de sa vie et un rédacteur du monde.

L’engagement n’est certes pas désordonné puisqu’il a un objectif. L’engagement n’est pas compatible avec ce qui est brouillé, pas clair, tempéré. Il est radical par nature. Il porte une idéologie, qu’il le pense ou non. Il y a de l’obsession dans l’engagement. Ici, pour la vérité, pour la justice. Il peut conduire à la mort, sublime celle-là, forcément. Combien de martyrs dans cette glorieuse résistance iranienne! La dimension utopique de l’engagement n’est jamais loin, serait-on tenté de penser. Rend-elle l’engagement pour autant vain ? C’est ne pas comprendre son sens, sa portée, son miracle intime.

Dans nos démocraties malades dont tant de citoyens se sont retirés du champ, où est le sacrifice, où est l’exploit, où est le collectif, où est l’éternité ? Où est la France ? C’est au degré d’engagement de ses citoyens qu’on mesure l’élan vital d’une nation. L’anthropologue Margaret Mead disait : « Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus conscients et engagés puisse changer le monde. C'est même de cette façon que cela s'est toujours produit ».