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Petit lexique des élections législatives turques

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Istanbul

Si vous avez été largué en parachute et par hasard en Turquie, sachez que 550 nouveaux députés seront élus le premier novembre et auront la lourde tâche d’élire un gouvernement pour leur pays. Voici votre petit lexique des élections pour briller en société.

AKP : Le « Parti de la justice et du développement » est souvent décrit comme « islamo-conservateur ». Mené depuis 2002 par Erdoğan, il volait de victoire en victoire à tous les scrutins jusqu’en juin 2015. Cela s’explique par un succès économique fait d’une croissance exceptionnelle jusqu’en 2012 (6%), ainsi que les prémices d’un processus de paix avec le peuple kurde et les réformes mises en place pour une possible entrée dans l’union européenne.  Cet acteur du « miracle turc » procède à un tournant autoritaire au cours des années 2012 et 2013 quand interviennent les événements de Gezi et des scandales de corruption du gouvernement.

Alcool : Les élections sont un temps sérieux. Comme il serait dommage de se tromper de bulletin à cause d’une vision trouble, les bars, restaurants et magasins ont interdiction de vendre de l’alcool de 6h à 18h. Un dimanche çay en prévision.

Barrage : Pour être représenté au parlement, un parti politique doit recueillir plus de 10% des voix au niveau national. Ce taux élevé est fortement critiqué tant il empêche la représentation de minorités au parlement. En juin dernier, ce seuil est dépassé pour la première fois par le HDP qui recueille plus de 13% des voix, soit 80 sièges et permet aux voix pro-kurdes de se faire entendre au sein des institutions turques.

Campagne : Si vous êtes passé par une ville turque en octobre, ça n’a pu vous échapper : les partis font campagne partout. Comme n’importe quelle entreprise, on fait sa publicité en couvrant les rues de fanions, les immeubles de gigantesques affiches, on distribue des flyers. Le concours est aussi à celui qui diffusera le plus fort sa musique au travers des haut-parleurs de camionnettes mobiles. Bref, être visible et audible, c’est la stratégie de street-marketing des partis, en sachant que tout ce cirque s’arrêtera 24h avant le début des votes.

La campagne se déroule-t-elle pour autant toujours de manière légale et équitable ? Une commission du Conseil de l’Europe envoyée observer le déroulement des élections législatives de juin en Turquie a remarqué plusieurs limites. Les libertés d’expression et de faire campagne sont notamment restreintes par l’article 99 du code pénal qui institue comme infraction toute insulte au président. Les activités de campagne d’Erdoğan, seraient d’ailleurs contraires aux règles prévues par la loi, le Président devant être au-dessus des partis et remplir ses fonctions de manière impartiale.

CHP : Le « Parti républicain du peuple » est le principal parti d’opposition et le deuxième parti de Turquie en terme de votes depuis 2002. Orienté au centre-gauche et de tendance sociale-démocrate, il reste un parti fortement nationaliste se réclamant directement de l’idéologie kémaliste. Il est donc loin d’être progressiste par rapport à la question kurde.

Coalition : En juin, l’AKP obtient 40,87% des voix en Turquie, soit 258 sièges sur 550 au parlement. Sans majorité (plus de 275 sièges), impossible d’investir un gouvernement 100% AKP : il faut créer une coalition gouvernementale, plusieurs partis politiques doivent co-exister à la tête de l’Etat et gouverner ensemble. Le HDP préfère rester dans l’opposition, le CHP se retire car on ne lui offre un rôle que pour les 3 premiers mois et les négociations avec le MHP n’aboutissent pas. Il est impossible de former une coalition, le président Erdoğan se voit donc forcé fin août d’organiser de nouvelles élections législatives pour le 1er novembre. En attendant, un gouvernement d’intérim composé de députés de l’AKP, du HPD et de députés indépendants est formé pour diriger le pays.

Davutoğlu : Ahmet Davutoğlu est le Premier Ministre sortant. Agé de 56 ans, c’est le fidèle d’Erdoğan. Sa promesse : anéantir les « terroristes » qu’ils soient kurdes ou jihadistes si l’AKP obtient de nouveau la majorité au parlement. Auparavant chef de la diplomatie, l’opposition l’accuse d’avoir empêtré le pays dans le conflit Syrien. Les ambiguïtés de son gouvernement avec le prétendu Etat Islamique sont aussi sous le feu des critiques.

Dictature : Suite au revirement sécuritaire, à la polarisation du peuple, aux affaires de corruption et à une liberté d’expression de plus en plus étroite, la tentation est grande pour l’opposition turque comme pour les commentateurs étrangers de qualifier Erdoğan de dictateur. Pourtant, il faut rappeler que le président turc et son parti ont une légitimité démocratique qui ne peut être remise en question : une grande partie des citoyens turcs soutient, admire et vote pour l’AKP.

Droit d’antenne : En Turquie, le Conseil suprême de l’audiovisuel (RTÜK) veille à l'impartialité des médias dans la campagne législative. Au 25 octobre sur un panel de 12 chaînes, il comptabilise 238 heures pour l’AKP, 21 heures pour le CHP et six heures pour le HDP. Cela sans compter les 138 heures d’antenne accordées à Erdoğan depuis le début du mois. Et comme les mêmes observations avaient été faites lors des dernières élections, on peut conclure que le RTÜK a une efficacité... des plus relatives.

Erdoğan : A 61 ans, Recep Tayyip Erdoğan a régné sans partage sur la Turquie entre 2003 et 2014 en tant que Premier Ministre, avant de devenir Président de la République en s’efforçant de conserver un pouvoir important sur la vie politique du pays. Erdoğan a été élu et réélu, parfois avec de larges majorités : sa légitimité démocratique est totale et ses admirateurs nombreux. Mais ses détracteurs aussi : l’image d’un néo-sultan colle à Recep Tayyip Erdogan depuis sa dérive autoritaire et l’étrange ottomanisme qui l’anime.

Sa stratégie principale est celle de la polarisation et du clivage de la population turque : diviser pour mieux régner en quelques sortes.

Etat-parallèle : C’est le nom donné par Erdoğan à la confrérie Gülen, une nébuleuse qui tourne autour d’un imam exilé aux Etats-Unis depuis 1999 (M. Gülen). Très influente dans l’administration, le monde des affaires, des médias et dans l’éducation, elle était encore un des soutiens principaux du gouvernement il y a deux ans. Mais les amitiés en politiques peuvent vite s’écorcher, surtout quand Gülen et ses proches sont accusés par Erdoğan d’avoir orchestré les affaires de corruption du gouvernement et donc les dizaines d’arrestations qui ont suivi fin 2013. Depuis, le président mène une lutte sans merci contre ses anciens alliés qui ont rejoint l’opposition, et les accusations contre « l’état-parallèle » ne sont jamais bien loin dans la campagne de l’AKP.

Gezi : En mai 2013, quelques manifestants se réunissent au parc Gezi d’Istanbul pour protester contre un plan d’urbanisme. En quelques semaines, ce sit-in se transforme en fort mouvement contestataire contre un gouvernement qui n’écoute plus son peuple. Considéré comme l’un des évènements majeurs dans l’histoire récente de la Turquie, ces protestations ont encore des répercussions aujourd’hui, notamment sur les élections. Le pouvoir ayant répondu de manière très autoritaire et ayant opéré un tournant sécuritaire à la suite des protestations de Gezi, une opposition et une haine du gouvernement en place est désormais plus que palpable en Turquie. Plus que présente, elle s’organise : le HDP qui réunit des sensibilités très différentes en est un exemple.

Guerre en Syrie et Etat Islamique (Daesh) : La Turquie a été soupçonnée de fermer les yeux sur les activités des jihadistes entre son territoire et la Syrie voisine. Alors que le PKK combat Daesh, l’Etat a été accusé de profiter de ce conflit pour relancer des offensives contre les combattants kurdes. Sous la pression de ses alliés, la Turquie a cependant rejoint la coalition antijihadiste après l’attentat de Suruç en juillet dernier. Autre effet secondaire de la guerre voisine, le nombre important de réfugiés en Turquie, nécessite une politique de l’Etat. C’est ainsi que ce conflit se retrouve au cœur des élections.

HDP : Le « Parti démocratique des peuples »  est le parti émergent qui modifie la donne électorale en Turquie. S’il était initialement le parti pro-kurde du pays, il séduit maintenant toute la « gauche éclairée » : minorités, mouvements LGBTI, féministes,... Il a atteint 80 sièges en passant le barrage pour la première fois aux élections de juin. Ce qui semble être un vent de fraîcheur prometteur doit être relativisé : les électeurs de ce parti reste minoritaires (13% aux dernières élections) et la diversité des luttes qui s’y retrouvent peut créer des incompréhensions. Un parti peut-il réunir les aspirations de kurdes directement investis dans l’horreur des conflits, parfois islamo-réactionnaires, celles de jeunes LGBTI progressistes ou encore celles des partisans de gauches « nouveaux bourgeois » ?

Kurdes : Le peuple kurde compterait près de 40 millions de personnes, vivant sur une région à cheval sur la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Rien qu’en Turquie, ils seraient entre 12 et 15 millions. Revendiquant leur indépendance, les kurdes ont toujours été une minorité oppressée dans la République Turque. Les conflits violents ont fait de nombreux morts, notamment pendant les années 1980 dans une guerre opposant l’armée turque et le PKK. Un processus de paix a été initié en 2012 par Erdoğan, et les revendications kurdes ont été revues à la baisse pour une région plus autonome à la place de l’indépendance. Cependant les tensions refont surface entre Ankara et les populations kurdes à cause de la situation syrienne. Si le HDP est le parti politique défendant la minorité kurde, 30% des kurdes votent pour l’AKP, symbole d’un certain conservatisme islamique.

MHP : Le « Parti d’action nationaliste » est celui d’extrême droite le plus important en Turquie, son idéologie pouvant être qualifiée de « nationaliste turc ». C’est le troisième parti en terme de nombre au parlement depuis 2007.

PKK : Le « Parti des travailleurs du Kurdistan » est le groupe armé défendant les minorités kurdes de Turquie, menant à la fois une lutte contre Ankara depuis 30 ans et s’étant affirmé comme l’un des acteurs principaux dans la lutte contre Daesh en Syrie. Alors qu’un cessez-le feu était en vigueur, le PKK a repris sa campagne d’attentats contre les forces de l’ordre turques depuis l’été dernier, faisant suite aux frappes aériennes du gouvernement dans le kurdistan irakien. Considéré comme un mouvement terroriste par la Turquie mais aussi par les membres de l’Otan, il est pourtant intimement lié au HDP, ce qui peut parfois gêner la progression du parti sur le plan national. Une trêve des combats a ainsi été décrétée par le mouvement du PKK ces dernières semaines pour ne pas influer négativement les élections.

Sécurité : La situation à l’Est et au Sud-Est de la Turquie (bombardements et accrochages militaires, proximité du conflit Syrien et de Daesh) rend difficile l’organisation d’élections dans un climat serein. Les attentats de Suruç (32 morts) et Ankara (102 morts) en sont l’exemple et ne font que renforcer les tensions entre l’Etat et les Kurdes. Une partie des villes est en rébellion par rapport à l’Etat, certaines villes ont proclamé symboliquement leur indépendance. Il a été question de fermer certains bureaux de votes à l’est du pays pour ces raisons, bureaux certainement favorables au HDP... La cour constitutionnelle a finalement annulé cette décision qui n’avait pas de bases juridiques.

Selahattin Demirtas : Co-président du HDP et nouvelle star de la politique en Turquie. C’est l’un des principaux acteurs qui a su dépasser la cause kurde pour unir tout un électorat de gauche moderne. Evidemment, ses relations avec avec Erdoğan et l’AKP ne sont pas des plus sereines, ceux-là le qualifiant de complice avec les rebelles du PKK. Depuis les attentats d’Ankara qui ont visé principalement des militants de son parti, il a été contraint de faire une campagne plus discrète.

Superprésidence : La constitution turque donne au président un rôle plus cérémoniel que politique. En réalité, l’actuel président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan est bien plus investi politiquement que son rôle ne lui permet : il reste le leader incontestable de l’AKP, intervient dans des meetings (comme à Strasbourg en octobre dernier pour mobiliser la diaspora turque) et est la figure même du pouvoir en Turquie. On parle ainsi de présidentialisation du régime, une évolution qu’ Erdoğan souhaiterait constitutionnaliser. Les élections législatives de juin étaient censées lui donner une large majorité qui permette d’opérer ce changement institutionnel. Les résultats ont pourtant marqué un coup d’arrêt provisoire à ce projet de superprésidence.