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Des drones pour punir les excès de vitesse

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La Parisienne

Depuis le 6 novembre, les automobilistes peuvent être surveillés par des drones. Après les radars de 3e génération et la vidéo-surveillance du stationnement gênant, l’Etat met les grands moyens pour la sécurité routière et le confort des usagers. Faut-il être choqué ou s'en réjouir ? 

Jean-Michel sourit au volant de sa Fiat 550 diesel 2,3 litres. Une bonne affaire, se dit-il. Seulement 34 000 km au compteur. Ce type avait l’air de l’avoir bien entretenue. Un bon gars. Elle en a encore sous le capot, ça se sent. Et pour faire un essai, Jean-Michel appuie légèrement sur l’accélérateur et atteint 136 km/h. Ah ça accélère bien, constate-il, satisfait. Mais il n’a pas le temps de savourer. Un engin volant le dépasse rapidement et lui fait face : « Gendarmerie Nationale. Veuillez-vous arrêter au prochain péage »

Utopique ? À partir du vendredi 6 novembre jusqu’au 15 janvier 2016, des drones spéciaux sont utilisés par la gendarmerie de l’Oise. Ceux-ci ont pour mission d’enregistrer les comportements à risque des automobilistes (dépassement dangereux, non-respect des distances de sécurité...) avant qu’un opérateur ne donne l’ordre aux motards d’intervenir. Un de leurs atouts majeurs est la discrétion : le drone peut voler à plusieurs dizaines de mètres des voitures, et ainsi surveiller subtilement. Cela ouvre de nouvelles possibilités dans des zones, « comme en rase campagne, où on peut voir les gendarmes assez facilement » explique le colonel Marc Boget au Courrier Picard. 

Si les drones ne peuvent pas encore détecter les excès de vitesse, les automobilistes comme Jean-Michel ont du souci à se faire. En France, 260 véhicules de police banalisés sont déjà équipés de radars 3e génération, indétectables. Chaque conducteur peut donc craindre que la Peugeot 308 bleue derrière lui ou la Dacia jaune à sa gauche ne soit équipée de ce radar mobile. La vidéosurveillance est également en plein essor : 27.000 procès-verbaux de stationnement gênant ont été dressés à Marseille en une année. L’opinion des internautes est révélatrice du malaise provoqué par ces mesures : sommes-nous protégés ou menacés par cette surveillance omniprésente ?

Car l’idée de ces nouveaux moyens est claire : si vous savez qu’un œil vous regarde en permanence (vidéosurveillance) ou que vous pensez pouvoir être contrôlé sans moyen de le vérifier (radars de 3e génération, drones), vous ne commettrez pas d’infraction. Nos traditionnels policiers sont relégués à l’Âge de Pierre : visibilité contre invisibilité ; localisation contre ubiquité ; ponctuel contre intemporel ; erreur humaine contre sanction implacable. Mais tout cela n’est pas nouveau : dès 1780 le philosophe Jérémy Bentham a imaginé une prison d’un nouveau genre, le panoptique. Le gardien, invisible, est placé au centre d’un cercle contenant les cellules. Les prisonniers, ne sachant jamais quand ils sont surveillés, se tiennent à carreau. 

Une prison, vraiment ? « On abandonne un peu de liberté, mais pour gagner beaucoup en sécurité » explique Stan, dans le documentaire d’Arte consacré à la surveillance. Stan vit à la Nouvelle-Orléans et a une particularité : il est membre du projet NOLA. Il s’agit d’un projet communautaire d’un nouveau type : chacun contribue à la surveillance en installant des caméras devant chez lui ou dans son jardin. Les images sont examinées en temps réel par un opérateur qui peut prévenir la police en cas de problème. Efficace ? « Dans un Etat sous surveillance, par définition, tout ce qui est surveillé est suspect. Même si vous ne faites rien, cela n’a aucune importance », analyse David Lyon, de l’Université du Queen’s. La disproportion est là : pour arrêter quelques délinquants, il faut filmer tout le monde. 

Stan, comme les partisans de la vidéosurveillance tiennent leur argument choc : le niveau de sécurité progresse. Le chiffre des amendes en baisse lui donne raison. L’Etat, encouragé par la société civile, semble donc avoir la volonté systématique de réprimer la moindre violation de la loi. Enfant, vous avez peut-être volé des bonbons ou escaladé une clôture pour jouer au football. Ou comme Jean-Michel, dépassé un instant la vitesse autorisée. La transgression, qui constitue une part de l’identité de chacun, va-t-elle disparaitre ? La société parait ne plus faire confiance à ses membres. Marc Rotenberg, juriste en droit international, conclut : « Nos sociétés  modernes sont confrontées à un choix. C’est un choix politique [...]. On peut ne pas se préoccuper de savoir si nos enfants grandiront dans un monde sous surveillance constante. On peut se dire ‘‘C’est la vie moderne, on s’habitue’’. Mais je pense qu’un futur comme cela serait une prison digitale. Nous ressentirons ce que les gens ressentent lorsqu’ils sont en prison »