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A-WA : en parfaite harmonie

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La ParisienneBrunchCulture

Les sœurs Haim sont habituées à jouer dans plusieurs tonalités : yéménites, israéliennes, féminines, traditionnelles, modernes…  Une partition chargée qu’elles exécutent sans fausse note sur un premier EP envoutant, Habib Galbi. Portrait à trois têtes.

Comme dans leurs chansons, les voix des sœurs Haim s’emboîtent parfaitement. Tair, l’ainée, donne le la : « Notre musique, c’est une combinaison de folk et …» « Du folk yéminite mêlé à de l’électro, du hip-hop…», reprend Liron, de deux années sa cadette. Tair poursuit : « Ainsi qu’à des beats très actuels. Un mix de passé et de présent ». « C’est de la tristesse exprimée avec joie », conclut Tagel, 26 ans, le plus jeune atout de ce groupe indéfinissable. Un mélange détonnant qui donne cette saveur de jamais-vu à Habib Galbi, le premier EP d’A-WA.

Confortablement installées dans un appartement à deux pas du Sacré Cœur, la singularité de cette formation saute d’autant plus aux yeux. Vêtues des longues robes traditionnelles qu’elles aiment arborer lors de leurs concerts, mais l’iPhone à portée de main, elles complimentent le style des Parisiennes, se vante d’avoir aussi beaucoup de hipsters à Tel Aviv avant d’évoquer le désert d’Arava aux confins du Sinaï, de l’Arabie Saoudite et de la Jordanie où elles ont grandi. Un vrai numéro d’équilibriste à la croisée des chemins.

Sur un air de famille

Naturellement, Tair a pris la place du milieu sur le canapé. Pas de doute, la plus âgée est également la meneuse du groupe. « Elle est très charismatique. Elle a ce truc que les leaders ont », « Et puis elle est drôle ! Et bonne pour l’impro », abonde-t-on des deux bouts du sofa. Mais personne ne semble laissé pour compte. D’après ses ainées, Tagel est la touche créative de la bande. « Elle a de bonnes oreilles et entend la musique de façon intelligente. Tu es futée ! », analyse Liron. « Brrrillante », insiste Tair avec malice. Tandis que Liron veille, dans ses propres mots, « à la bonne énergie du groupe ». « Elle est organisée et têtue mais d’une bonne façon. Quand elle veut quelque chose, on fonce », racontent ses deux frangines dans de larges sourires maquillés. Pour la musique, le schéma est à peu près identique : Tair tient le lead, Tagel fait les aigus et Liron, les graves. Artistiquement, les A-WA se complètent autant qu’elles complètent les phrases de l’autre.

Issues d’une fratrie de 6, il faut dire que ces trois femmes aux cheveux d’ébène ont l’habitude de partager le devant de la scène familiale. « Chez nous, tout le monde est musicien », assènent-elles comme une évidence. Chez elle, c’est Shaharut, un village « sur une montagne » au sud d’Israël. La douce voix de Tagel se teinte d’une pointe de nostalgie : « Il n’y avait que 30 familles. Nous vivions au milieu des chèvres, des poules et des chameaux, un peu comme dans la Petite Maison dans la prairie. Nous étions souvent dehors à jouer ». Ou à faire de la musique avec les autres membres du clan Haim, sous les yeux de leur père caméscope au poing.

Rapidement, le passe-temps devient un objectif professionnel. « Très jeunes, nous savions que nous voulions être chanteuses. Du coup, il fallait que nous apprenions le langage des musiciens pour pouvoir communiquer avec eux », explique Tair. Dès l’école élémentaire, le trio prend donc des cours de musique, puis poursuit au collège avec des leçons de chant, piano et danse. Puis Tair s’envole pour Tel-Aviv pour parfaire cet enseignement. Quatre ans plus tard, elle rentre à la maison un diplôme de musique en poche et l’envie de réussir à l’internationale. Aussi naturellement que dans leur enfance, les trois sœurs commencent à bidouiller des sons ensemble, postent leurs vidéos sur Youtube et décident de passer aux choses sérieuses. Elles se mettent alors en quête d’un producteur avec des critères bien précis en tête. « Nous voulions quelqu’un qui comprenne le groove, la beauté de la musique yéménite et notre façon de la ressentir, quelqu’un qui ait déjà connu le succès dans son travail et qui voyage beaucoup. Et surtout nous voulions quelqu’un que nous admirions réellement. » Cet homme providentiel, c’est Tomer Yosef, le meneur de Balkan Beat Box. Sûres d’elles, en 2013, les futures A-WA lui envoient un message accompagné de quelques démos. Instantanément, l’alchimie opère. Le musicien touche-à-tout est soufflé et les prend sous son aile. S’ensuivront une succession de concerts en Israël et en Europe, la réalisation d’un clip décalé et flamboyant, un début d’un engouement médiatique et la sortie d’un premier EP hypnotique, le 6 novembre dernier.

A-WA - « Habib Galbi ».

La tradition au goût du jour

Entre elles, les sœurs Haim dialoguent en hébreux. Pour l’interview, elles passent à l’anglais et s’essaient même au français mais c’est dans un dialecte arabe - qu’elles ne parlent pas couramment - qu’elles ont décidé de chanter sur ce disque. Petites-filles d’immigrés juifs yéménites, les A-WA rendent ainsi hommage à leur culture d’origine en reprenant les vieux chants inventés par les femmes de cette communauté. « Elles ne savaient ni lire, ni écrire, donc elles ont créé des chansons et se les sont passées de femme en femme. C’était leur seul moyen de s’exprimer  », raconte Tair en lissant sa robe aux inspirations baloutches. Le trio a décidé de prolonger cette tradition orale tout en la modifiant à coup de keytar – un clavier guitare, de batterie, de sample et de basse. « Certaines personnes pensent que la tradition est quelque-chose qu’il ne faut pas toucher. C’est une vision très fermée. Nous voulons ouvrir les esprits », justifie Liron. « Oui, ouvrir les oreilles et ouvrir les cœurs ! », s’enthousiasme Tair avant de poursuivre tandis que le reste de la bande acquiesce : « Nous sommes israéliennes, nous sommes yéménites, nous sommes pleins de choses et nous cherchons à relier toutes ces parties de nous, toutes ces cultures.»

Et beaucoup de gens semblent prêts à emprunter ce pont qu’elles proposent. Dans leur pays, en dépit des tensions religieuses, ce trio féminin qui accapare le devant de la scène pour chanter en arabe a été accueilli avec beaucoup de curiosité et de bienveillance. Idem au Yemen, d’où elles reçoivent de nombreux messages d’encouragement : « Merci de faire découvrir notre culture au monde entier » ou encore « Vous nous apportez un peu de réconfort et de courage dans ces temps difficiles ». « C’est très émouvant et important pour nous d’être reconnu chez nous », confient les trois artistes qui revendiquent leur héritage. D’ailleurs, chez elle, à Shaharut, la fierté est partagée. Même leur grand-mère qui avait presque cessé d’utiliser son dialecte yéménite à son arrivée en Israël en 1949, s’est remise à parler arabe. Un succès à l’unisson.

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Écouter : Habib Galbi d'A-WA (2015)

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Cet article a été rédigé par la rédaction de La Parisienne de cafébabel. Toute appellation d'origine contrôlée.