Veronica Falls : le poireau plie mais ne rompt pas
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Le trio gallois a régalé un fier public lors d’un concert organisé jeudi dernier à la Flèche d’Or. Mais, après avoir produit l’un des meilleurs albums de 2011 (Veronica Falls), il devait surtout en finir avec un lourd passé mi-figue mi- poireau.
Ce soir, ce n’est pas le tout premier match de la saison. Pourtant, Ryan enlève encore une fois son pantalon. 76 212 personnes gueulent à l’unisson. Ryan affûte tranquillement ses crampons. On appelle ça des « grands moments ». Ces heures qui comptent sont généralement marquées par le sceau de l’exception. On dit souvent d’ailleurs que « c’est exceptionnel ». Ces heures, en revanche, ne sont pas toujours des instants « de rareté ». Effectivement, si nous poussons la rhétorique à son bout, nous dirons qu’une chose peut tout à fait être exceptionnelle dans une période courante, habituelle. Familière. Le fait que Ryan enfile des chaussettes rouges estampillées du même écusson pour la 899ème fois n’a rien de rare. C’est quasi-quotidien. Pour autant, ces gestes, pris dans un contexte, dans un « moment », sont exceptionnels. Depuis 21 ans, Ryan exhibe sa classe sur le gazon du théâtre des rêves. Il a 38 ans. Il a signé, le 10 février 2012, une prolongation de contrat d’un an pour continuer à jouer sous les couleurs de Manchester United. C’est émouvant.
Oui, un poireau
En utilisant les mêmes présupposés normatifs, mais en orientant d’une toute autre manière notre point de vue, nous pouvons affirmer, ici, qu’un homme comme Ryan Giggs est à la fois « rare » et « exceptionnel ». Une personne rare d’exception, donc. Pourquoi ? Car Giggs, tout comme George Best – dont on rappelle qu’il donnera à l’Oxford English Dictionary l’agrément pour utiliser son nom au sein du lexique anglo-saxon (désormais, en anglais, « Best » veut dire « le meilleur ») – n’est pas anglais. Pis, il est Gallois. Englués dans le fatras d’un monde qui se demande encore comment consommer le concept d’égalité des chances, nous dirons à la volée que dans le milieu sportif tout court, être né dans le pays du dragon rouge, c’est détenir un petit capital. Un pécule, même. Pourquoi ? Parce que le 1er mars. Au Pays de Galles, le 1er mars, c’est la Saint-David (du nom de l’évangélisateur du pays). Et la Saint-David, c’est un peu le seul moment de fête, ou disons de « communion provinciale », vraiment galloise - c’est à dire affranchie de la férule du perfide voisin anglais. Pourtant, le jour n’est même pas férié. Et comme un symbole, il est de tradition de porter un poireau en l’honneur du Saint-Patron. Oui, un poireau.
Alors, nous pourrions dire, quoi de mieux qu’un poireau comme symbole d’un pays ? Nous pourrions tout à fait comprendre qu’un peuple puisse être fier, digne voire altier, un poireau à la main. Nous pourrions même imaginer, du temps de la lutte entre Saxons et Celtes, un brave guerrier gallois dévalant crânement la plaine pour battre le fer, un poireau entre les dents. Mais non, en fait. On ne peut pas. Au delà du symbole, notre capacité à penser les Gallois comme un preux-peuple s’affadit à mesure que nous revient l’image des grands hommes actuels : le baron Elis-Thomas (président de l’Assemblée nationale) et le Prince de Galles (Charles Windsor). Voilà.
Veronica Falls - Bad Feeling.
Gallois, de bon aloi
Mais – honni soit qui mal y pense – nul besoin de poireaux pour transmettre, depuis peu, au monde des biens-nés, une belle ogive d’amour-propre. Dans le domaine de l’ovalie – qui comme son nom l’indique, connaît des rebonds assez déroutants - le Pays de Galles, après avoir fait office de pays émergent, revêt désormais l’habit de première puissance européenne. Jeune, culottée et dépositaire de l’un des plus beaux rugby de la planète, l’une des Six-Nations a écrasé le royaume d’un coup de panache insolent. Bref, vous l’aurez compris, le pays du poireau ce n’est plus ce que c’était. Et, en bons sismologues des tendances in, nous dirons, qu’aujourd’hui, le Gallois est racé.
Si l’on délivrait cet article de ses digressions, nous dirions aussi que, ce que peu viennent de lire, symbolise globalement ce à quoi nous avons assisté, jeudi 5 avril dernier, à la Flèche d’Or. La prolongation d’un style affirmé, le lourd tribut d’une nation refoulée et la fougue d’une jeunesse décomplexée ont fait de Veronica Falls le parangon musical d’un Pays de Galles racé. En d’autres termes, la bande-son idoine pour faire des embardées de Giggs ou de Shane Williams un spot promotionnel pour terrain en friche. Sur scène, le groupe qui a redonné une certaine noblesse à la musique indépendante (prendre cet adjectif dans tout les sens) compte son lot d’oreilles décollées (batteur) et de ringardise vestimentaire (chemise quoi qu’étudiée du guitariste). Quand bien même nous ne l’aurions jamais donnée à Roger Glover, Andy Bell, Tom Jones ou The Stereophonics, nous n’hésiterions pas à décerner une bonne vielle plante potagère à Veronica Falls pour qu’à la fin d’un Gig(gs) enflammé, le trio déclare – le torse bombé et le poireau haut : « vive le Gallois libre ! »
Bonus Picture :
Photos : Une © Pavla Kopecna ; Texte : Ryan Giggs (cc) ssoosay/flickr, Poireau (cc) currentobsession/flickr Veronica Falls concert © Robert Gil